Mal-logement en Bretagne : des indicateurs au rouge
Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur la situation économique et sociale en Bretagne ?
La Bretagne est une région qui a une démographie particulièrement dynamique, qui attire du monde. La population a ainsi augmenté de 10% sur 10 ans. Parmi ces arrivées, on note la présence de jeunes cadres aux alentours de Rennes, ainsi que des retraités sur le littoral sud.
Dans le même temps, on peut faire quelques constats : après avoir été à l’abri quelques temps, le taux de chômage de la région rattrappe la moyenne nationale. Le nombre de demandeurs d’emploi bretons a ainsi augmenté de 16% entre 2012 et 2013. On note aussi une augmentation de la précarité, notamment du nombre de bénéficiaires du RSA, qui a progressé de 6,4% en 2012. Nous sommes au-dessus de la moyenne nationale.
Quelle est la situation globale concernant le mal-logement en Bretagne ?
La situation économique n’étant guère brillante, nous sommes entrés dans une dynamique de crise plutôt négative.
La situation de l’hébergement d’urgence en Bretagne est particulièrement critique. Nous n’avons pas de chiffres précis sur le nombre de personnes à la rue, mais nous savons par exemple que la Croix Roige a doublé le nombre de ses contacts auprès de ces personnes l’année dernière. C’est une évolution qui semble importante, surtout en deux ans. Il y a aussi une explosion de la demande dans les structures liées à l’hébergement, notamment concernant les familles et les jeunes. Une explosion qui a du mal à trouver une réponse. On sait ainsi que plus de 80% des demandes d’hébergement d’urgence dans le Morbihan en septembre 2013 n’ont pas trouvé de réponses. Le recours aux nuitées à l’hôtel est pratiqué couramment par les pouvoirs publics: il est en forte hausse. Cette solution est coûteuse et ne règle pas le problème. La situation est préoccupante sur ce point.
La création de logements sociaux en Bretagne est en augmentation de 1,65 % sur un an. Ce qui est bon signe, c’est qu’on commence à construire des logements plus petits, moins chers et mieux adaptés. Par contre, les demandes sont encore trop souvent insatisfaites. On a compté 53 000 demandes par an. En 2013, seulement 23 300 ont été attribuées. Il en manque 30 000, c’est un déficit relativement important. Des communes, qui ne respectent pas les 20% de logements sociaux obligatoires, ont également un effort à faire.
La situation des locataires s’est par ailleurs considérablement dégradée. Leurs ressources sont de plus en plus faibles, beaucoup n’ont aujourd’hui que le RSA, le logement pèse énormément dans les budgets.
Dans le parc privé, on constate que la production de logements est en recul de 6% sur un an. Les difficultés financières, combinées au durcissement des conditions bancaires, expliquent cela. Même chose chez les investisseurs institutionnels, qui se lancent moins dans les constructions. Mais dans le même temps, du côté des résidences secondaires, la situation est plutôt bonne, notamment dans les zones littorales sud.
L’habitat des gens du voyage est aussi à prendre en compte. Il manque des places et des aires d’hébergement, notamment dans le Finistère et le Morbihan. Leurs aspirations, différentes selon les personnes, ne sont pas assez prises en compte, par les municipalités notamment.
Et concernant « l’habitat indigne ? »
C’est une préoccupation essentielle dans la région. On estime en gros qu’il y aurait 70 000 logements insalubres en Bretagne. Il y a des incitations financières, notamment pour la rénovation. C’est pertinent lorsqu’il n’y a pas de gros travaux à faire. Mais lorsque les travaux sont plus importants, ces incitations sont insuffisantes, les propriétaires-bailleurs notamment ne les réalisent pas. En Bretagne, nous n’atteignons que 9% des objectifs fixés dans ce domaine.
Cela s’explique aussi du fait qu’il y ait un manque de personnel dans les services de l’état dédiés à ce domaine. Il y a peu d’arrêtés préfectoraux concernant l’insalubrité. L’action publique est encore trop faible dans ce domaine. Les Caisses d’Allocations Familiales pourraient aussi être plus présentes sur ce terrain, à l’image de ce que réalise celle d’Ille-Et-Vilaine qui contôle la décence de certains logements. Il faut mettre des moyens, et des outils.
Y-a-t-il des disparités concernant ces problèmes de mal-logement, et d’habitat indigne, sur le territoire breton ?
Saint-Brieuc et Lorient sont deux villes où l’on note une concentration plus remarquable de fragilités. La part de logements sociaux dépasse par exemple les 25% à Saint-Brieuc. Dans des agglomérations comme Brest, Vannes, ou Rennes, la concentration est moindre, il y a plus de mixité.
On note aussi qu’en milieu rural, le « mal-logement » est plus important. Il ya beaucoup de personnes âgées, isolées, aux ressources limitées, qui sont très attachées à leurs habitations, et qui ne vont pas voir les travailleurs sociaux pour demander de l’aide, car ce n’est pas dans leur culture. Des jeunes arrivent en zone rurale également, car ils ne peuvent pas rester en ville. Bien souvent ils investissent à la campagne, veulent faire des travaux. Certains calculent mal leur coup, et se retrouvent en difficulté financière, donc ne peuvent pas continuer ces travaux, notamment si leurs revenus diminuent. On voit des familles vivre alors dans une seule pièce, ou dans un mobil-home à côté de la maison.
En ville, le problème est différent. Il y a une inadéquation entre ressources financières et le coût du logement, notamment chez les jeunes, qui veulent habiter au centre-ville. Certains vont alors accepter des conditions de vie particulièrement précaires, dans des caves ou combles aménagés par exemple. On observe le même phénomène chez les travailleurs saisonniers venus sur le littoral.
Beaucoup de crédits sont mis sur les villes, alors qu’il y en a également besoin en zone rurale, notamment dans le Centre-Bretagne, qui semble un peu oublié. On risque de voir arriver une région à deux vitesses.
Avez-vous formulé des propositions suite à ce rapport ?
Nous avons émis quelques préconisations, comme par exemple la création et le renforcement des passerelles entre hébergement et logement, grâce à l’action d’associations qui pourraient sous-louer des logements par exemple. Cela permettrait de fluidifier les parcours résidentiels.
Il faudrait aussi davantage de production de logements sociaux, de plus petite taille, et à loyers abordables, et inciter les communes à remplir leurs obligations en
la matière.
Il serait nécessaire aussi de renforcer le volet coercitif dans la lutte contre l’habitat indigne, en donnant plus de moyens aux services de l’Etat chargés de le combattre. Sans oublier de porter des efforts envers l’hébergement des gens du voyage.