Mélanie Mardelay, la cuisine végane au cœur… et au bout des doigts !

(Rediff) C’est à l’occasion du veganuary, le plus grand mouvement mondial végan*, encourageant depuis 2014 à manger végan tout au long du mois de janvier, qu’Eco- Bretons part à la rencontre de Mélanie Mardelay, cheffe culinaire de la région de Dinan (22). Mélanie y élabore ses recettes végétales qu’elle transmet avec passion, pédagogie et humour. Et c’est en toute sincérité et simplicité qu’elle nous parle de son parcours de transition professionnelle qui lui a permis d’accorder ses convictions éthiques, environnementales et sociales avec sa passion de la cuisine.


J’ai créé mon blog en 2014, à l’époque j’étais traiteur, très fraîchement végane et j’avais envie de partager mes recettes pour le quotidien, pour contrebalancer la cuisine plus élaborée que je proposais dans mon travail. C’était un peu mon carnet de bord.
J’ai commencé à me questionner en 2013, grâce à mon travail justement. Je proposais des menus de fêtes essentiellement pour des mariages et, bien que travaillant avec des produits bios, locaux, je trouvais que j’utilisais quand même pas mal de produits animaux (il s’agissait davantage d’une réflexion logistique à cette époque que éthique). Un week- end où j’avais une grosse commande de desserts, et que je cassais des dizaines d’œufs à la main, je me suis demandée ce qu’il en était des plus grosses entreprises en restauration : si moi, petite boite, j’avais déjà autant d’œufs à casser, comment se fournissait les autres ? Et comment arrivait-on à les fournir, surtout ! J’ai commencé à me renseigner sur l’élevage de poules et j’ai mis les pieds dans un système dont je n’avais absolument aucune idée avant : les couveuses et le sort réservés aux mâles, les immenses bâtiments fermés, le traitement et la fin des animaux pourtant élevés aux normes bios. Ça a été une claque énorme pour moi qui ne m’étais jamais questionnée dessus (pourtant fille d’éleveur en plein air) et mettant le bio en haut du panier en termes d’éthique de vie.

À partir de là, j’ai déroulé une pelote de laine. Si j’avais déjà arrêté de manger du foie gras un ou deux ans auparavant, je suis devenue pendant plusieurs mois végétarienne puis végétalienne le temps de tout réapprendre et de pouvoir aligner mon travail avec mes nouvelles valeurs. Fin 2019, j’ai arrêté mon activité de traiteur pour me consacrer à mon blog et à mes livres et j’en vis depuis.


Sur votre blog « Le cul de poule » et sur les réseaux sociaux ( melanie.leculdepoule sur Instagram), en plus de l’humour, on sent chez vous une attention particulière à ne pas culpabiliser vos lecteur.rice.s, ne pas être parfait.e en cuisine, y aller progressivement…Le désir de transmission est prégnant et non imbibé d’injonctions à la perfection écologique…
Y êtes-vous attentive dans votre façon de transmettre vos convictions ? Vous parlez également de féminisme, de charge mentale etc…


J’y suis très attentive aujourd’hui, mais j’étais bien plus rentre dedans au début. Quand on ouvre enfin les yeux, on est en colère contre le monde et contre soi, on a envie que tout aille vite et on ne comprend pas que plus de gens ne sont pas déjà engagés dans une transition alimentaire. Si j’ai toujours partagé avec humour et passion je pense que je manquais de nuances au tout début, j’étais très vindicative. Aujourd’hui, je suis toujours très droite dans mes bottes mais j’ai appris à modérer mon discours afin de toucher plus de gens. J’ai appris à prendre en compte les freins des un.es et des autres et à comprendre qu’il est indispensable que chacun.e aille à son rythme et qu’on avance bien plus facilement quand on est soutenu.e que quand on est jugé.e.
Et adopter un mode de vie végan, donc pour les animaux, c’est aussi, irrémédiablement, investir et relier de nombreux combats idéologiques. On ne peut pas être féministe et manger des produits issus de l’exploitation des femelles par exemple**. Quant à la charge mentale, elle est déjà omniprésente chez les femmes, mais quand vient s’ajouter un changement d’alimentation pour le foyer, ça devient carrément colossal. Donc oui, ce sont des sujets qui me tiennent énormément à cœur car être vegan est un choix politique et on ne peut pas se contenter de présenter ses casseroles sans englober tous ces sujets.


Si la nutrition m’a toujours intéressée, j’ai été obligée de m’y pencher un peu plus en ayant des enfants car évidemment, rien n’est fait pour nous aider donc il fallait à l’époque chercher par soi-même. Heureusement aujourd’hui on trouve des ressources scientifiques fiables et en français (ONAV, vegan pratique). Je ne pense pas que ce soit un prérequis pour devenir végan, clairement. Combien de personnes mangeant de la viande se soucient de leur équilibre alimentaire ? On ne leur demande rien, or on exige des personnes végétaliennes une connaissance parfaite afin de prouver que c’est viable et qu’elles ne se mettent pas en danger. Les preuves existent mais ne sont pas du tout véhiculées en France, bien au contraire.
Donc c’est plus par défaut et pour rassurer les gens que je me suis formée sur le tas et surtout que je travaille avec une diététicienne nutritionniste sur de nombreux ouvrages qui traitent de la nutrition. Mon métier, ça reste la cuisine.


Selon vous, quelles peuvent être les raisons en France, en Bretagne terre d’élevage, pour que l’alimentation végétale provoque autant de crispations, de réflexions souvent ironiques ou agressives ? Quels sont vos conseils pour y faire face et emmener un peu plus de
compréhension sur ce choix alimentaire ?


Indiscutablement le patrimoine culinaire français qui peine à se renouveler et à se moderniser et les lobbies agro alimentaires qui pèsent de façon colossale dans toutes les décisions liées à une amélioration des conditions de vie des animaux, à la santé des humains, et à l’environnement de manière générale. Tant que des politiques ne s’empareront pas davantage de ces sujets afin de faire bouger les lignes au niveau législatif, on ne peut que continuer de sensibiliser l’opinion publique, montrer qu’une autre voie est possible. On ne convainc pas, on amène à réfléchir et on propose des alternatives. Personne n’aime s’entendre dire que ce qu’il fait est mal ou qu’aujourd’hui, on peut faire autrement. Il faut sortir du jugement des comportements individuels pour proposer un autre choix de société. Il faut que l’on puisse s’identifier à un mode de vie pour l’embrasser et aujourd’hui, les alimentations végétales peinent à se faire une place à cause de ces lobbies qui se gavent littéralement au détriment du vivant. Mais on avance.
Je nous vois un peu comme un tracteur, lent mais bien solide, plus que comme une voiture de course.


Une question m’intrigue quand je vous écoute sur les RS notamment sur Instagram…Bien que ce soit évidement au cœur de votre choix de vie, vous parlez finalement assez peu d’antispécisme, de votre rapport aux animaux…Le côté émotionnel engendré par l’exploitation animale laisse la place à la joie, le partage, le plaisir de se nourrir sans souffrance animale. Est-ce un choix conscient de ne pas l’évoquer frontalement ?


C’est une bonne question. C’est un vrai choix que de l’aborder comme ça oui. Comme je le mentionnais, au début j’étais assez vindicative et j’ai passé beaucoup de temps à essayer de mettre les gens face à leur contradiction. Je partagerai volontiers tout ce qui me tombait sous la main afin de montrer mes “preuves”. Et je me suis fatiguée, j’étais tout le temps en colère. Je n’avais pas envie de devenir une personne aigrie alors j’ai décidé de me consacrer à ce que je savais faire, mon cœur de métier : la transmission et l’apprentissage de la cuisine. Ça ne m’empêche nullement de proposer de longs articles (les RS c’est quand même très limité et ce n’est absolument pas là que se trouve l’essentiel de mon travail…) sur comment devenir végan, pourquoi, les dessous de l’élevage. Je traite également de ces sujets dans mes webzine dont le dernier en date sur le végétarisme et les dessous des produits laitiers. J’ai réalisé plusieurs vidéos sur mon parcours, sur le choix moral que c’est de devenir vegan et comment le vivre au quotidien vis à vis des animaux.
En résumé, quand on défend une cause, on ne peut pas être à tous les échelons pour faire changer les choses, c’est absolument impossible. Moi je ne me situe pas au début comme élément déclencheur. Mais je suis là quand les gens décident de creuser et de s’y mettre en cuisine. C’est comme si on reprochait aux personnes qui écrivent des livres sur le spécisme ou qui réalisent des podcast sur la condition animale de ne pas proposer en même temps des recettes de cuisine. Chacun sa zone de combat et c’est ensemble qu’on fait avancer les choses, je ne suis qu’un maillon.


Une vraie connexion avec le vivant, ce qui m’entoure, que j’avais très peu avant. Bien qu’ayant vécu toute ma vie à la campagne, entourée d’animaux, la dissonance cognitive était très forte, tout ça c’était un peu acquis pour moi, je ne le remettais pas en cause.

Aujourd’hui je suis bien plus consciente que tout est lié. Rien de spirituel là-dedans : nous sommes des animaux, qui vivons dans un environnement que nous ne respectons pas. Ça ne peut pas durer. On ne peut pas se comporter comme des dieux vivants en crachant sur ceux qui nous entourent, animaux, humains, nature et se regarder dans la glace en espérant que rien ne change.




Votre deuxième livre  » Dépenser moins, manger mieux » sort ce mois de janvier aux Éditions La Plage, comment l’avez-vous conçu et si vous deviez donner un seul argument pour se mettre à la cuisine végétale, quel serait-il ?


Je l’ai conçu comme une boîte à outils afin qu’il soit transposable dans un maximum de cuisines. Je ne crois pas à une seule méthode d’organisation en cuisine, je voulais que, quelle que soit la composition du foyer, les gens puissent se l’approprier et s’investir dans la qualité de leur assiette en préservant leur portefeuille. Le budget est un élément central de nos repas, quel que soit notre régime alimentaire, nous sommes quand même une majorité à y prêter attention et à vouloir mieux manger.
Mon argument est que la cuisine végétale est vraiment très facile. Ce qui est dur, c’est de s’y mettre dans la tête et dans l’organisation. Mais la cuisine végétale du quotidien en soi est réellement très facile et à la portée de tout le monde.


Eco- Bretons étant un média engagé dans les transitions écologiques, pouvez-vous nous dire ce que la notion de « transition écologique » vous évoque et comment est-elle ancrée chez vous en Bretagne ?


C’est un changement et je trouve que le terme transition englobe bien toutes les étapes par lesquelles on doit nécessairement passer. Les brûler ne va aider personne, ni les animaux, ni l’environnement ni les humains… On est encore au stade de l’information en Bretagne avec tous les freins pour y accéder que nous avons vu. On doit réfléchir collectivement à une autre façon de traiter le vivant et je ne pense pas qu’il y ait une solution qui fasse l’unanimité. Cependant, actuellement ce sont les intérêts d’une minorité qui décident pour la majorité et ce n’est pas tenable. Je trouve formidable toutes les alternatives qui se font à l’échelle d’un territoire, aussi petit soit-il. On a tendance à parler pour la France, mais on voit bien que les décisions majeures ne viendront pas d’en haut en premier lieu. La Bretagne est emprisonnée dans sa façon de faire, dans un élevage intensif et toutes les catastrophes qui en découlent, le monde de l’élevage et de l’agriculture n’a que très peu de marge de manœuvre. J’espère qu’un jour on arrivera à trouver une solution pour arrêter ces exploitations qui broient autant les animaux que les humains.


« Si, quand vous pensez à la crise climatique ou à la violence de notre système alimentaire, vous vous sentez impuissant•e et vous vous dites « J’aimerais tellement pouvoir faire quelque chose » : vous pouvez. ». Ces mots de Joaquin Phoenix, célèbre acteur américain et un des parrains du veganuary, résonnent avec ceux de Mélanie Mardelay. Alors n’hésitez pas à découvrir ses recettes savoureuses dans ses livres ou sur son blog !


Pour découvrir :
blog Le cul de poule
Instagram
webzine Le coup de fouet 

Définitions :


*Véganisme : Être végan est un mode de vie basé sur le refus de toute forme d’exploitation animale, la Vegan Society le définit ainsi : « « Une philosophie et façon de vivre qui cherche à exclure – dans la mesure du possible – toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux, que ce soit pour se nourrir, s’habiller, ou pour tout autre but, et par extension, faire la promotion du
développement et l’usage d’alternatives sans exploitation animale, pour le bénéfice des humains, des animaux et de l’environnement. En matière diététique, il désigne la pratique de se passer de tous les produits dérivés en tout ou partie d’animaux. »


Végétarisme : Le végétarisme est une pratique alimentaire qui exclut la consommation de chair animale.


Pour aller plus loin :


** Chercheuse en philosophie, Myriam Bahaffou s’intéresse à l’analogie historique entre l’exploitation des animaux et l’exploitation des femmes. Article du journal Usbek et Rica