L’eau bretonne, un bien commun ?
A Morlaix (29), des habitants se mobilisent pour une eau publique
« La gestion de l’eau, c’est une question à la fois éthique, politique, économique, écologique et sociale », plaide Claude Graignic, membre du collectif eau publique Morlaix – Saint Martin des champs. Créé au printemps 2009, le groupe se mobilise pour un retour en régie publique sur leur intercommunalité. En effet, le SIVOM y délègue depuis 1974 la gestion de l’eau et de l’assainissement à la multinationale Veolia. « Le rôle d’une entreprise privée est la réalisation d’un profit, rappelle Claude Graignic. Or, l’eau est un bien commun de l’humanité, c’est inscrit dans la loi. »
« Les entreprises cherchent à faire de plus en plus de profit, et il y a deux manières pour ça, développe le militant. Soit rogner sur les investissements, soit rogner sur les profits des actionnaires. » Au-delà du prix trop élevé de l’eau, le collectif dénonce ainsi l’absence de travaux d’entretien et de renouvellement du réseau par Veolia. De plus, selon Claude Graignic, la qualité de l’eau et l’intérêt général ne sont pas la priorité pour une multinationale. « Une boîte privée peut proposer tout un tas de systèmes payants pour purifier l’eau de mauvaise qualité, explique-t-il. Alors qu’en public, on peut travailler en amont, avoir une vision globale, sur l’agriculture par exemple, pas juste traiter l’eau. »
Pour le collectif eau publique, le retour en régie publique serait donc synonyme d’un prix acceptable et d’une eau de bonne qualité. Pour autant, son combat n’est pas gagné. « En nous mobilisant en 2009, on voulait que l’eau revienne en régie publique », retrace Michel Marzin, également impliqué dans le collectif. « On a fait une pétition, un vote, qui ont mobilisé beaucoup de monde », poursuit-il. Malheureusement, fin 2011, le contrat avec Véolia est reconduit pour 8 ans, à une voix près. Il s’achève donc désormais en 2020. « Mais c’est maintenant que ça se trame, pas en 2020, alertent les deux militants du collectif. Même si ça intéresse moins les gens, parce que c’est assez complexe et rébarbatif ».
Lannion : une régie publique pour l’une des eaux les moins chères de Bretagne
A Lannion dans les Côtes-d’Armor, la régie publique est plus que centenaire. « L’avantage de la régie publique, c’est le prix de l’eau, témoigne Michel Blin, ancien conseiller municipal de Lannion. On est dans les moins chères de Bretagne. » A la fin du mandat de l’élu, en 2008, le budget eau de la ville est à l’équilibre : il n’y a aucun emprunt en cours. Une information qui rend surprenants les bilans déficitaires affichés par les multinationales de l’eau. « L’eau est un marché juteux, ajoute Michel Blin, ça rapporte énormément. » Selon lui, les multinationales comme Véolia ne sont pas déficitaires mais imputent des charges de structure à leurs antennes locales. Des manœuvres financières dénoncées notamment par un rapport de la Cour des Comptes publié en 2003. La conséquence ? « Les budgets présentés sont ultra déficitaires, alors
qu’en réalité, c’est faux, explique l’élu. D’ailleurs, si c’était le cas, pourquoi ils en redemanderaient, pourquoi est ce qu’ils renégocieraient sans arrêt les contrats avec les villes ? ».
Même constat du côté de Christian Méheust, l’élu actuellement en charge de l’eau pour la ville de Lannion. « Il y a une volonté municipale de fonctionner en régie, pour faire payer aux abonnés le prix de l’eau, et seulement le prix de l’eau, explique-t-il. Sans bénéfices pour une entreprise privée. » Il rappelle ainsi que le prix est très souvent plus élevé dans les communes fonctionnant en Délégation de Service Public. « L’eau ne devrait pas faire l’objet de bénéfices pour des entreprises privées cotées en bourse, affirme Christian Méheust. D’autant plus, que moins elles investissent, mieux elles se portent ». « En régie publique on maîtrise complètement l’eau, dans toutes ses dimensions, ajoute-t-il. On peut avoir une vraie gestion prévisionnelle de l’eau ».
Vers une généralisation de la régie publique ?
« Tout n’est pas parfait, prévient Michel Blin. Je ne défends pas une vision idyllique de la régie publique. » Il dénonce notamment l’absence de centre public de recherche sur la gestion de l’eau. « Ce sont les entreprises qui maîtrisent la recherche, indique-t-il. Et qui livrent des stations clés en main aux communes. » Un obstacle qui complique la reprise en main de l’eau par les collectivités. Christian Méheust souligne lui aussi le caractère technique et pointu de la gestion de l’eau, qui nécessite des compétences spécialisées.
La solution ? Un appui juridique et technique pour les communes souhaitant revenir à une gestion publique de l’eau, selon Michel Blin. Ce dernier évoque également la possibilité de sous-traiter sous forme de contrats à court terme, afin d’effectuer la transition en douceur. Ce fut par exemple le choix de la Communauté de Communes de Lanvollon (22) lors de son passage en régie publique : un changement qui lui a permis de gagner 25 % sur le prix de l’eau.
Les difficultés rencontrées par les communes ne sont donc pas infranchissables. Christian Méheust observe d’ailleurs une tendance de ces dernières à reprendre en main la gestion de l’eau sous forme de régie. La maîtrise de l‘eau par une collectivité en quantité en qualité en prix est éminemment politique et non technique ou juridique, énonce un compte-rendu de la ville de Lannion, datant de 2005. « Il s’agit d’une volonté politique, confirme Michel Blin. En régie publique, on maîtrise tout, on est redevable devant les citoyens, et s’il y a un problème, ils s’adressent à nous ». « C’est ça le fondement : c’est la démocratie », conclut l’élu.
Pour aller plus loin : le film Water makes money.
water makes money (Arte) from PWhite on Vimeo.