De jeunes pousses prometteuses dans les jardins de la « Manu » de Morlaix

Rien de vraiment surprenant à ce que des étudiant.es qui entendent dédier leur future vie professionnelle aux soins du vivant se dirigent vers les Jardins de la Manufacture des Tabacs et leur artiste-jardinier, Tiphaine Hameau, dont l’art et la manière les accompagnent avec autant d’attention que celle accordée à toutes les pousses végétales et animales du lieu.

Nous vous invitons à d’abord emboîter le pas de Raphaël, Alan, Léa et Rachel, qui ont effectué tous les quatre leur stage en ces Jardins, dans le cadre de leur formation de BTS – Gestion et protection de la nature (GPN)du lycée d’enseignement général et agricole de Suscinio à Morlaix et de BTS Aménagements Paysagers (AP)du CFA/CFPPA de Kerliver à Hanvec.

Puis nous nous attarderons sur le projet tutoré* qu’une équipe d’étudiant.es de BTS GPN composée de Arthur, Enora, Léa et Louna, a consacré principalement aux insectes de ces Jardins, en croisant leurs regards scientifique et artistique.

Nous les avons rencontré.es entre l’été dernier et cet hiver.

Troisième et dernier volet du triptyque d’articles consacré aux Jardins de la Manufacture des Tabacs de Morlaix, après avoir rencontré Tiphaine Hameau, l’artiste-jardinier qui en a la charge (1er volet : https://www.eco-bretons.info/a-morlaix-lartiste-jardinier-tiphaine-hameau-un-humain-du-sensible-et-du-geste-compagnon-de-la-plante/) ainsi que d’autres artistes qu’il accueille (2ème volet :https://www.eco-bretons.info/a-la-manu-de-morlaix-ce-que-les-artistes-font-aux-jardins-ce-que-les-jardins-font-aux-artistes/).

D’un format plus long que les sujets habituellement proposés, libre à vous d’effectuer cette promenade jardinière en une ou plusieurs étapes de lecture et d’écoute.

Des Beaux-arts aux aménagements paysagersRencontre avec Raphaël

Raphaël effectue actuellement en un an son BTS Aménagements paysagers en écojardinage au CFA/CFPPA de Kerliver à Hanvec. Début novembre 2024, nous l’avons retrouvé aux jardins, consciencieusement affairé autour de plots en béton qui furent jadis des supports à pommiers, et désormais disposés dans de petits carrés où la terre a été recouverte de marc de café, collecté dans les services de Morlaix Communauté.

Une installation dont l’esthétique, qui n’est pas sans rappeler le jardin japonais, entre en résonance avec le parcours de l’étudiant, titulaire d’un Master en Beaux-Arts effectué à Toulouse durant lequel Raphaël a exploré aussi bien la sculpture, que des installations mêlant le son et l’organique.

Ici, quasiment rien n’a été planté, tout est fait avec l’histoire du lieu, en valorisant du marc de café, répulsif efficace auprès des merles qui entendaient participer à l’installation en y faisant des trous ! Les bordures enherbées sont taillées aux ciseaux.

Outre cette mission, Raphaël a pu effectuer des opérations d’entretien, réduites au strict nécessaire, avec notamment du fauchage à la faucille, le dégagement des alignements de pavés permettant de cheminer, autant de gestes qui s’inscrivent dans le temps long, comme le rappelle Tiphaine Hameau.

De ce dernier, l’étudiant a particulièrement apprécié la précision dans ses explications, toujours très pédagogiques. Et aussi les discussions animées durant les repas autour de la biologie animale, des oiseaux…

Allier, parfaire connaissances botaniques et ornithologiquesRencontre avec Alan

Passionné de botanique et d’ornithologie, Alan Larvor, qui est en 2ème année de BTS GPN, a choisi de réaliser son deuxième et dernier stage dans les Jardins, avec un objectif précis qui est de développer ses connaissances et techniques, notamment de valorisation des déchets organiques, indispensables au futur projet qu’il caresse : s’installer en tant que paysan-herboriste.

Parmi les missions que Tiphaine lui a confiées, qu’il juge répétitives et physiquement éprouvantes mais néanmoins incontournables, Alan s’est livré au très laborieux fauchage tardif à la faucille, en veillant à laisser des zones de repos pour la faune et en utilisant les déchets verts pour le paillage et les installations. Il a également procédé à l’arrachage partiel avec retrait des ronces et autres liserons, érables sycomores dont les feuilles sont ciselées avant de pailler élégamment les cheminements au sein des jardins, tout comme celles des renouées. Renouées dont les rameaux séchés poursuivent leur destinée en habillant la dalle de béton à l’entrée des jardins, ou bien en intégrant le bac à compost pour une mutation en terreau ou bien encore en entrant dans la composition du projet artistique d’Alan.

Aux Jardins, Une gestion et protection artistique de la natureInterview croisée de Léa/Rachel

Rachel et Léa, avec les artistes Emmanuelle Huteau/clarinette et Stéphanie Tesson/écrivaine-comédienne au cours de la lecture-promenade musicale Les monologues en plein champ, l’été dernier.

L’appel des Jardins : comment les Jardins de la Manufacture se sont-ils manifesté auprès de vous pour que vous veniez y effectuer votre stage d’étude ?
Léa : Pour être honnête, je n’étais jamais entrée dans les Jardins avant d’envoyer ma candidature de stage. La seule interaction que j’ai eue avec ces derniers a été lors d’une visite scolaire du SEW en début d’année, où j’ai pu apercevoir un bout des Jardins par une fenêtre. Cela a attisé ma curiosité et après un peu de réflexion, j’ai tout simplement envoyé ma lettre de motivation ! J’aime beaucoup découvrir de nouvelles choses, surtout quand elles ne sont pas accessibles. En clair, j’y suis allée plus par instinct qu’autre chose. J’avais envie de faire un stage original, j’adore la botanique. Alors pourquoi pas ?

Rachel : A force de passages et promenades dans Morlaix, je tombais régulièrement nez à nez avec les Jardins, voilés par les grillages et toujours secrets. Je n’y suis jamais entré jusqu’à mon stage. C’est en juin, après avoir eu une déception quant au lieu de mon stage, que j’ai pensé aux Jardins de la Manufacture : en effet, ma meilleure amie Léa s’y trouvait et le lieu suscitait en moi curiosité et attirance. Nous avions eu l’occasion de rencontrer Tiphaine lors de la présentation des projets tutorés et la façon dont il évoquait le lieu m’avait fait hésiter quant au choix que j’allais faire ; finalement, pas de projet tutoré aux côtés des jardins, mais un deuxième essai de stage qui j’espérais s’annonçait être le bon ! Après en avoir discuté avec Léa, Tiphaine a pris contact avec moi et de là est née ma première rencontre avec les Jardins, le 1er juillet. 


● Quelles ont été vos missions respectives durant votre stage ?
Léa : Nous avons participé à la gestion courante des lieux : arrachage de ronces et de jeunes arbres, transformation des “déchets verts” et revalorisation de ces derniers par divers moyens (paillages, remplissage de chemins..). Notre mission passait aussi par la participation aux animations des Jardins : visites classiques ou encore accueil d’évènements artistiques « Station verger », « Monologue en plein champs »*.
Concernant ma mission spécifique, son but était de créer et d’animer une animation sur les espèces végétales invasives, avec des thématiques allant de la gestion de ces dernières jusqu’aux différentes visions et débats qu’elles causent. Le tout était de créer une discussion perpétuelle et d’opter pour des méthodes pédagogiques ludiques et artistiques dans le but de toucher un maximum de personnes.

Rachel : Les Jardins ont besoin de petites mains pour arracher, ciseler, effeuiller, rencontrer les visiteurs et accompagner le lieu. Dès lors, nous avions d’abord des missions de « gestion » qui permettaient d’épauler Tiphaine dans son travail. S’est ajoutée à cela ma mission principale, sur laquelle je me suis penchée durant 6 semaines : la création d’une animation sur l’ethnobotanique, c’est-à-dire plus simplement, sur la symbolique des plantes et les liens qu’elles ont entretenu avec l’humain au fil du temps. Je devais la présenter la dernière semaine de mon stage, et la nourrir de recherches personnelles, d’échanges avec Tiphaine et Léa. 


● Y-a-t-il des choses qui vous ont surprises, déconcertées, parues comme évidentes et attirées dans la démarche de Tiphaine Hameau, notamment le fait de rebaptiser GPAN votre formation GPN, pour Gestion et protection artistique de la nature ?
Léa : J’ai été assez surprise par la somme de travail énorme que l’entretien des Jardins et la répétition perpétuelle de certains gestes à l’aide d’outils manuels, Tiphaine se donne beaucoup de mal pour réaliser un jardin tel qu’il l’envisage, avec une immense rigueur. C’est un travail très sisyphéen, mais qui paye ! Les personnes qui visitent les jardins sont assez impressionnées par l’ambiance des jardins. Il me paraissait évident qu’il est important de recycler les déchets verts au maximum et de les réutiliser au sein du jardin, mais le faire de manière artistique est un parti pris très original et inspirant ! Du coup, je n’ai pas vraiment été surprise que Tiphaine renomme notre mission “Gestion et Protection Artistique de la Nature”, tout simplement parce qu’en venant aux Jardins de la Manu faire son stage, l’art
devient un attribut nécessaire pour pouvoir penser les Jardins. Sans poser un certain regard sur ce qui nous entoure, on ne voit pas grand-chose ici ! On le voit bien quand certaines personnes visitent les jardins et commentent “Il n’y a rien à voir ici” ou encore “Quelle friche !”. La beauté est dans l’œil de celui qui regarde !

Rachel : Oui ! Agréablement surprise. Ce qui m’a particulièrement déconcertée est le fait que tout soit fait à la main, que l’usage de machines est secondaire et que même l’effeuillage ou encore la coupe de rameaux se fassent par nous-mêmes ! Mais ce fut un plaisir : la gestion artistique du lieu a tout de suite résonné avec ma vision des choses et la notion spirituelle que j’offre à la Nature. Tiphaine prend soin des jardins et ce fut à notre tour à Léa et moi de poursuivre cet amour qui leur était donné, par le respect de la démarche de Tiphaine et l’intérêt que nous y avons accordé. 

Ce passage dans les Jardins de la Manufacture a-t-il transformé votre « rapport à la nature », de quelles façons ?
Léa : De manière évidente, mon rapport à la nature a évolué après avoir passé deux mois dans les Jardins. Tiphaine nous a initiées à sa vision de la nature, passant par un éloge de la lenteur et de l’observation. Il était aussi très intéressant de voir à quel
point Tiphaine prenait soin de chaque plante des jardins, un type de végétation qui n’a pourtant rien d’exceptionnel de prime abord !
Donc je dirai que d’être passée par les Jardins de la Manu m’a rendue beaucoup plus attentive à ce qui m’entoure et auquel on ne fait en général plus vraiment attention à force de passer devant tout le temps. J’ai compris que ce n’est pas parce qu’une plante est commune qu’elle n’est est pas pour le moins précieuse !

Rachel : Pas transformé, mais éclairé. En effet, avant de rencontrer Tiphaine et les Jardins, mon rapport à la Nature était proche de celui que j’allais découvrir auprès des lieux. Cependant, il a été éclairé par le regard de Tiphaine et les différentes pratiques et démarches qu’il associe aux jardins. Le mantra des lieux : « Faire le plus avec, le moins possible contre » (citation de Gilles Clément que Tiphaine répétait souvent).  Ainsi, c’est la façon dont les Jardins de la Manufacture ont accompagné mon rapport à la Nature et donné des outils et arguments pour le nourrir, qu’ils l’ont d’une certaine façon transformé. 

● Une ou deux anecdote(s) particulière(s) à partager ?
Léa : Je me rappelle avec nostalgie de toutes les fois où nous étions en train de discuter et Tiphaine nous arrêtait dans notre élan pour attirer l’attention sur un jeu de lumière, un oiseau qui se posait ou encore une musaraigne qui passait au loin. On restait sur le qui-vive en silence pendant quelques minutes parfois, puis la vie reprenait !

Rachel : Nos journées furent des anecdotes à elles seules ! Je plaisante, c’est que nous riions beaucoup tous les trois et que les Jardins regorgent de surprises qui n’ont pas fini de nous amuser ou de nous surprendre. Par exemple, j’ai dû rentrer chez moi avec un manteau attaché autour des hanches, car, après m’être assise sur un muret sur lequel se trouvait d’anciennes attaches de grillage, afin de faire ma mission d’effeuillage, je me suis retrouvée une fesse à l’air, mon pantalon déchiré ! Léa et moi étions en fou rire. 

Autre petite anecdote qui n’en est finalement pas vraiment une : nous avons eu la chance de rencontrer plusieurs artistes et de découvrir un monde artistique encore différent de ceux que nous croisons au théâtre, au cinéma, au musée… Aux Jardins, ce sont des personnalités singulières et sensibles qui viennent rencontrer les lieux et Tiphaine. Nous avons fait la rencontre de Stéphanie Tesson, Emmanuelle Huteau et Olivier Depoix, dans le cadre des « Monologues en plein champ », concert proposé dans les Jardins. De ces rencontres ont ainsi découlé diverses anecdotes, propres aux personnalités de chacun et à la rencontre avec les nôtres : échanges, discussions, aide au spectacle et répétition. En effet, un jour avant le spectacle, Léa et moi avons vécu l’effeuillage d’une façon différente de d’habitude : les musiciens répétaient et Stéphanie incarnait ses personnages juste à côté de nous. Ce fut particulièrement agréable de ressentir les jardins vibrer sous cette musique et rayonner différemment ce jour-là. 

*Parmi les rencontres artistiques au cours de l’été 2024 figuraient Station verger, entresort sonore, manuel, ludique et poétique du collectif Les Aimants et Les monologues en plein champ, lecture-promenade musicale de l’écrivaine-comédienne Stéphanie Tesson accompagnée par Olivier Depoix/accordéon, et Emmanuelle Huteau/clarinette-tuba-chant qui ont enchanté les participant.e.s.

Quand un projet tutoré allie regards scientifique et technique à l’expression créative sensible

Arthur, Léa, Louna, Nonna et Enora ont effectué leur projet tutoré de BTS GPN autour d’un inventaire des insectes et des plantes invasives auprès de Tiphaine Hameau. Ce projet a été l’occasion d’étudier durant huit mois les dynamiques de ces populations dans les Jardins de la Manu et d’y porter un autre regard, notamment artistique, sur quelques mal-aimés ou mal-menés de nos jardins. C’est en s’appuyant sur un livret de 70 pages, rigoureux et soigné, concocté par l’équipe étudiante que celle-ci a présenté fin décembre son projet tutoré devant un jury composé de professionnel.les et d’enseignant.es. Un livret récapitulant le contexte de leur projet avec : ses objectifs, la détermination des méthodes employées, les résultats et leur analyse, les fiches-espèces de trois plantes présentes dans les Jardins (la Grande Berce, la Renouée du Japon, le Buddléia de David, la présentation succincte de quelques insectes hôtes (papillons Moro-Sphinx, Vulcain, Aurore ; Abeilles cotonnière, domestique, charpentière ; cétoine dorée, Oedémère noble, Lepture tacheté). Un livret dans lequel on peut également glaner des citations d’Albert Einstein, Victor Hugo, Henry David Thoreau, Jean-Henri Fabre (humaniste-poète-artiste-éthologue), Baptiste Morizot, Gilles Clément ainsi que des dessins du botaniste Xavier Jaouen.

Parmi leurs objectifs, l’inventaire et les résultats des insectes pollinisateurs (choisis en raison de l’abondance des plantes à fleurs), l’analyse de leurs interactions avec les plantes, le suivi d’orthoptères (sauterelles et criquets) et de coléoptères ainsi que l’élaboration d’une cartographie des différentes parties des Jardins mettant en avant les massifs de plantes inventoriés, font partie des attendus « classiques » d’une formation en gestion et protection de la nature.

Avec un élément important à souligner, à savoir des considérations éthiques quant au respect des êtres vivants du lieu qui on amené l’équipe à mettre en place « un procédé expérimental ayant pour avantage de ne tuer aucun des insectes capturés, même si cela affectait le degré de précision dans leur identification. »

L’équipe a également choisi d’adjoindre à son projet un volet artistique qui a amené ses membres à créer des œuvres en s’appuyant sur leurs savoir-faire respectifs en dessin, vannerie et sculpture pour « donner à voir » les insectes des Jardins tout en respectant leur esprit, avec le choix de matériaux naturels.

Dans ce domaine, l’approche socioculturelle dispensée dans le cadre de leur formation permet à n’en point douter d’allier leur rigueur scientifique et technique à l’expression créative de leur sensibilité, au service de la sensibilisation d’un public plus grand et non spécialiste.

Mission brillamment accomplie puisque le groupe d’étudiant.es a reçu les félicitations du jury, à la fois pour les qualités de présentation de leur exposé, de réalisation du carnet et de leur outil ludico-pédagogique.

Tiphaine Hameau prévoit, au sortir de l’hiver, une restitution publique aux Jardins de la Manu et probablement dans la Galerie du Léon du SEW, avec une exposition des différentes contributions (dessins, sculpture, vannerie…): « L’occasion de célébrer le retour à la vie chantante, bourdonnante dans les Jardins! ».

Dans le prolongement de cet article, nous vous invitons à écouter nos deux entretiens effectués dans les Jardins de la Manu, le premier avec trois des étudiant.es sur leur projet tutoré, le second avec Tiphaine Hameau.

*Le projet tutoré de la formation BTS vise à instruire une réponse à une commande professionnelle de gestion environnementale et de valorisation de la nature. Durant plusieurs mois, il s’agit de rendre autonome les étudiant.es dans leurs investigations de terrain tout au long de leur démarche, accompagné.es par un tutorat commanditaire professionnel/enseignant.es.




Kub’tivez-vous ! Sélection de janvier

Dans le cadre de notre partenariat avec KuB, le web média breton de la culture, nous vous proposons une nouvelle sélection à découvrir gratuitement sur leur site internet. Au programme : le film « Terra Luna », qui met en lumière quatre paysannes bretonnes. A voir en accès libre jusqu’au 23 janvier !

Elles s’appellent Aurélie, Gwendoline, Anne et Maïwenn. Toutes les quatre sont installées en Bretagne, et sont paysannes. Aurélie élève des vaches laitières avec son compagnon et fait du pain, Maïwenn fabrique du fromage, Gwendoline cultive des plantes aromatiques et médicinales, et Anne élève des moutons. Toutes témoignent dans le film « Terra Luna », de la réalisatrice Aurélie Du Boys. « Elles ne se connaissent pas et viennent d’horizons différents, mais toutes sont habitées par cette force, cette détermination contagieuses. Au-delà des doutes et des sacrifices, ces femmes sont reliées par le sens de leurs vies et de leurs actes, en réfléchissant à leur façon de produire et de faire, à leur façon de consommer, à leur impact sur le territoire. Elles ont décidé d’être actrices du changement, et c’est pour moi un acte politique puissant. Ensemble elles s’engagent pour une autre forme de vie, une autre cohabitation avec toutes les formes du vivant. Terra Luna, La Pachamama, la Terre-Mère, les englobe et elles savent écouter son chant. », explique-t-elle sur la plateforme KuB.

Dans le film d’Aurélie, on les suit toutes les quatre aux champs, dans la bergerie, dans le fournil. Mais aussi dans leurs cuisines, lieu où elles se confient au détour d’un café. L’occasion de partager leurs espoirs, leurs doutes, mais aussi leur vision du métier et du milieu agricole. Elles aussi ont entendu la fameuse phrase « Il est où le patron ? » alors que ce sont bien elles les patronnes. On perçoit aussi leur rapport au vivant, et leurs liens avec les animaux et les plantes dont elles s’occupent au quotidien.

Un beau documentaire qui montre des femmes engagées et inspirantes, fières de porter les valeurs d’une agriculture plus respectueuse de la terre et de l’humain.

Pour voir le film Terra Luna : https://www.kubweb.media/page/terra-luna-agricultrice-paysane-respect-bretagne-aurelie-du-boys/




Ehop, on partage ses trajets en voiture en Bretagne

Connaissez-vous « l’autosolisme » ? D’après le dictionnaire en ligne Wiktionnary, c’est « le fait de circuler seul dans une automobile ». Selon les chiffres du dernier Baromètre Vinci Autoroutes, ce sont ainsi 86 % des conducteurs et conductrices français.e.s qui utilisent seul.e.s leur voiture le matin aux heures de pointe. 100 voitures sur la route ne transporteraient en réalité que…106 personnes ! En matière de covoiturage, les progrès sont encourageants, notamment en Bretagne, mais il y a encore à faire !

C’est là qu’intervient l’association Ehop. Basée à Rennes, cette structure régionale souhaite « mailler tout le territoire breton, pour que le covoiturage devienne un automatisme », explique Emma Le Borgne, salariée de l’association, rencontrée sur le Forum Séisme à Rennes.

Pour cela, Ehop met en place des partenariats avec des collectivités locales bretonnes, notamment des communautés de communes, ce qui leur permet de trouver de nouvelles solutions pour améliorer la mobilité sur leurs territoires. Mais également avec des entreprises, par exemple dans le secteur de l’agroalimentaire « qui sont souvent situées en milieu rural, et donc compliqué pour un accès en transport en commun, ce qui peut freiner les embauches pour les personnes non véhiculées », explique Emma.

L’association a donc créé des outils, comme « Ehop Solidaires », qui existe depuis 2017. Ce service permet de mettre en relation des personnes en recherche d’une solution de déplacement pour accéder à une mission et une formation, et d’autres qui disposent de place dans leur véhicule. Le tout par téléphone, pour celles et ceux qui souffrent de difficultés avec l’usage du numérique. « On peut aussi se transformer en guichet de la mobilité », précise Emma, qui travaille pour ce service. « On peut jouer le rôle de prescripteur, et on travaille aussi en lien avec les acteurs de l’insertion qui accompagne les demandeurs et demandeuses, comme par exemple la Mission Locale ».

Pour les petits déplacements ponctuels « de proximité » (médecin, coiffeurs, courses…) « Ehop près de chez moi » a été mis en place, sur trois collectivités pilotes au départ (Concarneau Cornouaille Agglomération, Bretagne Romantique, et Ploërmel Communauté). Là aussi, on peut appeler l’association pour trouver un trajet, ou aller sur le site OuestGo, plateforme publique et mutualisée dans le Grand Ouest, qui ne prend pas de commissions, et qui est partenaire de Ehop. De quoi se lancer dans le partage de trajets en voiture, même pour les adeptes les plus fidèles de l’autosolisme. Un geste loin d’être anodin quand on sait que la pollution de l’air, issue de l’utilisation des voitures, fait encore entre 40 000 et 48 000 morts par an….

Plus d’infos

https://ehop.bzh




Sécurité Sociale de l’alimentation : le pouvoir d’agir des citoyen.ne.s pour reprendre l’alimentation en main

Les projets de « Sécurité Sociale de l’Alimentation » germent un peu partout dans le pays. Sur un modèle similaire à celui de la Sécurité Sociale pour la santé, l’objectif est de permettre aux citoyen.ne.s, via des caisses locales, d’accéder à une nourriture saine et durable, et de lutter ainsi contre la précarité alimentaire, tout en sortant des systèmes d’aides actuels qui sont saturés et parfois source de stigmatisation. En Bretagne, des réflexions et des expérimentations sont en cours, de Rennes à Brest, en passant par Saint-Brieuc. Exemples à Morlaix et Lorient, avec deux projets récents.

A Morlaix, expérimentation avec les entreprises employeuses volontaires du territoire

Le groupe de travail morlaisien a été créé dans le cadre de la communauté d’action, démarche collective mise en place par le Résam, la Fonda, le Pôle ESS du Pays de Morlaix et l’Ulamir-Cpie, pour réfléchir aux coopérations sur le territoire en matière de transition écologique. Depuis un an, une douzaine de personnes se réunissent régulièrement, intéressées par le projet de création de caisse locale de SSA. « Les premiers temps ont été consacrés au partage de visions, à l’interconnaissance, à l’échange d’information », expliquent Nicolas Makeiew, salarié du Buzuk, la monnaie locale du Pays de Morlaix, et Géraldine Gabillet, animatrice à l’Ulamir-CPIE, deux structures qui participent à la réflexion. « On a commencé ensuite à explorer, à échanger avec les autres expérimentations ayant lieu sur le territoire national, comme par exemple à Clermont-Ferrand. On a aussi eu l’occasion d’organiser une conférence gesticulée, de diffuser le film « La part des autres »… ». Tout ceci afin de savoir quelle direction prendre  «  on a commencé à envisager les différents scénarios possibles », complètent Nicolas et Géraldine.

Depuis cet été, les objectifs ont été précisés : durabilité, démocratie, et lutte contre la précarité alimentaire. Quel est le public ciblé ? Qu’est ce qui va alimenter la caisse ? Ces questions ont aussi été abordées. L’orientation a été choisie : expérimenter le modèle avec des entreprises employeuses, comme sur le modèle des cotisations pour la sécurité sociale qui sont présentes sur les fiches de paie, afin de « repenser notre rapport à la solidarité », ajoutent les deux membres du collectif. Il y aura également un système de « caisse ouverte » pour les citoyen.ne.s participant.e.s.

Le lancement de l’expérimentation morlaisienne est espéré en janvier 2026. En attendant, le collectif participera à une étude d’opportunité menée avec le Tag29, et travaille avec des étudiant.e.s de la Cress/Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire sur la précarité alimentaire. Prochaines étapes : « l’élaboration du modèle de la caisse, (sur les volets citoyens et entreprises). C’est là qu’on va définir le public cible, le montant de l’allocation mensuelle, les différents niveaux de cotisations recherchés chez les futurs volontaires. C’est là aussi que nous réfléchirons aux différentes modalités pour inclure les salarié.es des structures intéressées (via un accord d’entreprise ou autre) », explique Nicolas. Une enquête auprès des habitant.es du territoire sera aussi lancée, pour sonder leurs attentes sur le sujet.

A Lorient, la réflexion sur un temps long

Tout a démarré en 2023, dans le cadre du Projet Alimentaire Territorial (PAT) du Pays de Lorient. « Optim’ism, entreprise solidaire basée à Riantec,qui fait entre autre du maraichage bio, a été missionnée pour travailler sur la concertation territoriale sur la précarité alimentaire. Suite à plusieurs rendez-vous avec des partenaires, dont Cohérence, un diagnostic a émergé, et une cartographie a été créée, mettant en évidence quels étaient les manques à combler sur le sujet », retrace Sophie Bacrot, chargée de mission démocratie alimentaire chez Cohérence. Quatre grands groupes de travail ont alors émergé : précarité alimentaire, cuisine/transformation, approvisionnement logistique et alimentaire, et citoyenneté alimentaire. Dans celui-ci, deux sous-groupes ont émergé : les jardins partagés, et la sécurité sociale de l’alimentation. « Le projet de monter une caisse locale de l’alimentation est venu du groupe en juillet 2024 », explique Sophie. « En avril 2024, on avait pour projet de créer de la connaissance de cause, d’encapaciter le groupe pour qu’il soit force de proposition sur le territoire.  Pendant 15 jours, on a organisé plusieurs événements, et une grande réunion collective, à laquelle étaient présentes 90 personnes », rappelle Sophie. Un groupe d’une cinquantaine de personnes est né, avec un noyau dur d’une trentaine de participant.e.s. Sören et Salomé en font partie. « On a d’abord défini quelle organisation nous voulions, à quelle fréquence auraient lieu les rencontres… », précise Sören. « On est en train de se former », ajoute Salomé, « On a presque terminé le « parcours d’apprentissage en commun ». Celui-ci comprend différentes étapes, sur 11 rendez-vous, et doit se terminer début 2025 avec des visites chez des producteurs. Un temps qui peut sembler long mais qui est nécessaire, selon Sophie. « C’est la particularité de notre projet. On est vraiment dans une démarche démocratique, la participation citoyenne en est le cœur. Cela permet d’avoir un socle commun ». Et de poser les bases de la caisse locale de l’alimentation du territoire : à qui elle va s’adresser ? Qui vont être les producteurs concernés ? Comment intégrer les bénéficiaires à la gouvernance ? Quels sont les partenaires ?

Lecture du livre « Encore des patates » (voir plus bas), atelier sur l’étude du système alimentaire actuel, rencontre avec une nutritionniste, intervention du réseau Civam et de la chercheuse Bénédicte Bonzi… ont été au menu des rencontres du groupe. « On a aussi pu utiliser des outils d’animation tels que le jeu de la ficelle, ou la fresque de la précarité alimentaire créée par l’association Aux Goûts du Jour », détaille Oscar, volontaire en service civique chez Cohérence, qui participe au projet.

Continuer sur le même rythme, laisser les réponses émerger, voir s’il faut s’inspirer des autres expérimentations…. font partie des enjeux à venir pour l’année prochaine. « On veut aussi éviter la récupération politique », ajoute Sören, en prévision des élections municipales 2026. Quoiqu’il en soit, ce que les représentant.e.s du groupe Lorientais retiennent de cette expérimentation de création d’une caisse locale de l’alimentation, c’est avant tout « le pouvoir d’agir des citoyen.ne.s ».


La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA), Kezaco ?

Au niveau national, le Collectif pour une SSA a été créé en 2019, initié par ISF-Agrista. Il regroupe de nombreuses structures telles que le réseau Civam, la Confédération Paysanne, l’Atelier Paysan, le Collectif Démocratie Alimentaire… et de nombreuses associations locales qui expérimentent des projets sur les territoires. « Le collectif travaille à l’intégration de l’alimentation dans le régime général de la Sécurité sociale, tel qu’il a été initié en 1946 : universalité de l’accès, conventionnement des professionnels réalisé par des caisses gérées démocratiquement, financement par la création d’une cotisation sociale à taux unique sur la production réelle de valeur ajoutée. », peut-on lire sur le site internet du collectif.

Mais comment cela fonctionne ? « Concrètement et sur le modèle du système de santé, une carte vitale de l’alimentation donne accès à des produits conventionnés pour un montant de 150€/mois et par personne. Le conventionnement repose principalement sur des caisses primaires gérées démocratiquement au niveau local, et articulées avec une instance nationale composée de membres représentants de ces caisses. ».

Plus d’infos sur le site https://securite-sociale-alimentation.org/

« Grâce au dessin de Claire Robert, le collectif SSA a élaboré un outil pédagogique pour découvrir le projet de sécurité sociale de l’alimentation : une bande dessinée ! Humoristique et agréable, cette bande dessiné est également enrichies d’annexes qui apportent de nombreux éléments sur les enjeux agricoles et alimentaires, le fonctionnement du régime général de sécurité sociale entre 1946 et 1967 et les bases sur lesquelles s’ancrent la réflexion du projet de sécurité sociale de l’alimentation.

Cette bande dessinée est un moyen de vous faire partager nos constats d’indignation et d’espoir…  et de vous inviter à partager les vôtres, à se rassembler, et peut être demain, reprendre tous ensemble le pouvoir de décider de notre alimentation ! »

Nombre de pages : 72 – Prix pour 5 BD : 10€ + 8 € frais port

Pour découvrir son premier chapitre : https://securite-sociale-alimentation.org/wp-content/uploads/2021/10/BD-SSA-BasseDef-1chapitre.pdf

Pour la commander : https://www.civam.org/ressources/reseau-civam/type-de-document/magazine-presse/bande-dessinee-encore-des-patates-pour-une-securite-sociale-de-lalimentation/




Cohérence : « Il ne peut y avoir de transition écologique sans participation citoyenne »

Cohérence, créée en 1998, est un réseau d’associations (de consommateurs, de paysans, de défenseurs de l’environnement), qui dès sa naissance s’est emparé des questions agricoles, puis au fil des ans a étendu son champ d’intervention à la transition écologique dans son ensemble. L’association travaille aussi autour de la participation citoyenne dans la transition écologique, en développant des outils spécifiques. A l’occasion de la redéfinition de son projet associatif, coup de projecteur sur cette association pionnière et référence dans le milieu associatif breton, avec l’interview croisée de Julian Pondaven, son directeur, Maëlla Sourivong et François Baron, respectivement co-présidente et co-président de Cohérence.

Comment l’association Cohérence a-t-elle été créée ? Et comment a-t-elle évoluée ?

Julian Pondaven : Cohérence a été créé en janvier 1998. La première assemblée générale s’est déroulée à Rennes, avec dès le départ une trentaine d’associations de consommateurs, de défenseurs de l’environnement, et des paysans. Des grandes structures, régionales, mais pas seulement, réunies autour du premier slogan de Cohérence qui était « l’agriculture, c’est l’affaire de tous ». Il y avait la volonté de créer une alliance de paysans, de consommateurs et de défenseurs de l’environnement pour une eau pure, par le biais d’une agriculture durable. C’est d’ailleurs l’un des premiers piliers de la philosophie de Cohérence : dire qu’on peut avoir des natures associatives différentes, mais pour autant être convaincus ensemble qu’une agriculture durable, donc autonome et économe, respectueuse de l’environnement, créatrice d’emplois, aménageuse du territoire, permettra de reconquérir la qualité de l’eau, de fournir des produits de qualité aux consommateurs, et sera rémunératrice pour les paysans.

Le deuxième constat était de se dire que l’union fait la force, on a besoin de travailler ensemble, tirer dans le même sens. Et on a besoin d’un réseau qui promeut des alternatives, puisqu’à l’époque on était déjà dans des luttes contre des projets de porcheries industrielles ou autres. Mais les fondateurs de Cohérence, comme Jean-Claude Pierre par exemple, voulaient un réseau qui promouvait les alternatives agricoles et alimentaires, pour compléter les luttes.

François Baron : C’était aussi un changement de posture, Cohérence n’était plus seulement dans le rôle de contestataire et défenseur, et faisait désormais des propositions. L’idée était de mettre aussi sur la table les perspectives. Il fallait se positionner sur l’avenir.

Comment est-on arrivé au nouveau projet associatif ?

François Baron : Cohérence avait été créée pour être force de proposition et de représentation. Mais progressivement chaque structure s’est un peu autonomisée. Ce qu’on pouvait leur proposer en termes d’outils, de fonctionnement, de savoirs, devenait plus faciles à acquérir par internet par exemple. Ce changement a été sensible et nous a obligé à évoluer différemment.

Julian Pondaven : Dans la nature des adhérents il y a eu cette modification. Les associations évoluent, elles ont une durée de vie, un cycle . On est passés d’associations rurales de défense de l’eau à des adhérents plus urbains, qui travaillent sur les transitions en général. Cohérence a aussi élargi son domaine d’intervention, puisqu’on est passé de l’eau et l’agriculture à l’ensemble de ce qu’on appelait à l’époque « le développement durable » et qu’on nomme maintenant « la transition écologique et solidaire ». Solidaire, parce qu’il ne faut laisser personne sur le bord de la route. La transition écologique c’est ici, maintenant, mais c’est aussi là-bas, à l’autre bout de la planète, et pour les générations futures. Mais c’est vrai que quand Cohérence a élargi son spectre d’intervention à la sensibilisation, la pédagogie, l’habitat, les huitres, et la participation citoyenne…il a fallu à un moment « rerésumer » qui on était. On était connus, mais les gens ne savaient plus vraiment pourquoi on était là, et où nous trouver. Le fait de réécrire le projet associatif nous a permis de redéfinir notre identité, de mettre des mots sur une évolution naturelle qui s’était faite avec le temps. Quand on disait « l’agriculture c’est l’affaire de tous », on avait déjà un pied dans la participation citoyenne. Mais là on a décidé de l’affirmer encore plus.

Quels sont les grands axes du projet associatif actuel ?

Maëlla Sourivong : Nous avons redéfini nos valeurs, nos missions, notre vision : la coopération, l’engagement citoyen, la solidarité, la sobriété. C’est ce qui nous porte, ce à quoi on tient. Sans oublier notre appartenance au vivant. Pour nous c’était important d’avoir ce lien, de ne pas oublier le reste du monde vivant, de ne pas se focaliser que sur l’homme. Redéfinir ces valeurs nous a permis de repréciser nos missions : d’une part, porter le récit de notre appartenance au vivant, c’est -à-dire exprimer comment avoir un discours différent de celui de la société consumériste et productiviste. Et comment en développant ce récit on arrive à proposer un futur, un imaginaire différent au grand public et à tous nos partenaires.

La deuxième mission est de créer et valoriser des outils, toujours dans un esprit coopératif. Depuis le départ, Cohérence, Julian, et les différentes personnes qui ont composées l’équipe ont créé des outils d’animation, d’analyse, qui permettent un travail autour du développement durable, de la transition ou de la participation citoyenne. Ces outils, on les créés dans l’optique qu’ils puissent être appropriés par d’autres, et puissent être utilisés sans notre intervention.

Notre troisième mission est la mise en mouvement de tous les citoyens et citoyennes, et d’être un espace de médiation. Là encore, on se voit comme un facilitateur d’échanges, entre différents acteurs de la société, que ça soit les collectivités, les associations, les entreprises, les habitants. Et comment faire en sorte qu’ils puissent agir de façon efficace, ensemble, et sur des sujets de transition.

L’objet maintenant de Cohérence est d’être ce facilitateur sur l’engagement citoyen, la participation citoyenne, sur tous les sujets qui touchent les transitions écologique et solidaires.

François Baron : Nous sommes aussi convaincus qu’il ne peut y avoir de véritable transition écologique sans participation citoyenne. L’un ne va pas sans l’autre. On œuvre sur ces deux versants car on se rend compte que beaucoup d’acteurs aujourd’hui, en particulier les acteurs politiques et économiques, ne prennent pas en compte l’aspect « participation » et vont focaliser sur du techno-solutionnisme etc…qui risque d’être rejeté par une partie de la population. Notre cheval de bataille est vraiment la participation citoyenne et la transition écologique « en même temps ».

Au fil des années, avez-vous vu des thématiques émerger, ou au contraire d’autres délaissées, par les citoyens en Bretagne ?

Julian Pondaven : Quand Cohérence a démarré, il y avait au cœur du réseau les questions agricoles, peu celles alimentaires finalement. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’outils pour intervenir sur ces questions. Il y avait en revanche la question de la réforme de la PAC, sujet sur lequel on a passé pas mal de temps à Cohérence, parce que la PAC est réformée tous les 4-5 ans. Nous avons beaucoup travaillé là-dessus, avec la difficulté de s’opposer à un mastodonte, qui est piloté au mieux à Paris, et en fait plus vraisemblablement à Bruxelles. C’était un sujet vraiment important à l’époque, porté par certains administrateurs qui étaient du milieu agricole. En 24 ans à Cohérence, quand je fais le bilan sur le volet agricole, je constate qu’il n’y a pas grand-chose qui a changé. On a vu une concentration des fermes, la disparition des petites exploitations…Par contre, le bio est monté en puissance, a évolué, s’est structuré, s’est organisé. Sur la question des pratiques, l’utilisation des phytos, la présence des algues vertes, sont des thématiques toujours prégnantes. La visibilité des algues vertes a été une façon de faire un focus sur une pollution qu’on ne voyait pas. Quand il y a plus de 50 mg de nitrates par litre d’eau dans la rivière, personne ne le voit.

Sur le volet alimentaire cependant, en 25 ans, on a vu les citoyens s’en emparer, avec l’émergence des Amap, de Terres de Liens…Maintenant on voit les PAT (Projets Alimentaires Territoriaux) qui commencent à prendre une place de plus en plus importante dans les collectivités. Celles-ci, et les citoyens, se sont dit que l’alimentation étaient un vrai sujet. Autant avec la réforme de la PAC, dès qu’on parlait du premier ou deuxième pilier des aides environnementales, on perdait tout le monde, autant l’alimentation est un sujet qui parle à tous. Tout le monde mange et tout le monde peut se projeter sur ce sujet. Désormais, l’émergence de la Sécurité Sociale de l’Alimentation en est la continuité. Les citoyens ont encore beaucoup de mal à s’emparer de la forteresse agricole parce que c’est très technique, très corporatiste.

Nous avons vu également la progression dans les réseaux de la question de la mobilité, avec le vélo, la question de l’habitat, de l’économie sociale et solidaire, de la participation citoyenne. Les champs d’investigation, d’engagement, se sont démultipliés. Les citoyens montent en compétences, sur des sujets assez techniques, se forment, et mettent les mains dans des dossiers de plus en plus compliqués.

François Baron : C’est aussi le fruit d’une tendance générale qui veut remettre le citoyen un peu au centre du débat politique. Il y a encore quelques années on le mettait en dehors, en lui disant « ne vous occupez pas de ça, on va laisser la place aux experts ou aux élus ». Mais aujourd’hui, face aux dommages et à la crise climatique, les citoyens se disent qu’ils ont aussi peut-être leur mot à dire. Il y a une transformation de la société civile qui est encore trop lente, trop timide. Nous, on essaie aussi de pousser pour que les gens agissent et s’emparent des sujets qui les concernent. Et surtout qui concerne les générations futures, qui ne sont pas écoutées, et sont totalement absentes du débat politique. Aujourd’hui la politique en règle générale est faite par un homme blanc de plus de 50 ans, qui ne prend pas beaucoup en compte tous ces aspects-là.

Quels sont les grands projets de Cohérence pour fin 2024 et 2025 ?

Julian Pondaven : Hormis le projet de Sécurité Sociale de l’Alimentation, nous accompagnons un groupe d’habitants de communes du Pays de Lorient, à Guidel et Quéven, pour voir comment ils peuvent réduire leur impact sur l’environnement, tout en travaillant leur bonheur. Comment on peut les rendre aussi heureux, voir plus, mais avec moins ? Le tout en suivant l’adage « Moins de biens, plus de liens ». L’accompagnement va durer jusqu’en début 2025. L’idée, c’est qu’ensuite les habitants portent un message auprès de l’agglomération et fassent des propositions d’aménagement pour faciliter le passage à la transition.

On a aussi le projet de redévelopper le réseau des Repair Cafés en Bretagne, avec une première mission pour des volontaires en service civique.

Nous travaillons également toujours sur la biodiversité. On va sortir 5 épisodes de podcasts, issus d’une action avec la commune de Laillé (35) qui s’est déroulée durant 3 ans. Les podcasts vont évoquer l’histoire des habitants et certains lieux de la commune, à travers leurs liens à la nature.

Parmi les autres projets, on peut citer aussi des conventions citoyennes locales, pour que les citoyens puissent émettre des avis sur des sujets sur lesquels les élus ont du mal à trancher. On organise une série de webinaires cet automne, avec des intervenants des territoires où elles ont été mises en place.

François Baron : Il y a aussi la Cop Bretagne, qui a été actionnée au niveau national par le gouvernement, qui souhaite mettre en place une planification écologique au niveau régional. Elle a été présentée au mois d’avril, à Rennes. Suite à cette présentation, nous nous sommes rendu compte que le monde associatif et la société civile étaient mis à l’écart, on était en périphérie du dispositif. Alors que pour nous, la transition écologique est justement une chose sur laquelle on travaille et on est acteur depuis de nombreuses années. Modestement, on pense qu’on a quand même des choses à dire, surtout dans le sens où il faut changer, renverser la table. Aujourd’hui, on a l’impression que les gros organismes et l’Etat en particulier, vont répliquer encore des méthodes de travail qui ont donné satisfaction mais qui ont aussi produits des effets contre lesquels on veut lutter. Pour nous, il faut changer vraiment ces données-là. Avec le Mouvement Associatif de Bretagne, la Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire, et FNE-Bretagne, on essaie de se faire entendre auprès de la Préfecture de Région pour que l’on soit réellement intégré en tant qu’acteurs, au même titre que peut l’être la Chambre Régionale d’Agriculture ou les services de l’état. On a été quand même assez bien écoutés par la région et par nos partenaires associatifs. Nous voudrions que les associations aient une place, mais pas un strapontin, au sein de la gouvernance de la Cop Bretagne, pour que la voix des citoyens soit portée, et que le volet « social » de la transition écologique ne soit pas oublié.




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