Sécurité Sociale de l’alimentation : le pouvoir d’agir des citoyen.ne.s pour reprendre l’alimentation en main
Les projets de « Sécurité Sociale de l’Alimentation » germent un peu partout dans le pays. Sur un modèle similaire à celui de la Sécurité Sociale pour la santé, l’objectif est de permettre aux citoyen.ne.s, via des caisses locales, d’accéder à une nourriture saine et durable, et de lutter ainsi contre la précarité alimentaire, tout en sortant des systèmes d’aides actuels qui sont saturés et parfois source de stigmatisation. En Bretagne, des réflexions et des expérimentations sont en cours, de Rennes à Brest, en passant par Saint-Brieuc. Exemples à Morlaix et Lorient, avec deux projets récents.
A Morlaix, expérimentation avec les entreprises employeuses volontaires du territoire
Le groupe de travail morlaisien a été créé dans le cadre de la communauté d’action, démarche collective mise en place par le Résam, la Fonda, le Pôle ESS du Pays de Morlaix et l’Ulamir-Cpie, pour réfléchir aux coopérations sur le territoire en matière de transition écologique. Depuis un an, une douzaine de personnes se réunissent régulièrement, intéressées par le projet de création de caisse locale de SSA. « Les premiers temps ont été consacrés au partage de visions, à l’interconnaissance, à l’échange d’information », expliquent Nicolas Makeiew, salarié du Buzuk, la monnaie locale du Pays de Morlaix, et Géraldine Gabillet, animatrice à l’Ulamir-CPIE, deux structures qui participent à la réflexion. « On a commencé ensuite à explorer, à échanger avec les autres expérimentations ayant lieu sur le territoire national, comme par exemple à Clermont-Ferrand. On a aussi eu l’occasion d’organiser une conférence gesticulée, de diffuser le film « La part des autres »… ». Tout ceci afin de savoir quelle direction prendre « on a commencé à envisager les différents scénarios possibles », complètent Nicolas et Géraldine.
Depuis cet été, les objectifs ont été précisés : durabilité, démocratie, et lutte contre la précarité alimentaire. Quel est le public ciblé ? Qu’est ce qui va alimenter la caisse ? Ces questions ont aussi été abordées. L’orientation a été choisie : expérimenter le modèle avec des entreprises employeuses, comme sur le modèle des cotisations pour la sécurité sociale qui sont présentes sur les fiches de paie, afin de « repenser notre rapport à la solidarité », ajoutent les deux membres du collectif. Il y aura également un système de « caisse ouverte » pour les citoyen.ne.s participant.e.s.
Le lancement de l’expérimentation morlaisienne est espéré en janvier 2026. En attendant, le collectif participera à une étude d’opportunité menée avec le Tag29, et travaille avec des étudiant.e.s de la Cress/Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire sur la précarité alimentaire. Prochaines étapes : « l’élaboration du modèle de la caisse, (sur les volets citoyens et entreprises). C’est là qu’on va définir le public cible, le montant de l’allocation mensuelle, les différents niveaux de cotisations recherchés chez les futurs volontaires. C’est là aussi que nous réfléchirons aux différentes modalités pour inclure les salarié.es des structures intéressées (via un accord d’entreprise ou autre) », explique Nicolas. Une enquête auprès des habitant.es du territoire sera aussi lancée, pour sonder leurs attentes sur le sujet.
A Lorient, la réflexion sur un temps long
Tout a démarré en 2023, dans le cadre du Projet Alimentaire Territorial (PAT) du Pays de Lorient. « Optim’ism, entreprise solidaire basée à Riantec,qui fait entre autre du maraichage bio, a été missionnée pour travailler sur la concertation territoriale sur la précarité alimentaire. Suite à plusieurs rendez-vous avec des partenaires, dont Cohérence, un diagnostic a émergé, et une cartographie a été créée, mettant en évidence quels étaient les manques à combler sur le sujet », retrace Sophie Bacrot, chargée de mission démocratie alimentaire chez Cohérence. Quatre grands groupes de travail ont alors émergé : précarité alimentaire, cuisine/transformation, approvisionnement logistique et alimentaire, et citoyenneté alimentaire. Dans celui-ci, deux sous-groupes ont émergé : les jardins partagés, et la sécurité sociale de l’alimentation. « Le projet de monter une caisse locale de l’alimentation est venu du groupe en juillet 2024 », explique Sophie. « En avril 2024, on avait pour projet de créer de la connaissance de cause, d’encapaciter le groupe pour qu’il soit force de proposition sur le territoire. Pendant 15 jours, on a organisé plusieurs événements, et une grande réunion collective, à laquelle étaient présentes 90 personnes », rappelle Sophie. Un groupe d’une cinquantaine de personnes est né, avec un noyau dur d’une trentaine de participant.e.s. Sören et Salomé en font partie. « On a d’abord défini quelle organisation nous voulions, à quelle fréquence auraient lieu les rencontres… », précise Sören. « On est en train de se former », ajoute Salomé, « On a presque terminé le « parcours d’apprentissage en commun ». Celui-ci comprend différentes étapes, sur 11 rendez-vous, et doit se terminer début 2025 avec des visites chez des producteurs. Un temps qui peut sembler long mais qui est nécessaire, selon Sophie. « C’est la particularité de notre projet. On est vraiment dans une démarche démocratique, la participation citoyenne en est le cœur. Cela permet d’avoir un socle commun ». Et de poser les bases de la caisse locale de l’alimentation du territoire : à qui elle va s’adresser ? Qui vont être les producteurs concernés ? Comment intégrer les bénéficiaires à la gouvernance ? Quels sont les partenaires ?
Lecture du livre « Encore des patates » (voir plus bas), atelier sur l’étude du système alimentaire actuel, rencontre avec une nutritionniste, intervention du réseau Civam et de la chercheuse Bénédicte Bonzi… ont été au menu des rencontres du groupe. « On a aussi pu utiliser des outils d’animation tels que le jeu de la ficelle, ou la fresque de la précarité alimentaire créée par l’association Aux Goûts du Jour », détaille Oscar, volontaire en service civique chez Cohérence, qui participe au projet.
Continuer sur le même rythme, laisser les réponses émerger, voir s’il faut s’inspirer des autres expérimentations…. font partie des enjeux à venir pour l’année prochaine. « On veut aussi éviter la récupération politique », ajoute Sören, en prévision des élections municipales 2026. Quoiqu’il en soit, ce que les représentant.e.s du groupe Lorientais retiennent de cette expérimentation de création d’une caisse locale de l’alimentation, c’est avant tout « le pouvoir d’agir des citoyen.ne.s ».
La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA), Kezaco ?
Au niveau national, le Collectif pour une SSA a été créé en 2019, initié par ISF-Agrista. Il regroupe de nombreuses structures telles que le réseau Civam, la Confédération Paysanne, l’Atelier Paysan, le Collectif Démocratie Alimentaire… et de nombreuses associations locales qui expérimentent des projets sur les territoires. « Le collectif travaille à l’intégration de l’alimentation dans le régime général de la Sécurité sociale, tel qu’il a été initié en 1946 : universalité de l’accès, conventionnement des professionnels réalisé par des caisses gérées démocratiquement, financement par la création d’une cotisation sociale à taux unique sur la production réelle de valeur ajoutée. », peut-on lire sur le site internet du collectif.
Mais comment cela fonctionne ? « Concrètement et sur le modèle du système de santé, une carte vitale de l’alimentation donne accès à des produits conventionnés pour un montant de 150€/mois et par personne. Le conventionnement repose principalement sur des caisses primaires gérées démocratiquement au niveau local, et articulées avec une instance nationale composée de membres représentants de ces caisses. ».
Plus d’infos sur le site https://securite-sociale-alimentation.org/
« Grâce au dessin de Claire Robert, le collectif SSA a élaboré un outil pédagogique pour découvrir le projet de sécurité sociale de l’alimentation : une bande dessinée ! Humoristique et agréable, cette bande dessiné est également enrichies d’annexes qui apportent de nombreux éléments sur les enjeux agricoles et alimentaires, le fonctionnement du régime général de sécurité sociale entre 1946 et 1967 et les bases sur lesquelles s’ancrent la réflexion du projet de sécurité sociale de l’alimentation.
Cette bande dessinée est un moyen de vous faire partager nos constats d’indignation et d’espoir… et de vous inviter à partager les vôtres, à se rassembler, et peut être demain, reprendre tous ensemble le pouvoir de décider de notre alimentation ! »
Nombre de pages : 72 – Prix pour 5 BD : 10€ + 8 € frais port
Pour découvrir son premier chapitre : https://securite-sociale-alimentation.org/wp-content/uploads/2021/10/BD-SSA-BasseDef-1chapitre.pdf
Pour la commander : https://www.civam.org/ressources/reseau-civam/type-de-document/magazine-presse/bande-dessinee-encore-des-patates-pour-une-securite-sociale-de-lalimentation/