Pour beaucoup, la couleur de Marrakech c’est le vert ces jours-ci. Verte comme le fut la palmeraie dont il ne reste plus que le nom, tant elle a été grignotée par la promotion immobilière des années 90 et 2000. Verte comme les nombreux parcs et jardins qui ponctuent la nouvelle ville et qui feraient presque oublier que Marrakech est aux portes du désert. Verte comme l’économie que les entreprises, venues en masse à cette COP 22, essaient de vendre aux autres parties prenantes à cette réunion annuelle sur le climat. Verte enfin la zone où se retrouvent, sans se mélanger, les ONG d’une part et les entreprises d’autre part. Les unes parlent d’initiatives collectives, de solidarité, de soft technology et d’avenir partagé, les autres parlent de high technology, de climate finance, de nouveaux marchés et d’avenir en croissance.
Mais la vraie couleur de Marrakech, c’est le bleu. Bleu comme le ciel évidemment sauf quand il tombe des cordes comme le lundi 7 novembre qui était la façon du ciel de nous souhaiter la bienvenue. Bleu comme le bleu Majorelle pour nous rappeler que Marrakech a de tous temps était un havre pour les artistes de toutes sortes. Bleue comme la zone où seules ont accès, les personnes accréditées, c’est-à-dire les ministres, les délégations des Etats et les « observateurs » représentant de la société civile ce qui fait quand même quelques milliers de personnes venant de 196 pays. Bleu enfin comme le blues des participants à cette COP 22 .
Il est vrai que les uns et les autres ont des raisons d’avoir des bleus à l’âme. Tout d’abord, il y a eu ce coup de tonnerre incongru dans la nuit du 9 novembre. L’élection surprise d’un climato-sceptique en pleine COP 22, c’est-à-dire la première COP après la ratification ultra-rapide de l’Accord de Paris par les Etats-Unis, était effectivement un symbole lourd de sens. Et les officiels avaient beau die que cela n’était pas grave, que le mécanisme de l’accord-cadre sur le climat était quasiment irréversible, il n’empêche que dans les premières heures l’appréhension était palpable dans les travées de la zone verte, dans l’immense hall de la société civile qui avait toute les raisons de redouter le pire de cette nouvelle administration américaine.
Mais de toute façon, cela n’a fait qu’accentuer le sentiment de frustration et d’impatience des ONG qui ont le plus souvent plus d’idées et de bonnes volontés que d’argent pour les mettre en œuvre. Et quand elles réclament que la COP 22 soit celle de l’action, celle de l’implémentation comme on dit en franglais, c’est bien de cela dont elles parlent : mobiliser l’argent public ET privé, promis à Paris (100 milliards par an pour les seuls Etats) au profit AUSSI de leurs initiatives. Or le nombre d’initiatives dignes d’être soutenues croît plus vite que les financements d’où l’apparition de comportements concurrentiels que les unes et les autres regrettent sans pour autant pouvoir les enrayer.
Les Etats aussi ont le blues, pas tous mais la plupart, à commencer par les plus pauvres, qui, pour les mêmes raisons que la société civile, ont les mêmes impatiences et les mêmes frustrations.
Quant aux diplomates des pays restant, je ne sais pas s’ils ont le blues car n’ayant pas accès à la zone bleue, je ne les côtoie jamais. Ils sont bien trop occupés à rédiger la déclaration finale du 18 novembre pour venir dans la zone verte voir et écouter ce que la société civile du monde entier a à leur montrer et à leur dire. Un strapontin dans la négociation de haut niveau ne permet pas aux « observateurs » des ONG de pouvoir toujours exprimer la diversité et la richesse des mouvements qu’ils représentent.
D’un côté des jeunes pousses privées de nutriment, de l’autre des diplomates hors sol. Cela risque d’être assez stérile. Finalement les seuls qui tireront leurs épingles du jeu sont ceux qui ont les deux pieds dans la réalité et dans l’action et les moyens d’agir, les entreprises. Pour elles, tout est devenu « climate », « climate technology », « climate finance », « climate jobs », « climate products ». J’ai envie de dire que « climate » est surtout marketing. Pour le coup ça me donne le blues.