Energies renouvelables : entre équilibre d’approvisionnement et défi de stockage
Nous ne sommes pas encore en hiver, mais la météo s’est déjà déchaînée sur la Bretagne et son réseau électrique. Christian, la dernière tempête a privé près de 30 000 foyers d’électricité pendant plusieurs jours et nuits. Ce qui nous conduit à penser aux énergies renouvelables : en quoi peuvent-elles nous protéger des blackouts ? « Tout dépendrait de leur équilibre d’approvisionnement sur le réseau électrique » explique Markus Kauber, chargé de communication d’Enercoop Bretagne.
Selon lui, « si on développe, entretient et intègre les énergies renouvelables au réseau déjà existant, alors on augmente la stabilité de celui-ci. Pour mieux comprendre, comparons avec Internet : si un ordinateur tombe en panne, il n’y a pas forcément d’impact sur le réseau car il y a des alternatives : d’autres terminaux peuvent prendre le relais. D’où l’importance de bien développer l’intégration des systèmes » La décentralisation favorise ainsi la stabilité du réseau et limite le risque de panne totale.
Prévoir et agir sur la consommation pour mieux l’adapter à la production
Si l’intégration et l’entretien des énergies renouvelables sont indispensables à l’équilibre du réseau, ils vont de pair avec une bonne gestion des installations et de la production. En effet, pour Markus Kauber « il faut prévoir la production des énergies renouvelables en fonction des conditions météorologiques et ainsi maîtriser la demande selon la production : de cette manière, on introduit ces énergies sans nuire au fonctionnement du réseau ».
A ce titre, Bernard Multon explique dans un article de la revue Technologie, sciences et techniques industrielles*: « les autres voies de stockage de l’énergie sont l’exploitation des prévisions météorologiques, aujourd’hui déjà très performantes, pour la prédiction de la production éolienne et solaire, ainsi que le pilotage de la demande. Ce dernier point est déjà bien connu en France où des systèmes de tarification pertinents (heures creuses) ont été mis en place pour tenter de rendre la consommation d’électricité la plus proche possible des moyens de production nucléaire peu flexibles. Une tarification plus fine, permise par les compteurs dits intelligents, pourra à l’avenir autoriser un pilotage beaucoup plus fin de toutes les charges électriques non prioritaires, qui tolèrent d’être décalées dans le temps ou graduées en puissance. Enfin, la conduite des réseaux et leur instrumentation devra comporter beaucoup plus d’intelligence qu’aujourd’hui pour permettre le fonctionnement d’un système plus complexe. C’est tout cela qui est aujourd’hui largement médiatisé sous l’appellation "smart grids" ».
L’auto-consommation : une protection des pannes du réseau ?
Dans le cas d’une totale auto-consommation, les dégâts causés par des tempêtes sur le réseau électrique n’ont pas d’impact à grande échelle sur l’approvisionnement en énergie, puisque celle-ci ne dépend pas du réseau. C’est le cas de la famille Baronnet qui produit sa propre énergie au moyen de panneaux solaires et d’éolienne. Leur maison, située à Moisdon-La-Rivière, est totalement autonome. Mais d’une manière générale, « le stockage de l’énergie est un impératif » rappelle Markus Kauber.
Pour le moment,la solution la plus répandue reste le stockage dans des batteries, mais pas seulement. « Les lacs de pompage-turbinage, comme le projet, inachevé, de STEP (Station de Transfert Energie de Pompage) sur le lac de Guerledan (56) seraient une solution. Deux réservoirs d’eau permettent de pomper l’eau en hauteur lorsque l’on veut stocker. En cas de demande, l’eau est déversée vers le réservoir inférieur et décharge ainsi l’accumulateur. Des systèmes qui assurent le stockage et la stabilité d’approvisionnement énergétique », note Markus Kauber.
Selon Bernard Multon, « cette technologie possède encore un potentiel de développement en France. Des installations de barrages peuvent notamment être aménagées pour devenir réversibles et se transformer en centrales de pompage-turbinage. On peut aussi envisager d’exploiter le dénivelé naturel entre la mer et le haut de falaises, pour construire des STEP. Cela dit, la construction de telles installations n’est pas sans impact. Par exemple, des expropriations peuvent être nécessaires mais l’acceptabilité n’est pas acquise»
En cas de surplus de production d’énergie solaire ou des éoliennes…
…ou d’une manière générale, pour valoriser et pallier toute perte d’énergie, il est important de développer et perfectionner ces technologies de stockage. Reste que pour Bernard Multon, « le stockage de l’énergie est une expression qui nécessite souvent d’être clarifiée. Tout d’abord, il faut bien préciser s’il s’agit d’énergie électrique. Ensuite il existe certains moyens de stockage réversibles et d’autres irréversibles* (CF lexique en fin d’article, ndlr). En ce qui concerne les barrages par exemple, si ceux-ci ne sont pas équipés d’un réservoir inférieur et d’un groupe turbine-générateur capable de fonctionner en pompe-moteur, il sont irréversibles. »
Le stockage d’énergie : un moyen de flexibilité parmi d’autres
Autre moyen de stockage d’énergie électrique? Les batteries électrochimiques, dont 3 technologies sont particulièrement développées en France et dans le monde. Il s’agit des batteries au sodium-sooufre (NaS), au plomb-acide (qui, malgré leur présumée toxicité, sont aujourd’hui bien recyclées et donc peu polluantes) et au lithium. Pour Bernard Multon, « de nombreux moyens de flexibilité, à la fois de production et de consommation existent, et le stockage en est un parmi d’autres, mais sans doute le plus luxueux (cher et très performants). Par exemple, l’effacement diffus constitue une solution très économique pour ajuster la consommation instantanée. Il consiste à agir automatiquement sur des postes de consommation peu sensibles aux interruptions, comme les chauffe-eau ou le chauffage électrique qui peut être coupé pendant quelques dizaines de minutes sans pertes de confort sensible. La régulation rattrape ensuite l’énergie qui n’avait pas été consommée pendant l’interruption, c’est donc un report de consommation. Cette solution permet ainsi de décaler dans le temps la consommation d’énergie et de pallier un déficit instantané de production. »
Pour une transition énergétique douce !
« La méthanation, technique de production de méthane de synthèse renouvelable, est un moyen de consommer l’électricité de façon flexible mais non réversible (le but n’est pas a priori de refaire de l’électricité à partir du gaz). Le méthane ainsi produit peut remplacer le gaz naturel d’origine fossile en profitant des infrastructures et technologies existantes et ainsi constituer une voie de transition aisée. En effet, toute transition énergétique douce est à privilégier car elle a le plus de chance de fonctionner ! » estime Bernard Multon.
Il apparaît ainsi possible de stocker l’électricité sous forme de méthane synthétique. Celui-ci est créé à partir d’une réaction chimique combinant du CO2 issu
des cycles naturels et de l’hydrogène produit via une électrolyse de l’eau obtenue par une électricité renouvelable. Ce méthane synthétique peut être injecté dans les réseaux de gaz (gazomètres* (CF lexique) et conduites de gaz déjà existants ndlr) tout comme le gaz naturel. Cette solution se développe rapidement en Allemagne.
Méthanation et méthanisation: des solutions performantes…
Pour Bernard Multon, « L’idée est ici de produire des combustibles à partir des énergies renouvelables, notamment pour les véhicules terrestres». « La méthanation et la méthanisation (méthane issue de la décomposition de matière organique) sont des solutions dont les capacités de stockage sont très élevées », ajoute Markus Kauber. La méthanisation est d’ailleurs ce que projette de développer la ville de Locminé (56), en vue de produire du biogaz carburant. «Les véhicules électriques à batterie constituent, de la même façon que les installations de méthanation, des charges flexibles car ils peuvent être rechargés intelligemment avec une puissance ajustable dès lors qu’ils sont connectés suffisamment longtemps à une prise » note Bernard Multon.
Vers une meilleure valorisation de notre énergie consommée….
Lors de la production classique d’électricité (via des machines à combustion), beaucoup d’énergie est rejetée sous forme de chaleur dans l’environnement. Or les pertes d’énergies peuvent être valorisées, c’est la cogénération (production simultanée de deux formes d’énergies différentes dans le même processus). Elle est utilisée notamment au sud de Rennes via une chaufferie bois, et de plus en plus d’entreprises y ont recours pour chauffer leurs locaux.
*Septembre Octobre 2012, n°87 pp37
Lexique:
*Le stockage réversible, qu’est ce que c’est? *Par Bernard Multon:
L’énergie électrique peut se stocker en la transformant en une autre forme d’énergie par exemple chimique (batteries) ou mécanique gravitaire (en pompant de l’eau dans un réservoir en altitude) ou encore en combustible (hydrogène par électrolyse de l’eau). Si la transformation inverse est possible avec un niveau de performances acceptable, on parle de stockage réversible, puisque l’électricité initiale peut être restituée. Lors de telles transformations, il y a des « pertes », c’est-à-dire qu’une partie de l’énergie se transforme en chaleur généralement évacuée dans l’environnement.
Lorsque l’on effectue une double transformation (électricité -> forme intermédiaire, puis forme intermédiaire -> électricité) avec des pertes suffisamment faibles (rendement élevé), on dit que l’on a réalisé un stockage électrique réversible.
Si l’on effectue une seule transformation, par exemple de l’eau qui s’accumule dans un barrage pour produire ensuite de l’électricité ou encore si l’on chauffe de l’eau à partir d’électricité (stockage de chaleur dans un cumulus), on a affaire à un stockage d’énergie irréversible.
Dans certains cas de stockage réversible, par exemple via l’hydrogène, le rendement global sur cycle (stockage puis déstockage) est tellement faible (moins de 30%) que l’on peut s’interroger sur leur niveau de réversibilité.
"La méthanation* est un procédé industriel de conversion catalytique du dihydrogène et du monoxyde de carbone en méthane. Il est principalement utilisé dans les sites de synthèse d’ammoniac. Les ingénieurs du scénario négaWatt estiment que ce procédé pourrait permettre, dans un avenir proche, d’utiliser le méthane de synthèse comme vecteur de stockage et de transport de l’énergie d’origine renouvelable, produite de plus en plus massivement. Ainsi, les énergies renouvelables d’abord transformées sous la forme d’électricité pourraient être à nouveau transformées en hydrogène (par électrolyse de l’eau) qui, combiné au dioxyde de carbone résidu de combustion, produirait du méthane de synthèse injectable dans les réseaux de distribution et dispositifs de stockage déjà existants (voir « Power to gas »)".*Wikipédia.
"La méthanisation*par l’ADEME: La méthanisation (encore appelée digestion anaérobie) est une technologie basée sur la dégradation par des micro-organismes de la matière organique, en conditions contrôlées et en l’absence d’oxygène (réaction en milieu anaérobie, contrairement au compostage qui est une réaction aérobie).
Avantages: valorisation de la matière organique et de l’énergie, diminution de la quantité de déchets organiques, diminution des émissions de gaz à effet de serre, traitement possible des déchets organiques graisseux ou très humides, limitation des émissions d’odeurs.
Contraintes: complémentarité avec l’incinération et/ou avec le stockage en centres de stockages de déchets non dangereux, association avec une phase de compostage pour traiter les déchets ligneux, mise en place d’un traitement des excédents hydriques du process, intégration dans le montage du projet d’une recherche de débouchés pour écouler au mieux aussi bien le produit organique que l’énergie.
Un gazomètre* est un réservoir servant à stocker le gaz de ville ou le gaz naturel à température ambiante et à une pression proche de la pression atmosphérique. (Définition de Wikipédia*).
Plus d’infos:
http://www.enercoop-bretagne.fr/