Pénurie de candidats ou ostracisme corporatif ? (suite)
Des présences d’un autre type.
Nombre de témoignages récents, d’opérateurs très proches du terrain, soulignent que, si on ne manque pas d’acteurs voulant s’installer et vivre du travail de la terre, le contexte les empêche de concrétiser leurs projets.
L’incipit du « Livre noir des installations » précise que les candidats ne manquent pas, bien que trop peu reussissent à franchir le parcours du combattant de l’installation. Repères paysans,confirme qu’un courant non négligeable de transfuges du salariat et de l’urbain alimente une paysannerie post-moderne, sans trouver, toujours, de terres, ou alors à des prix qui les forcent à abandonner leur projet. La Coopérative d’Installation en Agriculture Paysanne des Côte d’Armor reçoit de plus en plus de demandeurs d’emploi, salariés en reconversion, cadres, ingénieurs, désirant changer de vie, pour se lancer dans un projet agricole. De même, en Loire Atlantique, où sur les 115 stagiaires, accueillis, de 2012 à 2017, par la CIAP 44, 50 étaient en reconversion professionnelle, non issus du milieu agricole. L’ADEAR écrit (en 2018) : « Nous sommes sollicités, tous les jours par des porteurs de projets innovants, voulant vivre de leur travail, sur une petites ferme ». Sans oublier Formation bio Sainte Marte qui prépare, chaque année, 120 candidats à l’installlation agricole, en ayant de longues listes d’attente.
Ces nouveaux profils font évoluer le métier d’agriculteur, même lorsqu’ils manquent des connaissances indispensables.
Même son de cloche chez des experts-chercheurs chevronnés; F. Purseigle (Agro Toulouse) explique : « Depuis une dizaine d’années, le nombre d’installés étrangers au milieu agricole, s’inscrivant dans la durée, ne cesse de s’accroître ». R. Le Guen (ESA Angers), intervenant, en 2018, à l’assemblée générale de la FDSEA22 : « Il n’y a pas de crise de vocation car le nombre de candidats extérieurs est très dynamique et équivaut à ceux qui partent. Si demain on veut garder un tissu rural vivant, il faudra certainement le développer ».
On est frappés de retrouver dans le Rapport d’information de la Mission commune sur le foncier agricole (Assemblée Nationale, Décembre 2018) nombre d’idées de l’appel des Marcheurs-CycloPaysan (2011) et de suggestions-révendications que FADEAR et Confédération paysanne avançaient, déjà, (lors du « premier congrès national de l’installation progressive » Nimes, 1999).
Adapter les régulations de l’installation devient indispensable car, désormais, celles-ci menacent, non tant l’agriculture, comme productrice de denrées, mais l’existence de la figure sociale du paysan, comme producteur articulé à une société locale.
Au-delà des artificialisations et de la rétention foncière (encore plus considérable), il s’agit de moderniser la politique de structures en déconstruisant le mythe de l’agrandissement1 qui facilite la spéculation, tout en interdisant les reprises; d’empêcher que les formes sociétaires camouflent la propriété, de contenir les sociétés à vocation agricole, le travail agricole délégué, prémices d’une agriculture de rente, de firme; de définir l’agriculteur de façon à ne pas exclure des profils diversifiés, au bénéfice de la mobilité sociale, professionnelle et d’emploi; redonne à la terre une mobilité suffisante pour que des candidats, motivés plus par un mode de vie, que par un revenu, puissent accéder à cet outil de travail, quand bien même leurs modes de culture, de commercialisation, d’existence s’écarteraient des normes canoniques.
Il va sans dire qu’un tel bouleversement ne pourra se faire sans une détermination politique et des investissement aussi importants qu’il a fallu déployer, entre 1964 et 1984, pour servir l’Indemnité Viagère de Départ à 650 000 petits paysans âgés… pour remembrer 12 millions d’hectares… pour effacer cette « agriculture sous-développée, refuge des vaincus « … pour focaliser les exploitants productivistes sur la production hors-sol de commodities destinées au marché global (viande, bœuf, porc, lait, volaille de chair)… les noyer dans les emprunts, les équipements, les intrants, dans cette agriculture gaspilleuse de ressources et d’énergie… et renverser l’équilibre alimentaire traditionnel, dans ce « tout protéines animales« , si pernicieux pour la santé publique.
En corrigeant les dérives endogamiques de la profession, il s’agit, en somme, de refonder la politique foncière, non seulement, en fonction d’une agriculture productrice de denrées pour le marché global, mais aussi, en tant que pratique sociale, facteur de développement local, catalyseur de communauté, de société, d’identité territoriale, indispensables ferment pour la restauration du lien urbain-rural.
Bibliographie.
– FIA-AVENIR : Diagnostic des fermes en installations progressives. Conféd, CEDAPAS 2001 <www.avenir5962.org/public/DocumentsAVENIR/DiagnosticsInstallations.pdf>
– F. Lefebvre, M. Quelen : Le dévenir des agriculteurs hors Cadre Familial. ADASEA 2004. <https://ec.europa.eu/eip/agriculture/sites/agrieip/files/synth_le_devenir_des_agri_hcf.pdf>
– C. Kachkouch-Soussi : Agir sur le foncier pour une agriculture durable et paysanne. Migrinter- Poitiers 2009 <www.agriculturepaysanne.org/files/Agir-sur-le-foncier-Claire-K.-Soussi-oct-09.pdf>
– M-L. Soulier : L’agriruralite-entre-rève-et-realites. Un. Lyon II; 2010
<www.memoireonline.com/03/11/4308/Lagriruralite-entre-rves-et-realites.html>
– A. Kernaleguen : Comment les agriculteurs hors DJA financent-ils l’installation ? Montpellier SupAgro 2011 <http://miramap.org/IMG/pdf/2010_A-Kernaleguen_Installations_Hors_DJA.pdf>
– Livre noir de l’installation. Conféderation Paysanne 2012.
<www.confederationpaysanne.fr/sites/1/mots_cles/documents/LIVRE_NOIR.pdf>
– Chambre agriculture Bretagne : Publics non issus du milieu agricole; Besoins en formation professionnelle et accompagnement 2012
– ASP : Installation sans DJA (2012) <www.orda-lr.org/IMG/pdf/installation_sans_dja_asp_etudes_2012.pdf >
– A. Choplin : Accompagnement et financements des non-bénéficiaires de la DJA Supagro Montpellier 2013 http://web.supagro.inra.fr/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=1616
– Repères paysans 2016. Organe des « Cafés paysans » de Grenoble www.reperes-paysans.org
– Actes des Assises de la Transition alimentaire, agricole et de la pêche. Lorient, 2017
– Les néo-paysans, aubaine ou fléau pour l’agriculture ? 2017.
https://wikiagri.fr/articles/les-neo-paysans-aubaine-ou-fleau-pour-lagriculture-/14311
Transrural initiatives. 15 MAI 2018 : L’installation agricole atypique, avec ou sans aides ?
www.transrural-initiatives.org/2018/05/linstallation-agricole-atypique-avec-ou-sans-aides
Télegramme 11 Mai 2018 : Loudéac souhaite développer le salariat agricole
https://www.confederationpaysanne.fr/mc_nos_positions.php?mc=22
https://www.cyclopaysannpdc.net
http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-info/i1460.pdf
1 De 2010 à 2016, la taille des exploitations a augmenté de 11 %, leur nombre à diminué de 12 %.