Il y a comme cela des mots ou des expressions qui apparaissent, deviennent à la mode et ont un tel succès que, finalement, tout le monde se les approprie. Évidemment, comme il s’agit d’expressions nouvelles, leur signification reste un peu floue et chacun y met ce qu’il veut, un peu comme dans une valise.
Cet été nous nous intéresserons à quatre expressions qui sont dans le ton de ce site : développement durable, transitions (qui peut être énergétique ou écologique, voire les deux à la fois), innovation ( qui peut-être sociale, technologique, commerciale) et démocratie participative (forcément participative, aurait dit Marguerite Duras).
Le feuilleton de l’été « les mots valises » chapitre troisième « innovation »
premier épisode : innover ou mourir
Comme d’habitude, je voulais commencer ma petite exploration des mots éculés par un petit détour par le dictionnaire, mais ce que j’y ai trouvé m’a laissé perplexe. En effet passons rapidement sur la première définition qui est une lapalissade
Action d’innover ; son résultat : .
En effet autant les deux premières définitions qui suivent me paraissaient cohérentes entre elles, autant la troisième m’a paru un peu plus éloignée
Introduction, dans le processus de production et/ou de vente d’un produit, d’un équipement ou d’un procédé nouveau.
Ensemble du processus qui se déroule depuis la naissance d’une idée jusqu’à sa matérialisation (lancement d’un produit), en passant par l’étude du marché, le développement du prototype et les premières étapes de la production.
Processus d’influence qui conduit au changement social et dont l’effet consiste à rejeter les normes sociales existantes et à en proposer de nouvelles.
Manifestement, les deux premières définition se rapportent au monde de l’entreprise alors que la troisième concerne un concept de plus large application
Dans le monde de l’entreprise l’innovation est devenue une obligation, un impératif catégorique comme aurait Kant. Sans innovation tu meurs. Mais pour autant les penseurs de l’entreprise ont du mal à la définir autrement qu’ainsi « l’innovation, ce serait une invention qui aurait trouvé son marché. » Un peu réducteur, non ?
l’OCDE définit l’innovation comme « [L]a mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé (de production)nouveau ou sensiblement amélioré […], d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d’une entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures. » (Manuel d’Oslo 3ème réédition).
Mais il n’y a pas que que dans l’entreprise que l’innovation est devenu un passage obligé. Les pouvoirs publics s’y sont mis à leur tour et notamment dans le cadre de leurs relations avec leurs partenaires associatifs. Combien d’appels à projets, combien de conventions partenariales insistent sur les aspects innovants de l’activité ou du du projet que ces services de l’État ou les collectivités territoriales acceptent de financer ?
Par exemple le Conseil régional de Bretagne dans sa direction de l’économie, dispose de deux services consacrés à l’innovation
SERVICE DE L’INNOVATION ET DU TRANSFERT DE TECHNOLOGIES
« Le SITT gère les dispositifs de soutien aux projets industriels innovants et développe des outils d’interface et appui technique aux entreprises afin de valoriser la recherche et de favoriser la diffusion des technologies. »
SERVICE DE L’INNOVATION SOCIALE ET DE L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
« Le Service de l’innovation sociale et de l’économie sociale et solidaire gère les dispositifs de soutien et appels à projets qui visent à consolider les structures et les acteurs du secteur, à développer la vie associative et stimuler l’innovation sociale. »
Wikipédia a consacré à l’innovation, un article très long et très documenté que je vous invite à lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Innovation dont je ne retiens que cet extrait : « L’innovation est souvent aujourd’hui appréhendée par un modèle linéaire de progrès »
Ainsi donc, l’innovation nous renvoie à l’idée de progrès. Tiens voilà un mot qui fut un mot-valise il y a quelques années et qui est depuis tombé en désuétude depuis que nous nous sommes rendus compte que le progrès qu’on nous avait vendu n’avait pas tenu ses promesses. En effet dans toutes les définitions de ce mot, nous n’avons retenu la plupart du temps que celle-ci : « Transformation vers le mieux dans un domaine particulier, évolution vers un résultat satisfaisant, favorable ».Or, l’actualité économique nous montre tous les jours que ce progrès, technologique le plus souvent, n’apporte pas que du bon. En serait-il donc de même avec l’innovation ?
On peut en effet le penser. En effet, la nouveauté n’est pas une qualité intrinsèque, c’est l’usage qu’on en fait qui en fait la valeur.
Si donc on considère, malgré tout, que le progrès, c’est ce qui rend les choses meilleures, nous sommes amenés à penser que l’innovation est donc un processus, technique, social ou organisationnel, qui produit quelque chose de nouveau ET de meilleur. Et là, cela nous renvoie à notre propre échelle de valeurs : quand considérons-nous qu’un objet qu’un mode d’organisation, que des relations sociales sont meilleurs ? Comme chacun voit midi à sa porte, tout le monde y trouve son compte et c’est ce qui fait le succès du mot « innovation » parce que dons nos esprits, son inverse est « ringardise » « archaïsme » et personne ne veut être ni ringard, ni archaïque.
C’est pourquoi l’innovation est donc mise à toutes les sauces : innovation technologique, innovation managériale, innovation collaborative, innovation de rupture, innovation pédagogique, innovation incrémentale, et que sais-je encore. Demain, je m’arrêterai à l’une d’entre elles, l’innovation sociale, qui à elle seule, fait déjà un sacré buzz.