Ne pas se tromper de combat
Mais si la manifestation de Quimper a été imposante en nombre, elle reste toutefois
ambigüe dans ses mots d’ordre et les revendications diverses, sinon contradictoires, qui s’y sont exprimées.
Certains ont cru bon d’y pousser un « coup de gueule ». J’ai envie moi aussi d’en pousser un contre la mauvaise foi, la mémoire courte, et l’incohérence.
La mauvaise foi, de ceux qui font de l’écotaxe la cause de tous les maux. Alors qu’elle
n’a pas encore été mise en place et n’est pour rien dans les difficultés économiques. Prétexte et paravent pour occulter les responsabilités de ceux qui aujourd’hui par exemple pleurent des larmes de crocodile avec les salariés de Gad licenciés par la CECAB, les responsables de groupements de producteurs de porcs, qui ont toujours préféré le chacun pour soi et que le plus gros gagne, à l’organisation d’une filière solidaire. Résultat : la disparition d’un abattoir implanté au sein d’une des plus importantes zone de production de porcs !
La mémoire courte des élus de la droite qui ont décidé la création de l’écotaxe, ont choisi d’en confier la gestion à grands frais, se sont dépêchés de signer l’engagement de l’Etat avant le départ de Nicolas Sarkozy, mais ont omis d’en prévoir les conséquences et d’en aménager les modalités pour la Bretagne…et défilent aujourd’hui avec leurs écharpes – voire, ironie de l’histoire, avec des bonnets rouges – pour dénoncer non pas leurs erreurs passées mais crier « Hollande démission ».
La mémoire courte aussi de ceux qui savent depuis presque 10 ans que l’Union Européenne a prévu l’arrêt des restitutions pour faciliter l’exportation des poulets vers le Moyen-Orient, qui ont empoché pendant des années, tous les ans, plusieurs dizaines de millions d’euros, sans moderniser leur outil de production, améliorer leur compétitivité, diversifier leurs activités, former leurs salariés et ont attendu le départ de Nicolas Sarkozy pour engager devant les tribunaux une procédure de redressement et licencier des centaines de salariés.
L’incohérence de ceux qui dénoncent l’intervention de l’Etat et l’appellent à leur secours dès qu’ils sont en difficulté ; l’incohérence de voir défiler ensemble ceux qui ne veulent pas de contraintes sociales ou fiscales et ceux qui revendiquent plus de services publics ou se battent pour le respect de leurs droits sociaux et des meilleures conditions de travail.
Mais une fois le « coup de gueule » poussé, il ne faut pas se tromper de combat.
L’agriculture est un des socles de l’économie bretonne. Elle est pourvoyeuse d’emplois, elle possède un indéniable savoir-faire, elle contribue à un aménagement équilibré du territoire. Elle dispose de centres de formation, de centres de recherche pour soutenir l’innovation et faciliter les transferts de technologie.
Sans une agriculture forte, du fait de l’éloignement des zones de consommation, il ne
peut y avoir, en Bretagne, d’industrie de transformation.
Faut-il toujours maintenir les clivages anciens entre une agriculture familiale et une agriculture intensive, comme les antagonismes entre agriculture et environnement ?
Les agricultures aujourd’hui sont diverses, de la grande exploitation hors sol qui fournit sa matière première à l’industrie, à celle qui a choisi la transformation à la ferme et les circuits de proximité. Toutes ont intégré les préoccupations environnementales et sont attachées à des productions de qualité et à l’efficacité économique.
S’il faut caractériser le modèle breton, c’est sa capacité permanente d’évolution et d’adaptation au fil du temps.
Le combat aujourd’hui c’est de poursuivre ce mouvement. Etre capable d’identifier ses
concurrents en Europe et dans le monde, se distinguer d’eux par la qualité, par la garantie de sécurité apportée au consommateur, par l’identification de marques de territoire, être capable d’anticiper les évolutions et les besoins. Etre en recherche de la meilleure performance économique en améliorant l’outil de production, en innovant toujours.
La Bretagne peut – c’est sa réputation – surmonter les clivages et se rassembler autour
de grandes ambitions. Cela passe par une discussion sincère et confiante entre pouvoirs
publics, élus régionaux et locaux, acteurs économiques.
Le champ de la discussion est large :
– simplifier la règlementation, raccourcir les procédures, pour faciliter les initiatives, dans le respect des progrès accomplis pour l’environnement
– repérer les priorités, identifier les besoins et les projets en matière de financement : amélioration des bâtiments d’élevage, économies d’énergies, modernisation des outils
industriels, amélioration des conditions de travail et réduction de la pénibilité, soutien
de la recherche et de l’innovation…
– encourager l’organisation des filières pour une meilleure solidarité entre l’amont et l’aval est une répartition équitable de la valeur ajoutée entre les acteurs.
– Augmenter la plus value et la conserver sur notre territoire en encourageant une
transformation plus élaborée.
– Ne pas oublier les salariés licenciés et les bassins d’emplois en difficulté
– Continuer l’engagement pour une Europe plus solidaire qui harmonise ses règles sociales et fiscales.
Profitons de ce dialogue pour valoriser aussi tous les atouts de la Bretagne, en particulier ceux liés à la mer et à l’économie maritime, aux biotechnologies, à la pêche et à l’aquaculture, aux énergies marines renouvelables, aux infrastructures portuaires, à la recherche scientifique ; pour accélérer les investissements liés au désenclavement (ligne à grande vitesse, RN 164, très haut débit).
Engageons ce dialogue avec la volonté de construire des compromis utiles à la Bretagne. La démocratie ne fonctionne ni par la violence, ni par le chantage, ni par l’ultimatum.
Ne nous trompons pas de combat. L’enjeu n’est pas de savoir qui aura le dernier mot, mais plutôt de savoir mettre des mots sur des difficultés, pour trouver ensuite les mêmes mots pour les résoudre.
Le gouvernement y est prêt. Les élus régionaux et locaux aussi.
N’attendons pas pour écrire ensemble cette nouvelle étape du développement économique de la Bretagne ».