Un paysan breton en Georgie
Ce n’est pas l’originalité du projet qui étonne au premier abord, mais la facilité avec laquelle ce Français d’origine bretonne déambule, en saluant affectueusement tous les habitants, dans les rues d’Argokhi, ce village caché entre deux vallons, au pied des contreforts du mont Caucase. Ecouté, interrogé, prié, Jean-Jacques Jacob s’exprime dans un géorgien parfait et
semble avoir l’oreille de tous ses voisins. « Je ne connais pas d’autre Français, mais celuici est bon » confie une voisine. L’agriculteur s’est attiré la sympathie du village par son travail : parti avec 1,5 hectare de blé, il a très vite développé sa petite exploitation, a installé son propre four et est en train de construire de nouvelles pièces pour développer son activité de paysan-boulanger. « Les débuts ont été difficiles, je ne produisais qu’une douzaine de pains par semaine, que je vendais devant
l’entrée de l’Institut français. Aujourd’hui, je suis passé à trois fournées, et je produis en moyenne 150 pains que je vends tous les samedis sur le marché de Tbilissi (Ndlr : capitale de la Géorgie). » La prochaine étape devrait être la pose d’une serre professionnelle sur son potager, pour répondre à une demande importante de légumes.
C’est le hasard d’une rencontre qui lui a fait prendre le chemin du Caucase. En 2005, il accompagne une amie en Géorgie où, convié à l’une de ces grandes tablées appelées ici supra, il goûte le pain de son hôte. A sa grande surprise, celui-ci ne suscite chez lui aucune réaction, contrairement au pain occidental qui lui provoque une allergie au gluten. Après quelques recherches, il découvre que la Géorgie est, avec le croissant fertile, en Orient, le deuxième berceau de la culture du blé. En prime, certaines variétés ont été épargnées par les excès de l’agriculture intensive, et se rapprochent des blés primitifs. « Ce sont des blés très hauts, à peu près d’1,5 mètre, et qui ont des barbes. Ils sont très différents des blés qu’on cultive en France, par exemple »,
explique-t-il. Cet homme qui a vécu toute son enfance dans la ferme familiale près de Lannion, sur la côte de Granit rose, nourrit le
désir, depuis plusieurs années déjà, de devenir paysan à son tour. La Géorgie va s’avérer un territoire idéal pour mener à bien son projet.
« Tu confectionnes tes propres fertilisants »
Hôte d’un agriculteur géorgien converti aux méthodes biologiques lors de son premier séjour, auprès duquel il participe aux moissons et à la fabrication de la farine, il franchit le cap l’année suivante en s’installant définitivement en Géorgie. Si les recherches d’une maison en Kakhetie, la principale région agricole du pays, se révèlent plus compliquées que prévu, il finit par s’installer dans ce village ossète (l’une des nombreuses minorités du Caucase) connu pour ses bonnes terres, où poussent
aussi bien le blé et les melons que les pêches. Adepte de philosophie, il veut alors construire un projet « où l’individu serait digne, autonome. Si tu veux l’indépendance, il faut commencer par avoir du bon pain sur la table », assène-t-il. Il choisira les méthodes de l’agriculture biodynamique, « qui te rend autonome, parce que tu confectionnes tes propres fertilisants » à partir de plantes, de bouse de vache et de cristal de quartz. « C’est à toi de composer avec ces préparations, en fonction du lieu où tu es, en fonction du climat, du sol… » Jean- Jacques Jacob ne dédaigne pas pour autant les outils technologiques : son pistolet laser pour mesurer la température du four parle pour lui.
Conforté par la forte demande pour son pain à Tbilissi, que l’on retrouve sur les plus belles tables des restaurants de la ville, il évite pour autant tout prosélytisme dans son village. « Je leur dis simplement que je n’utilise plus de produits chimiques, parce que chez moi en Bretagne, on ne peut plus boire l’eau des puits à cause de ces produits. Ils écoutent et ça les fait réfléchir, mais ils ne changent pas forcement leurs méthodes. »
Il accueille en woofing, dans le cadre de l’association Momavlis Mitsa (Terre d’avenir) qu’il a créée, des dizaines de volontaires de tous les pays, qui viennent donner un coup de main sur la ferme et s’initier à l’agriculture biodynamique.