Fukushima 3 ans après : partir, revenir ?
Sur le plan de la contamination, la catastrophe est loin d’être réparée, elle est aussi loin d’être sous contrôle. Les efforts de décontamination ont été importants pourtant ils sont largement insuffisants. 59% des maisons des 58 communes contaminées ont été décontaminées. Et l’opérateur TEPCO reconnaît lui-même qu’il couvre uniquement un tiers des besoins de traitement de l’eau contaminée, ceux-ci estimés par l’entreprise étant très probablement inférieurs aux besoins réels de décontamination.
Il y a encore 267 000 réfugiés, dont 100 000 vivent dans des logements préfabriqués. Les autorités régionales de Fukushima recensent encore 136 000 réfugiés dont la vie reste difficile. De nombreuses familles sont disloquées. Quand elles vivaient à plusieurs générations sous un même toit, elles n’ont pas trouvé à se reloger ensemble. La recherche d’un nouvel emploi a aussi conduit à des séparations. Les personnes les plus fragiles payent un lourd tribut : le nombre de décès officiellement liés à l’évacuation à Fukushima est maintenant de 1 656. C’est beaucoup comparé aux deux autres provinces touchées par le tsunami : l’évacuation des côtes a entraîné 434 décès à Iwaté et 879 à Miyagi. 90% des personnes décédées à cause du stress et des mauvaises conditions de vie avaient plus de 66 ans.
Le gouvernement japonais s’apprête, pour la première fois, à lever l’ordre d’évacuer dans le hameau de Miyakoji à Tamura à partir du 1er avril 2014. Il y avait 358 âmes (117 familles) avant la catastrophe et les travaux de décontamination sont officiellement terminés depuis juin 2013. Les habitants peuvent rentrer pour réparer leur maison, et même dormir sur place s’ils le souhaitent.
La décontamination n’a eu lieu qu’à proximité des habitations et lieux de vie
Dès que l’on s’éloigne un peu de ces îlots où le gouvernement souhaite que les populations reviennent s’installer, les niveaux de radioactivité restent élevés. Le gouvernement a pourtant dépensé des sommes folles à cette fin. Dans les territoires évacués, ce sont les majors du BTP, sans aucune expérience spécifique, qui ont remporté les marchés et qui sous-traitent le travail. Au plus bas du millefeuille de la sous-traitance, les salaires ont été ponctionnés à chaque niveau et les conditions de travail sont souvent déplorables. Outre l’embauche de SDF qui a défrayé la chronique, le ministère du travail a relevé des infractions à la législation du travail dans 40% des cas.
La pénurie de main d’œuvre n’arrange pas les choses. Il n’y a pas de solution pour les déchets radioactifs engendrés qui s’accumulent partout dans des sacs en plastique en attendant mieux. Des entreprises ont été prises sur le fait alors qu’elles rejetaient des déchets dans les rivières ou un peu plus loin dans la forêt. Cela étant, même en travaillant correctement, force est de constater que, comme autour de Tchernobyl, la décontamination à grande ampleur est simplement impossible. Il y a 70% de montagne et de forêt dans la province de Fukushima.
Les habitants sont partagés quant à leur retour à Miyakoji
Certains espèrent que les entreprises du bâtiment seront moins hésitantes à venir y travailler. D’autres sont contents pour l’agriculture : trois familles ont repris les cultures et espèrent que cette décision leur permettra de lutter contre les « rumeurs néfastes ». D’autres, surtout avec des enfants, demandent une décontamination plus poussée. Lors d’un retour en famille, un habitant a expliqué que ses enfants sont allés jouer dans des zones non décontaminées, sans le savoir. Il demande donc que les parents soient consultés et leur point de vue pris en compte avant de lever l’ordre d’évacuer. En vain. Sa décision est prise, il ne rentrera pas. L’expérience conduite dans ce hameau aura valeur de test. Six autres communes devraient suivre cette année.
Les populations vivant dans les territoires contaminés s’organisent pour survivre. On fait venir la nourriture de loin, on mesure la radioactivité, on fait contrôler la thyroïde par des laboratoires indépendants nouvellement créés… Le laboratoire Chikurin que le laboratoire français indépendant ACRO a soutenu est bien parti. La demande d’analyse ne diminue pas. Il a contrôlé récemment des vêtements et a trouvé un T-shirt de Fukushima avec 65 Bq/kg en césium après lavage. Il y avait 93 Bq/kg dans des vêtements de sport, toujours après lavage. La demande pour les analyses d’urine reste forte.
La population japonaise a perdu confiance dans la parole des autorités
Les dernières statistiques sur les cancers de la thyroïde chez les enfants inquiètent. Il y a 75 cas diagnostiqués, dont 33 confirmés après intervention chirurgicale, sur 254 000 enfants contrôlés. Au total, 375 000 enfants ont droit à une échographie de la thyroïde pour dépistage. Il y a déjà beaucoup plus de cas de cancer de la thyroïde que ce à quoi on s’attendait. Les autorités maintiennent qu’elles ne pensent pas que ce soit lié à la catastrophe nucléaire, avec toujours le même argument : à Tchernobyl, l’apparition des cancers est apparue 4 à 5 ans après la catastrophe. Mais il n’y avait pas eu un tel dépistage systématique et la découverte des cancers y a été plus tardive. Personne ne croit ces affirmations qui se veulent rassurantes. Et si ce n’est pas la catastrophe nucléaire qui est en cause, pourquoi le gouvernement n’étend-il pas le dépistage à tout le pays ?
Une mobilisation citoyenne qui ne faiblit pas mais ne trouve pas sa traduction politique
Un rapport d’une commission parlementaire indépendante a mis en évidence l’incompétence de l’opérateur TEPCO et des autorités japonaises, ainsi que leurs nombreuses dissimulations sur l’accident qui ont été révélées. Désormais, la population japonaise ne croit plus à cette prétendue sûreté nucléaire. Et certain-es n’hésitent plus à descendre dans la rue pour réclamer l’arrêt de toutes les centrales. La mobilisation citoyenne a atteint une ampleur inédite (jusqu’à 170 000 personnes) au cours de l’été 2012, lorsque le gouvernement, alors que plus aucun réacteur ne fonctionnait depuis le 5 mai, a voulu imposer le redémarrage des deux réacteurs de la centrale d’Ooi. Et diverses actions se poursuivent, comme le rassemblement hebdomadaire devant le cabinet du Premier ministre ou la vigie, de nuit comme de jour, devant le ministère de l’Économie, ou encore la pétition « Adieu au nucléaire » lancée entre autres par Kenzaburo Oé, le prix Nobel de littérature, qui a recueilli plus de 8,2 millions de signatures.
C’est ce refus du nucléaire exprimé par plus de 80 % de la population qui a contraint le précédent gouvernement à annoncer la sortie du nucléaire pour la décennie 2030. Depuis 2011, avec des économies d’électricité efficaces et une légère augmentation des importations de gaz, le Japon, dont 28% de l’électricité était d’origine nucléaire, a pu s’en passer presque entièrement. Et comme chacun le constate, l’économie japonaise ne s’est pas effondrée pour autant.
Mais la puissante oligarchie nucléaire japonaise, soutenue par le lobby international (dont l’AIEA), garde le bras long dans les milieux politico-administratifs, économiques et médiatiques. Lors des élections législatives en décembre dernier où la question du nucléaire
a été écartée de l’enjeu électoral, l’opinion antinucléaire n’a pas pu trouver un débouché politique. Le système électoral aidant, le PLD, le parti qui avait introduit et promu le nucléaire au Japon, a obtenu la majorité absolue. Le nouveau gouvernement du Premier ministre Abé a d’emblée remis en cause le « nucléaire zéro » et envisage la relance de la filière nucléaire. Les difficultés des victimes de Fukushima à faire entendre leurs revendications risquent d’augmenter dans une société malmenée où domine de plus en plus l’envie de retourner à une vie « ordinaire » qui incite la majorité des citoyen-ne-s à l’oubli et au déni d’une réalité trop douloureuse.
Cet article a été rédigé à partir des éléments de l’ACRO, Association pour le Contrôle de la Radioactivité de l’Ouest et du réseau Sortir du nucléaire
Quelle mobilisation citoyenne au Japon depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima ?
Questions à Kolin Kobayashi, journaliste indépendant, écrivain et vidéaste, il vit et travaille en région parisienne depuis 1970. Secrétaire général de «Echo-Echanges ONG France-Japon» (association loi 1901), et conseiller de la Greencoop (coopérative de consommateurs au Japon, depuis 2001), il est connu et reconnu comme spécialiste de la situation de Fukushima Daiichi et de son contexte politique et social et intervient régulièrement dans de nombreux colloques et rencontres sur ce sujet, en France comme à l’étranger. Il travaille de manière plus générale sur plusieurs questions liées à la citoyenneté, aux droits humains fondamentaux et à la démocratie. Kolin Kobayachi était la semaine dernière à Quimper, Brest et Lanmeur pour une série de conférences.
Kolin Kabayashi
« Une partie de la jeunesse japonaise a été extrêmement bouleversée par l’accident de Fukushima. Mes neveux et nièces par exemple, qui auparavant ne s’intéressaient absolument pas à ces questions sociales et politiques, sont allés manifester devant la diète (NDLR : parlement) et la résidence du Premier ministre. Ils essayent de capter des informations pertinentes sur le net et participent maintenant à un collectif de jeunes Japonais suffisamment conscients et qui pensent nécessaire de se solidariser pour changer la société.
A côté de cela, nous avons vu émerger des laboratoires indépendants de mesure de la radioactivité, créés par et pour la population japonaise de Fukushima, avec l’aide de quelques personnalités. Tout comme en France, le laboratoire indépendant CRII-RAD avait apporté des mesures de la radioactivité après le passage du nuage de Tchernobyl que les autorités ne pouvaient plus contester, au Japon, le laboratoire citoyen de mesures de la radioactivité autour de Fukushima (C.R.M.S.), avec l’aide logistique de la CRII-RAD, dispose maintenant d’équipement sérieux lui permettant d’effectuer des mesures indépendantes face à des mesures officielles très souvent minimisées; Ainsi, face à la manipulation volontaire des chiffres par les autorités japonaises, les laboratoires citoyens vont chaque semaine directement sur le terrain avec leurs compteurs geiger et contrôlent les denrées alimentaires puis rendent publiques les résultats. Il y a désormais une dizaine de laboratoires citoyens et cela pèse un poids certain. »