(Par Dominique Guizien, président d’Eco-Bretons) Notre-Dame-des-Landes est mort. Vive Notre-Dame-des-Landes, a-t-on envie dire paraphrasant ainsi les hérauts de l’Ancien Régime, annonçant la fin d’un règne et le début du suivant.
La décision qui a mis fin à près de 50 ans d’atermoiement des gouvernements successifs clôt un chapitre tumultueux de l’histoire de l’aménagement de notre espace et ouvre, peut-être, en même temps, une nouvelle ère. Ce fut donc une décision sage puisque manifestement les positions étaient si profondément figées que le statu quo n’était plus possible. Sage surtout parce, que tournant le dos à des schémas de pensée du passé, le Premier Ministre a choisi de prendre en compte les arguments de ceux qui croient que notre présent appartient déjà aux générations futures.
En effet, un projet conçu il y a 50 ans, à une époque où tout le monde ou presque pensait que notre planète pouvait indéfiniment subir une croissance elle-même infinie, était un vieux projet et si son urgence avait été déclarée à l’époque, il est certain que ce demi-siècle d’inaction a démontré que cette urgence était surtout dans la tête de ceux qui croyaient à l’époque que agir ne pouvait rimer qu’avec construire.
Mais cette décision ne saurait s’arrêter à cela sinon ce ne serait, comme le proclament les déboutés du droit de bétonner, qu’un reniement de plus de la puissance public. Or, en cette période où les pouvoirs publics ont mauvaise presse, rien ne serait pire qu’un aveu de faiblesse de nos représentants dans une époque où la démocratie est partout, battue en brèche.
Cette décision doit donc s’inscrire dans un projet politique global.
Le territoire des mobilités
Pour l’instant, un seul élément a été mis sur la table : l’aéroport de Nantes-Bouguenais va être aménagé pour faire face aux évolutions prévues du trafic. Pour le reste, rien n’est écrit.
Et pourtant, la page est encore blanche concernant l’avenir des transports dans le grand Ouest.
La première question qu’il convient de se poser : comment un aéroport s’inscrit-il dans le schéma des mobilités des populations concernés ? Cette question est fondamentale et aurait même dû être posée en préambule du débat public sur un projet précis.
Ceci nous pourrait nous amener très loin dans la réflexion sur l’aire géographique d’analyse, sur la nature des mobilités selon les populations, les périodes de l’année et les aires d’analyse. Il y a paraît-il un document qui synthétisera tout cela : on appelle cela SRADDET en jargon administratif, ce qui veut dire Schéma d’aménagement, de Développement Durable et d’Egalité des Territoires. Si la réflexion s’étend à la Bretagne, ce document pourrait même s’appeler Breizh COP, en référence à la méthode utilisée pour discuter largement des changements climatiques au niveau planétaire.
La rénovation du débat public
Cette décision met en évidence, par contraste, les graves dysfonctionnement du débat public. Les procédures mises en place jusqu’à présent ne sont le plus souvent que des enquêtes commodo-incommodo un peu poussées visant à mesurer le degré d’adhésion ou de refus des populations locales. La convention d’Aarhus a rajouté un volet environnemental mais à aucun moment, pour des infrastructures qui vont durer des décennies, on ne se préoccupe de l’impact de tels projets pour les générations futures . En outre, si l’analyse écologique est d’un quelconque intérêt, elle nous apprend que le monde du vivant n’a pas de frontière mais qu’il a une mémoire et donc que l’impact ne se mesure pas sur quelques kilomètres, ni sur quelques années. A cet égard, je voudrais rectifier deux petites erreurs d’analyse faite par les défenseurs du projet qui s’appuient sur un vote des populations concernées. La première erreur est d’affirmer que la démocratie a parlé puisque la population du département a été consultée puis dans la même phrase ajouter que ce projet concerne quand même les 8 millions d’habitants du grand Ouest. La seconde erreur est justement de penser que seules sont concernées les gens vivant aujourd’hui sans tenir compte des reproches de ceux qui naîtront dans 20 ou 30 ans dans un monde plus invivable que le nôtre parce que nous aurions laissé les choses se dégrader. Or ceux-ci ne pouvant s’exprimer, il aurait fallu que d’autres le fassent. L’expertise ici a manqué. Voici de nouvelles pistes à creuser pour que demain, le débat autour de tout nouveau projet de territoire se déroule dans des conditions sereines. A défaut, il est à craindre que ces projets deviendront autant d’abcès de fixation et des projets nouveaux deviendront faute de consensus, des vieux projets. L’exemple de Notre-Dame-des-Landes, mais il n’est pas le seul, est là pour nous montrer que les vieux projets sont par essence des projets morts-nés.
Un projet de territoire
Reste la question du devenir de ces 1650 hectares rendus à un usage autre. Il convient d’abord de souligner que si ce projet a aussi longtemps résisté aux tentatives de passage en force ou en souplesse de l’Etat, cela tient surtout à la grande capacité des habitants de ce territoire précis à se regrouper pour exprimer un refus collectif. Sans cette résistance initiale, il y a longtemps que le dernier Concorde se serait envolé de Nantes. Ce territoire est d’abord le leur. Sans l’agrégation d’autres personnes venues les rejoindre parce qu’elles trouvaient que leur combat était juste, parce que les résistants de la première heure proposaient une vision de l’agriculture et de la gestion des espaces ruraux qui convenaient à leurs aspirations, Vinci aurait déjà inauguré son 36eme aéroport. Ils s’y sont installés pour certains et ont développé des activités conformes à ces aspirations. Ce territoire est devenu aussi le leur. Ce sont donc eux qui doivent dire ce qu’ils veulent faire de ce territoire. Et quitte à fâcher les grincheux, c’est faire trop d’honneur à ces quelques kilomètres carrés de les ériger en bastion de la lutte anti-capitaliste. Le capitalisme mondialisé est autrement puissant pour se préoccuper de ces quelques arpents de bocage. La lutte contre les prédateurs de l’économie mondiale doit se mener ailleurs et avec des moyens autrement puissants. La remise en état rapide des routes sur cette zone sont un premier signe qui montre que les occupants de la zone ont bien l’intention de faire de ce territoire, un territoire de projet.
La voie de la sagesse ?
L’abandon du projet aéroportuaire est un premier petit pas sur la voie de la sagesse. Par modestie, je ne dirai pas que les trois pistes esquissées ici sont la voie de la sagesse mais j’ai la faiblesse de croire qu’elles peuvent y contribuer.
Pour tout dire, si demain, les SRADDET de Bretagne et des pays de Loire, élaborés dans le cadre d’un débat public rénové dans le sens indiqués ci-dessus, remettaient sur la table un projet d’aéroport du côté de Nantes, si demain les 1650 hectares de l’ex-ZAD devenaient une zone d’élevage intensif partagée entre une petite dizaine d’exploitants agricoles, je serai évidemment très déçu mais pas découragé pour autant. Cela prouverait que le message des acteurs de la transition écologique et de médias indépendants comme Eco-Bretons n’aura pas encore été suffisamment audible et qu’il convient donc d’en renforcer l’audience.