Des records battus, non pas de pluie ni de chaleur, mais de pollution aux particules fines. Le seuil d’alerte, qui est de 80 microgrammes/μg par mètre cube d’air, a été dépassé jeudi dans la plupart des villes bretonnes. Avec par exemple 96μg à Brest, 88 μg à Lorient et Saint-Brieuc, ou encore 80 μg à Rennes. Le facteur déclencheur étant un anticyclone situé au-dessus du pays. « Les conditions météo jouent un rôle, avec un courant venant d’est qui nous apporte du beau temps, et de l’air déjà chargé de polluants. De plus, l’absence de vent fait que les particules ne se dissipent pas », explique Frédéric Vénien, président de l’association Air Breizh, chargée de la surveillance de la qualité de l’air en Bretagne.
Les Bretons mal informés ?
Quelques mesures ont été mises en œuvre : la préfecture de région recommande ainsi aux automobilistes de diminuer la vitesse de 20 kilomètres/heure, limiter l’usage des véhicules diesel non équipés de filtres à particules, pratiquer le covoiturage et préférer l’utilisation des transports en commun. La vigilance est également recommandée pour les personnes présentant des problèmes respiratoires, les enfants en bas âges ainsi que les personnes âgées. « Les particules fines descendent dans les poumons, jusque loin dans les bronches », explique Frédéric Vénien. « Leur accumulation dans l’organisme et la répétition des expositions posent problème, et elles sont reconnues cancérigènes par l’OMS depuis peu », poursuit-il. Mais la population bretonne aurait-elle pu être mieux informée et préparée à ce phénomène ? C’est ce que pense le Collectif Urgence Réchauffement Climatique d’Ille-Et-Vilaine (Curc 35), estimant que « les Bretons sont à nouveau les derniers à être prévenus et protégés ». « Faux », répond Frédéric Vénien, « La Bretagne a été touchée après les autres par cette pollution de l’air. Nous avons déclenché le seuil d’information à la population, et le seuil d’alerte, dès que nos capteurs l’ont détecté, conformément à notre rôle », précise-t-il.
Plusieurs causes pointées du doigt
Mais y-a-t-il d’autres causes, au-delà de la météo? Si la circulation automobile joue bien rôle dans cette pollution, d’autant plus que la France est un pays « accro » au diesel, l’utilisation du chauffage – notamment au bois – peut être également mise en cause. La faute aussi aux épandage agricoles ? Si la préfecture de Bretagne recommande de « les reporter », rien ne permettrait d’affirmer qu’ils jouent un rôle dans le phénomène actuel. Ce n’est pas l’avis de certains associatifs : « Oui, l’agriculture joue un rôle dans la pollution de l’air », affirme Jacques Caplat, agronome breton et administrateur de l’association Agir pour l’Environnement. « Dans la période actuelle, il est peu probable que les pesticides soient très présents. Ils sont certes souvent volatils et se retrouvent bel et bien dans les brouillards, l’eau de pluie… et donc, en amont, dans l’air. Mais nous ne sommes pas encore dans une période où ils sont pulvérisés, et il n’y en a donc probablement pas beaucoup actuellement », poursuit-il. De son côté, la Coordination Verte et Bleue, indique quant à elle dans un communiqué faisant suite à un article du Télégramme, que « [Les] associations qui luttent contre les effets de l’élevage intensif en Bretagne (algues vertes et bleues, pollution de l’eau, toxicité des coquillages) rappellent que les épandages de ces dernières semaines dans une région qui élève 70 % des porcs français ont une lourde responsabilité dans les dépassements des seuils d’alerte ». « Il faut prendre en compte la spécifité agricole de la Bretagne », estime Frédéric Vénien, d’Air Breizh. « On peut retrouver dans l’air des pesticides, mais aussi de l’ammoniaque et de l’hydrogène sulfuré », poursuit-il. Quoiqu’il en soit, la situation ne devrait s’améliorer qu’à partir de ce début de semaine sur la région, alors qu’à Paris, la ciculation alternée vient d’être mise en place ce lundi.
Question à… Jacques Caplat, agronome et administrateur de Agir pour l’Environnement
Quelles peuvent être les causes de la pollution par particules fines sur la Bretagne ?
Les pratiques agricoles actuelles jouent un rôle dans la pollution de l’air. Mais c’est assez difficile à quantifier, faute de mesures ciblées (= au sens premier : mesurer). Les organismes de mesure de la qualité de l’air sont concentrés sur les villes et ciblent le monoxyde d’azote, l’ozone, etc. Dans la période actuelle, il est peu probable que les pesticides soient très présents. Ils sont certes souvent volatils et se retrouvent bel et bien dans les brouillards, dans l’eau de pluie… et donc, en amont, dans l’air. Mais nous ne sommes pas encore dans une période où ils sont pulvérisés. Il n’y en a donc probablement pas beaucoup actuellement. Ce serait différent si nous étions au printemps.
Les lisiers, quant à eux, dégagent notamment de l’ammoniac et du protoxyde d’azote (gaz à effet de serre) à court terme, et conduisent les sols à dégager des oxydes d’azote à long terme. Ils ont des conséquences sanitaires, même si leur proportion dans l’alerte actuelle est difficile à évaluer. Il serait logique de mesurer les émanations dues au lisier, notamment l’ammoniac. Il faut en effet savoir que l’ammoniac se combine avec les oxydes d’azote et constitue des cristaux de nitrate d’ammonium, qui sont des précurseurs des particules fines.
Les oxydes d’azotes qui sont actuellement excessivement présents dans l’air ne sont probablement pas issus de l’agriculture, car leur dégagement par un sol chargé en lisier prend du temps (les microorganismes du sol ne sont pas encore assez actifs à cette période). Le pic actuel est sans doute essentiellement provoqué par l’industrie et par les voitures, camions et tracteurs, et notamment par les véhicules diésel. Les voitures à moteur diésel sont bel et bien une source majeure de particules fines. Mais la présence d’ammoniac issue de l’épandage massif de lisier aggrave fortement la situation, car la présence simultanée d’oxydes d’azote et d’ammoniac produit des particules fines, comme je viens de l’indiquer. L’élevage hors-sol et l’utilisation du lisier comme engrais en sortie d’hiver participent bien à la crise actuelle. Et c’est sans doute dans les zones périurbaines ou proches des 4-voies, où se rencontrent les oxydes d’azote automobiles et l’ammoniac agricole, que la situation est la pire.
Mais il faut ajouter un autre gros émetteur : les feux, pour lesquels il y a deux aspects à prendre en compte. Le premier, c’est le chauffage au bois. Pour ceux dont ce n’est pas le mode de chauffage principal, il est hautement recommandé de ne pas l’allumer actuellement. Pour ceux qui n’ont pas le choix, c’est le « bruit de fond » inévitable… Le deuxième aspect, qui me choque énormément, ce sont les feux dus au débroussaillage, c’est-à-dire tous les bûcherons qui brûlent les branchages des arbres qu’ils débitent (ils sont très actifs actuellement notamment sur les haies), tous les propriétaires de terrains qui brûlent les ronces, branchages et autres déchets verts de l’entretien de leur terrain. Ces feux sont interdits, il est obligatoire d’apporter ces branchages et déchets d
‘entretien dans les déchetteries pour qu’ils soient compostés, ou alors de les broyer pour en faire des plaquettes ou du BRF (bois raméal fragmenté). Autant le chauffage au bois est parfois inévitable, autant les feux de broussailles et branches sont interdits et parfaitement évitables. De plus, c’est un gâchis : ces matières organiques sont bien plus utiles comme fertilisant que parties en fumée et réduites en cendres.