Une transition énergétique avec ou sans nucléaire : question centrale

Comment EDF remplace l’ancien et construit le neuf ?

Une fois les centrales vieillissantes, la gestion de la déconstruction des réacteurs est essentielle. La réévaluation du coût de ces pratiques et la complexité de la déconstruction des chantiers ont cependant exigé des compétences de gestion plus complexes que prévues. Cela s’explique par la non-prise en compte de la déconstruction des centrales usagées, au moment d’en créer de nouvelles. Alors qu’en est-il des 68 réacteurs répartis dans les 22 centrales en France ? Sur ce point, rappelons que le chantier finistérien du démantèlement de la centrale de Brennilis devait être un exemple en terme de démonstration d’efficacité. Or, la Cour des comptes a évalué à 25 fois plus cher le budget prévu par EDF pour sa déconstruction, soit 10,8 Milliards d’€ au lieu de 19,4 Millions. Le chantier est toujours au point mort aujourd’hui, et 10 autres réacteurs sont actuellement en cours de démantèlement.
Un nouvel EPR (NDLR, Réacteur préssurisé européen) est en construction à Flamanville. Et là aussi, le coût serait doublé par rapport aux prévisions faites : 8,5 milliards d’euros, contre 3 milliards annoncés en 2006.

Un prolongement coûteux et dangereux ?

Les enjeux du prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires suscitent donc le débat d’un point de vue économique, social et environnemental.

Le coût prévu à hauteur de 55 milliards d’euros* de travaux de maintenance par le groupe EDF, a été largement sous-estimé selon le cabinet Wise-Paris, proche des mouvements environnementaux et anti-nucléaires. Le coût d’une prolongation est cependant largement moins coûteux pour EDF qu’une construction neuve. L’Assemblée Nationale s’est d’ailleurs intéressée à ces coûts après la publication du rapport des coûts de ce rallongement de vie, lors d’une commission d’enquête. Hervé Machenaud, directeur exécutif du groupe Production et Ingénierie d’EDF a été auditionné et la somme de ce « grand carrénage » n’a pas encore été exposée dans le détail. Dans cette perspective, la question soulevée est de savoir si la construction de nouvelles centrales nucléaires est compromise par un allongement de leur durée de vie. Dans le but d’obtenir plus d’informations sur ce point, nous avons contacté plusieurs fois EDF mais le groupe n’a pas donné suite à nos demandes.

Selon l’Ancien président du groupe des Verts au Parlement européen, Paul Lannoye, à présent conseiller scientifique du Rassemblement R, cela ne fait aucun doute, « Ces deux réacteurs [NDLR, EPR de Flamanville et de Finlande] vont coûter le double de ce qui était prévu au départ. Le coût sera insupportable pour le budget d’EDF et d’Areva. Les budgets publics sont eux-mêmes en difficultés. D’où le choix de prolonger la vie des réacteurs existants. Ils étaient prévus pour 30 ans. Passer à 40 comme en Belgique est déjà problématique. Mais 60 ans, cela devient beaucoup !  » a-t-il déclaré dans lavenir.net.

Pour Franck Villain, membre de l’antenne locale de Greenpeace à Nantes, d’un point de vue environnemental et humain, l’Europe va vers une nouvelle ère à risques. « J’ai vu tout un tas de personnel partir et 50% des employés partiront à la retraite vers 2015. Avec eux, ce sont des pertes de compétences et de mémoire du fonctionnement des centrales difficiles à acquérir qui sont balayés. EDF fonctionne avec des travailleurs temporaires en Intérim, et c’est problématique dans l’exploitation des centrales ! » témoigne-t-il.
Sur le plan matériel, Marie Nicolas, membre de Sortir du Nucléaire Cornouaille explique que « les cuves et couvercles du cœur de ces centrales ont été prévus pour résister 30 ans à une irradiation intense. Elles sont soumises à des radiations très importantes, elles s’affaiblissent et sont usées dans leur structure. La question est de savoir quelle sera sa résistance après ces 30 ans, d’autant qu’il y a déjà eu des fissures dans les couvercles et dans les enceintes de béton. De plus, les rayonnements entraînent des contraintes physiques et thermiques qui ont entraîné des fissures et de la corrosion. Ce sont des dépôts qui nécessitent des remplacements, mais certaines pièces ne sont plus fabriquées aujourd’hui. Les pièces de rechange actuelles sont peu adaptées et s’usent plus vite. Elles entraînent des incidents et des arrêts de fonctionnement. Les conséquences se définissent par des pertes de rentabilité, qui n’atteindront pas l’objectif des 70% que prévoit le groupe EDF. »

Les deux membres militants dénoncent également un manque de sécurité criant. Sur le plan anti-sismique par exemple, l’équipement des centrales nucléaires se baserait sur des normes des années 70-80 : normes qui ont changées et sont largement dépassées actuellement. Cela impliquerait des travaux titanesques pour la remise aux normes des centrales. Dans le cas de Fessenheim ou des centrales de la vallée du Rhône, les centrales sont construites dans des zones sismiques ce qui entraînerait d’indéniables fuites de radioéléments dans l’environnement.

Économiquement parlant, Franck Villain désapprouve également qu’EDF « parle de 200 milliards d’euros pour construire un nouveau parc nucléaire en France. Ce sont des coûts énormes, qui diminuent l’investissement dans les énergies renouvelables. »

Objectif Transition Énergétique : Une sortie définitive de l’énergie nucléaire envisageable pour la France ?
 

L’Europe et la France restent engagées dans une transition énergétique. L’objectif : diviser par 2 nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020, et par 4 en 2050. François Hollande s’est également engagé à réduire de moitié la part du nucléaire d’ici 2025, en déclarant le 28 novembre 2011 que « la plus ancienne de nos centrales – Fessenheim – sera arrêtée ; le chantier de Flamanville – avec le nouveau réacteur EPR – sera conduit à son terme. Le système de retraitement des déchets et la filière qui l’accompagne seront préservés; aucune autre centrale ne sera lancée durant ce mandat. », avant de proposer « une grande entreprise franco-allemande » pour la transition énergétique le 14 janvier 2014.

Pourrait-on alors voir par là une sortie définitive de l’énergie nucléaire, avec des investissements économiques plus importants dans le déploiement des énergies renouvelables ? Ces mesures pourraient-elles donner lieu à une transition qui permettrait une autonomie énergétique durable de la France ? Entre les pros et les antis-nucléaires, les politiques et les experts, les avis divergent sur la question dans les différentes propositions de solutions, sans véritable débat public.
Mais les changements climatiques eux n’attendront pas : de quelle manière allons-nous donc ava
ncer vers la Transition Énergétique ? Affaire à suivre…

 

* 10 milliards d’euros concernent des investissements de mise aux normes des centrales après la catastrophe de Fukushima, 20 autres milliards d’euros d’investissements sont également prévus pour améliorer la sûreté des réacteurs, 15 milliards sont consacrés à « la maintenance lourde des grands composants » et 10 milliards « au titre d’autres projets patrimoniaux (environnement, risque incendie, risque grand chaud-grand froid) ».

En savoir plus :

http://www.asn.fr/
http://www.greenpeace.org/france/fr/
http://www.sortirdunucleairecornouaille.org/