Portrait de femme n°19. Veronica Gomez Tomas, juriste en droit international de l’environnement

Portrait de femme n°19. Veronica Gomez Tomas, juriste en droit international de l’environnement
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Rencontre avec Véronica Gomez Tomas, morlaisienne d’adoption, argentine de naissance, qui est juriste en droit international de l’environnement. Elle évoque pour nous son parcours, marqué par le voyage, et son engagement, aussi bien associatif que professionnel, pour les droits de l’homme et de la nature, ici et là-bas.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Veronica Gomez Tomas, je suis argentine de naissance et morlaisienne d’adoption. J’habite ici depuis 11 ans. Je suis juriste en droit international de l’environnement, je collabore avec des ONG spécialisées dans les droits de l’Homme, plus particulièrement sur la partie environnement, en France et en Argentine.

Quel a été ton parcours ? Qu’est ce qui t’a donné envie de devenir juriste ?

J’ai un parcours très atypique. J’ai fait des études de droit en Argentine. Là-bas c’est assez long, ça peut durer 6-7 ans. Et ce n’est qu’à la fin que nous avons des matières en lien indirect avec l’environnement. Mais à cette époque on n’appelait pas ça comme ça. Je me souviens par exemple, quand je révisais mes cours de « droit minier », parfois je m’arrêtais pour pleurer, beaucoup. Je reprenais ensuite mes esprits et je continuais, mais c’était trop violent. Quand j’ai terminé mes études, un prof m’a demandé ce que je voulais faire après. J’ai répondu que je voulais me consacrer aux « intérêts diffus ». Ce qui m’avait le plus marquée, c’était un article de la nouvelle Constitution (Réforme de 1994, suite à la Conférence de Rio de 1992) sur le droit à un environnement sain. C’était fin des années 90 et début des années 2000, on parlait du changement climatique et du Protocole de Kyoto, on commençait à évoquer le droit à un environnement sain, mais englobé dans la notion « d’intérêts diffus ».

J’ai eu ensuite un autre déclic dans ma vie. J’exerçais mon métier en Argentine, j’avais une vie très ordonnée et ordinaire jusqu’au moment où j’ai pris  une année sabbatique pour aller naviguer. Sauf que là, j’ai fait une petite erreur de calcul : au lieu de rester un an sur le bateau et de rentrer chez moi pour continuer à exercer mon métier d’avocate, je suis restée 7 ans sur le voilier, et j’ai fini avec un mari, deux enfants. Et on a jeté l’ancre à Morlaix ! (rires)

Ce voyage a complètement changé ma vie, ma vision du monde, mes priorités, mon lien avec la nature, avec les éléments, mon lien avec la transition écologique… Il y a eu un avant et un après. Cela m’a permis de vivre dans plusieurs pays très différents. Et en même temps, j’avais toujours ma façon de penser, une autre culture, un autre métier etc. A chaque endroit, j’avais cette vision par le prisme de l’accès aux droits de l’Homme, des problèmes environnementaux, des problèmes sociaux….

C’était une expérience très enrichissante. Déjà le fait de vivre dans un tout petit bateau, ça requestionne nos besoins. Au tout début, on habitait sur un bateau de 9 mètres qui n’était pas du tout équipé. Je crois qu’on développe une capacité d’adaptation assez intéressante ! On se rend compte que beaucoup de nos besoins ont été créés et ne sont pas forcément réels. C’est une des choses qui m’a le plus marquée.

Tu es aussi engagée à la Ligue des Droits de l’Homme…

Je suis entrée en contact avec cette association en 2018, car à l’époque je faisais partie du mouvement des Citoyens pour le Climat. On se retrouvait sur des causes communes. Je me suis dit que c’était un peu dommage que la LDH ne voyait alors pas le droit à un environnement sain comme un droit fondamental de l’Homme. J’ai intégré la Ligue ici, et j’ai travaillé en parallèle dans un groupe national sur l’environnement. Nous avons modifié les statuts de la Ligue en 2022 pour les élargir au droit à un environnement sain. C’était une victoire. Je continue à être dans le mouvement à Morlaix, ça me permet de donner de la visibilité à la thématique, notamment dans le cadre du FestiSol.

Eco-Bretons étant un média engagé dans les transitions écologiques, peux-tu nous dire ce que la notion de « transition écologique » t’évoque et ce qu’elle représente pour toi ?

Le mot transition évoque l’action de transiter, de cheminer. C’est un devenir, le passage d’une situation actuelle certaine à une autre situation future, souhaitable…

Face aux défis de notre temps, tels que le changement climatique, des crises sociales, l’épuisement des ressources, le dépassement des limites planétaires, la montée des inégalités… le changement des nos modèles de fonctionnement s’impose.

La transition englobe la notion de transversalité et de pluralité. Il n’y a pas de solution miracle, la transition se prépare. Elle est faite d’actes et de prises des décisions plurielles, en prenant compte des besoins et des savoirs des différents acteurs du territoire.

 La transition est l’opportunité d’imaginer un monde souhaitable, adapté aux nouvelles conditions de vie par le biais d’une convivialité choisie ; en veillant à mettre en place des nouvelles pratiques (économiques, sociales, agricoles) qui garantissent  l’accès aux droits de l’Homme en conditions de dignité en prenant compte de la capacité de régénération de notre planète.

Est-ce que tu t’identifies comme actrice de cette transition ? Pourquoi ? Comment ?

J’essaye d’avoir un rôle actif, dans différents domaines : Participation citoyenne, incidence et sensibilisation, éducation populaire. En contribuant à la réflexion, dans des instances de participation citoyenne et dans des actions associatives comme le FestiSol à Morlaix par exemple. Lors des dernières élections municipales, j’étais engagée dans le Pacte pour la transition qui proposait 32 actions en lien avec la transition écologique et sociale. Et actuellement à Morlaix, avec la Communauté d’action sur la transition écologique*, on réfléchit sur une sécurité sociale de l’alimentation.

J’anime des ateliers d’éducation populaire basés sur l’intelligence collective, tels que la Fresque du climat, la Fresque océane, la Fresque de la biodiversité… Elles apportent un éclairage et donnent des clés de compréhension sur les enjeux écologiques, qui appellent ensuite à passer à l’action.  Au bout de 3-4 heures, on voit la prise de conscience chez les participants. C’est une satisfaction énorme. On sème une petite graine.

J’essaye aussi de créer des ponts entre l’Amérique latine et l’Europe afin d’apporter un point de vue différent, en faisant connaître ici ce qui se passe là-bas et en favorisant l’échange des bonnes pratiques.

J ‘ai été la première animatrice de la Fresque du Climat en Argentine, dont je suis devenue référente pays. J’ai contribué à fonder la communauté et à essaimer le mouvement en Amérique Latine. Des événements dont je suis fière?  J’ai « fresqué » le Ministère de l’environnement, et j’ai emmené la Fresque au Forum Mondial des Droits Humains et à un forum sur l’urgence climatique et les droits de l’Homme dans les Amériques, organisé par REDESCA (le Rapporteur Spécial sur les Droits Économiques, Sociaux, Culturels et Environnementaux à la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme).

Depuis quelques mois, avec Anne-Sophie Menand, fresqueuse également, nous avons lancé le Fresk Noz, dans le pays de Morlaix. Il s’agit de la réalisation de deux ateliers de sensibilisation aux enjeux écologiques. Une Fresque climat dans les communes environnantes et une autre Fresque à Morlaix, tous les mois.

Selon toi, y-a-t-il des spécificités propres aux femmes dans la façon d’aborder la transition écologique ?

Oui. Tant l’écoféminisme que les mouvements écologiques ont une origine commune : la remise en question du modèle dominant basé sur le patriarcat et le capitalisme. Cela est bien illustré dans la fameuse phrase du philosophe Francis Bacon à la fin du XVIe siècle  « La nature est une femme publique. Nous devons la mater, pénétrer ses secrets et l’enchaîner selon nos désirs. » 

Le courant écoféministe établit le parallèle entre “mon corps, mon territoire”, en faisant référence aux deux terrains d’abus du patriarcat. Même chose avec l’extractivisme dont dépend le modèle capitaliste.

 Quels sont les souvenirs les plus marquants (personnes, événements…), les rencontres qui t’ont donné envie de t’engager ?

Mes 7 ans vécus sur un voilier. J’ai eu la chance aussi de passer du temps avec certains peuples natifs. J’en ai vu plusieurs qui étaient complètement ravagés car ils avaient vendu leurs terres à des particuliers, et se sont fait exclure. Les prix montent tellement qu’ils ne sont plus capables d’accéder aux terres. C’est toute une décadence qui s’installe, qui est sans fin.

Mais j’ai aussi fait la rencontre du peuple Kuna, que j’admire énormément, sur un archipel de plus de 300 îles au large de la Colombie et du Panama. Là-bas, c’est très préservé. Ce peuple est un exemple de résistance culturelle, assurée par le Matriarcat. Ce sont les femmes qui transmettent la culture, la langue. Ils n’ont pas le droit de se marier avec quelqu’un d’extérieur à la communauté, ce qui fait que c’est le peuple le plus petit du monde après les Pygmées. Il y a des problèmes de consanguinité, notamment de l’albinisme. Mais au lieu de les laisser à part et de les stigmatiser, ils les appellent « les enfants de la lune ». Ce peuple qui a fait la révolution en 1925 a une relation à la propriété qui est communautaire. Tout est préservé, avec des femmes au pouvoir !

 Qu’est-ce qui te révolte le plus actuellement ?

Au niveau global, la montée de l’extrême-droite. Au niveau personnel : le déni, l’indifférence, l’égoïsme, le manque de solidarité.

Et qu’est-ce qui t’enthousiasme le plus ?

L’innovation dans tous les domaines. La force de l’imagination pour sortir des sentiers battus, pour faire face aux nouveaux défis de notre époque. Et cela dans tous les secteurs confondus : l’innovation juridique par le biais des litiges stratégiques, des plaidoyers pour la reconnaissance du crime d’écocide ou des droits de la nature, qui ne sont pas encore reconnus dans les textes de loi. L’implémentation de la démocratie environnementale, avec les trois piliers que sont l’accès à l’information publique, la participation citoyenne dans la coconstruction des politiques publiques, qui vont avoir un effet sur la santé ou sur l’environnement, et l’accès à la justice.

Il y a aussi l’innovation sociale, avec l’engagement des jeunes par le biais des mouvements citoyens, des modes de gouvernance plus horizontaux, l’éducation populaire, les ateliers de vulgarisation scientifique tels que la Fresque du Climat et toutes les autres qui se sont inspirées de celle-ci, et qui offrent une vision sémantique des enjeux environnementaux accessible à tous.

L’innovation économique, avec le secteur de l’économie sociale et solidaire.

Je n’oublie pas non plus la force des réseaux, des think-tanks, le faire ensemble… Car c’est la diversité des points de vue, et l’union vers une finalité commune, qui font la force.

 Y-a-t-il selon toi des domaines d’actions prioritaires ?

Dans tous les domaines, il faut revoir l’échelle des valeurs et des priorités. Et se baser sur des valeurs comme la sobriété et la solidarité.

Générer une prise de conscience sur le besoin d’avoir une vision à long terme, qui prenne en compte non seulement la satisfaction de nos besoins actuels, mais aussi les effets collatéraux sur l’environnement et les générations futures. Et cela à tous les niveaux, dans les stratégies politiques, la planification urbaine ; dans l’éducation : pour sensibiliser les nouvelles générations et générer des prises de conscience, des nouvelles façons de consommer, favoriser des nouvelles méthodes de production.

Chaque prise de décision, chaque action façonne notre future à court, moyen et long terme.

Face au déclin de la biodiversité, face au dérèglement climatique, nous devons aller vers la régénération, vers l’adaptation, vers la résilience.

 En quels acteurs et à quels échelons territoriaux crois-tu le plus actuellement pour accélérer cette transition ?

L’échelle locale est souvent la plus efficace, car il existe un lien direct entre les acteurs du territoire et les connaissances des lieux, des savoirs faire, ainsi que les problématiques, les risques et leurs besoins. Les différents acteurs du tissu social et économique ainsi que les habitants de proximité doivent être écoutés et intégrés dans la prise des décisions liées aux enjeux environnementaux. Il est indispensable de donner leur place aux citoyens et aux divers acteurs des organisations de la société civile. Il y a tellement à faire, que toute contribution est valable. Tout un chacun a son petit rôle à jouer.  La sobriété et la solidarité étant des facteurs clés, pour ne laisser personne sur le côté.  

 Aujourd’hui, qu’est-ce qui compte vraiment pour toi ?

Le maintien de la paix. La préservation de la nature. Assurer le bien-être des générations futures et réduire les inégalités, par le biais de la solidarité, la sobriété, la cohérence.

Pour terminer, est ce que tu as des initiatives et/ou personnes « coup de cœur » que tu souhaiterais mettre en avant ?

Une personne : Paul Watson. Pour ses luttes : sauver les baleines, l’océan… mais tout cet acharnement contre lui !

Des initiatives : l’Agenda 2030 des Nations-Unies qui met l’humain au centre des objectifs de transition, par le biais de la coopération, pour en finir avec les inégalités, dans le respect de la protection de la nature, sans laisser personne de côté.  Il y a aussi La Directive européenne sur le devoir de vigilance qui vise à prévenir des atteintes graves, par les grandes entreprises, aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes et à l’environnement.

Une autre initiative qui existe depuis 2015 : Le projet de Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité, qui est le premier texte à reconnaître des droits et des devoirs pour l’Humanité, vis-à-vis d’elle-même, des générations futures, des autres espèces et de la nature. Cette déclaration propose notamment de créer une interdépendance entre les espèces vivantes, d’assurer leur droit à exister et le droit de l’Humanité, pas seulement les Hommes, mais tous les êtres vivants, de vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable. Là, on sort de l’anthropocentrisme avec un regard plus occidental que celui des droits de la nature ou du « buen vivir ». C’est un projet que j’aime beaucoup, et que j’avais signé et cherché d’autres signatures pour le soutenir.

*https://fonda.asso.fr/ressources/morlaix-une-communaute-daction-pour-une-alimentation-durable


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Marie-Emmanuelle Grignon