Un temps avec … Remy Lucas

Est-ce que vous pouvez nous donner quelques informations pour vous présenter ?

Je m’appelle Rémy Lucas. Je suis le créateur et le dirigeant de l’entreprise Algopack située à St Malo ; c’est une entreprise qui a été créée en 2010.
Je suis issu d’une famille Finistèrienne. Mes grands-parents et arrière grands-parents étaient des « paysans marins » qui vivaient de l’agriculture mais aussi un peu de la pêche. Ils allaient récolter le goémon près de Plouguerneau. Ils chargeaient le goémon dans des charrettes à bras avec des chevaux, l’amenaient sur les dunes pour le faire sécher et s’en servaient comme engrais.
Après des études à Brest, j’ai travaillé 15 ans dans la plasturgie. Un jour, j’ai eu l’idée de remplacer le plastique par des algues. À partir de ce jour, j’ai travaillé pendant 10 ans dans mon garage pour passer de la phase d’innovation à la phase recherche-développement. J’ai déposé des brevets après avoir vérifié sur un site pilote que l’innovation était industriable. Aujourd’hui, trois brevets sont étendus au niveau international.

Comment s’est fait pour vous, le choix des algues ?

J’ai participé, lorsque je travaillais dans la plasturgie, à l’émergence les matières agrosourcées à base d’amidon de maïs et amidon de pomme de terre. J’ai choisi l’algue comme bio matériau estimant que c’était le matériau le plus vertueux au regard de la biodiversité et j’ai souhaité créer l’entreprise la plus vertueuse qui soit dans sa globalité : de la matière première jusqu’au produit final.

Qu’entendez-vous par vertueux ?

1 – Les algues absorbent beaucoup de CO2 : elles fonctionnent comme un puit à carbone au niveau de la mer. Elles transforment ce CO2 en sucres et ensuite libèrent de l’oxygène dans l’eau.
2 – Les algues ne consomment ni pesticides, ni eau contrairement à différents agromatériaux à base de maïs ou autre. On ne vient pas polluer le biotope existant mais au contraire on lui apporte quelquechose puisque le développement des algues brunes favorise le développement du plancton en mer.
C’est un matériau en avance par rapport aux plastiques utilisés sur le plan toxicologique : les plastiques contiennent des substances classées CMR (cancérigènes) comme le bisphénol A, le phtalate. Notre matière est moins nocive pour l’homme. Elle ne contient aucune de ces substances, même pas le formaldéhyde.
Il n’entraîne pas de déchets. En fin de vie, on voit des emballages plastiques partout et énormément en mer.
En commençant 50 ans plus tôt, on aurait pu éviter le 8ème continent dont parle Maud Fontenoy. J’ai voulu créer le matériau qui ne générera aucun déchet et j’y suis arrivé ;
Plus encore qu’aucun déchet produit, ce matériau apporte des oligoéléments lorsqu’il est mis en terre.
C’est le premier matériau 100% biocompostable.

 

En quoi fabriquer un matériau à base d’algues favorise la biodiversité locale ?

La biodiversité globale est favorisée au niveau local car on a deux sources d’approvisionnement en algues : la première source est la récolte des algues dans leur élément naturel avec les chaluts et leurs « scoubidous ».
La seconde source, qui se développe maintenant, est la culture d’algues. On cultive les algues en écloserie. On les dépose sur les boutes c’est-à-dire sur des filières et les algues poussent toutes seules. Donc, elles contribuent par leur atout de puit à carbone à un élément naturel très important pour la biodiversité.
Ensuite, c’est une biomasse qui ne pollue pas.
Autre apport : en favorisant le développement de la culture des algues, on contribue à l’émergence d’une filière aujourd’hui en Bretagne qui était historiquement très développée. Utilisée comme engrais dans l’agriculture, cette production a disparu avec l’arrivée des potasses d’Alsace, les engrais chimiques.

 

Jusqu’où pourrait aller la substitution des produits pétrosourcés par des produits biosourcés ?

Tous les secteurs d’activité et tous les usages des plastiques sont concernés : automobile (tableaux de bord,…), jouets, packaging alimentaire ou cosmétique … Ce matériau répond à toutes les caractéristiques techniques requises pour chacun de ces usages.

Y a t’il des obstacles dans la diffusion de ce matériau novateur ?

Le temps est le principal obstacle. Par exemple : pour développer et mettre sur le marché un bouchon cosmétique, il faut fabriquer un moule et que cette pièce soit compatible avec des processus industriels haute cadence de mise sur les bouteilles.
Y a t’il un bénéfice pour d’autres organismes marins que les algues ?
Oui, pour les poissons. L’algue consomme du CO2 pour sa croissance. Elle le transforme en sucre et elle libère de l’oxygène, en particulier « les laminaires ». Plus on apporte de l’oxygène dans l’eau plus on assure le développement du plancton, maillon de la chaîne alimentaire, et plus on favorise la croissance du poisson. Pour le représenter, nous avons une ferme expérimentale dans la Rance et tous les pêcheurs se regroupent autour des algues qui poussent car il y a une multitude de poissons.

Est-ce que l’on peut faire exister la notion de biodiversité dans le commerce ?

Votre génération est plus sensible que la nôtre à toutes ces questions de biodiversité et d’environnement donc on voit une certaine évolution positive, une prise de conscience.
Nous avons une certaine responsabilité pour les générations qui viennent de leur laisser une solution alternative aux plastiques. On est pas là que pour faire de l’argent, on est aussi là pour transmettre et laisser quelque chose.

Les gens sont-ils sensibles à cette démarche ?

Il y a eu trois types de comportements. La première : les gens n’y ont pas cru. La perception a franchi une deuxième étape : c’est possible mais va t’il y arriver ? Et aujourd’hui l’adhésion est totale sur tous les plans.