Ehop, on partage ses trajets en voiture en Bretagne

Connaissez-vous « l’autosolisme » ? D’après le dictionnaire en ligne Wiktionnary, c’est « le fait de circuler seul dans une automobile ». Selon les chiffres du dernier Baromètre Vinci Autoroutes, ce sont ainsi 86 % des conducteurs et conductrices français.e.s qui utilisent seul.e.s leur voiture le matin aux heures de pointe. 100 voitures sur la route ne transporteraient en réalité que…106 personnes ! En matière de covoiturage, les progrès sont encourageants, notamment en Bretagne, mais il y a encore à faire !

C’est là qu’intervient l’association Ehop. Basée à Rennes, cette structure régionale souhaite « mailler tout le territoire breton, pour que le covoiturage devienne un automatisme », explique Emma Le Borgne, salariée de l’association, rencontrée sur le Forum Séisme à Rennes.

Pour cela, Ehop met en place des partenariats avec des collectivités locales bretonnes, notamment des communautés de communes, ce qui leur permet de trouver de nouvelles solutions pour améliorer la mobilité sur leurs territoires. Mais également avec des entreprises, par exemple dans le secteur de l’agroalimentaire « qui sont souvent situées en milieu rural, et donc compliqué pour un accès en transport en commun, ce qui peut freiner les embauches pour les personnes non véhiculées », explique Emma.

L’association a donc créé des outils, comme « Ehop Solidaires », qui existe depuis 2017. Ce service permet de mettre en relation des personnes en recherche d’une solution de déplacement pour accéder à une mission et une formation, et d’autres qui disposent de place dans leur véhicule. Le tout par téléphone, pour celles et ceux qui souffrent de difficultés avec l’usage du numérique. « On peut aussi se transformer en guichet de la mobilité », précise Emma, qui travaille pour ce service. « On peut jouer le rôle de prescripteur, et on travaille aussi en lien avec les acteurs de l’insertion qui accompagne les demandeurs et demandeuses, comme par exemple la Mission Locale ».

Pour les petits déplacements ponctuels « de proximité » (médecin, coiffeurs, courses…) « Ehop près de chez moi » a été mis en place, sur trois collectivités pilotes au départ (Concarneau Cornouaille Agglomération, Bretagne Romantique, et Ploërmel Communauté). Là aussi, on peut appeler l’association pour trouver un trajet, ou aller sur le site OuestGo, plateforme publique et mutualisée dans le Grand Ouest, qui ne prend pas de commissions, et qui est partenaire de Ehop. De quoi se lancer dans le partage de trajets en voiture, même pour les adeptes les plus fidèles de l’autosolisme. Un geste loin d’être anodin quand on sait que la pollution de l’air, issue de l’utilisation des voitures, fait encore entre 40 000 et 48 000 morts par an….

Plus d’infos

https://ehop.bzh




Sécurité Sociale de l’alimentation : le pouvoir d’agir des citoyen.ne.s pour reprendre l’alimentation en main

Les projets de « Sécurité Sociale de l’Alimentation » germent un peu partout dans le pays. Sur un modèle similaire à celui de la Sécurité Sociale pour la santé, l’objectif est de permettre aux citoyen.ne.s, via des caisses locales, d’accéder à une nourriture saine et durable, et de lutter ainsi contre la précarité alimentaire, tout en sortant des systèmes d’aides actuels qui sont saturés et parfois source de stigmatisation. En Bretagne, des réflexions et des expérimentations sont en cours, de Rennes à Brest, en passant par Saint-Brieuc. Exemples à Morlaix et Lorient, avec deux projets récents.

A Morlaix, expérimentation avec les entreprises employeuses volontaires du territoire

Le groupe de travail morlaisien a été créé dans le cadre de la communauté d’action, démarche collective mise en place par le Résam, la Fonda, le Pôle ESS du Pays de Morlaix et l’Ulamir-Cpie, pour réfléchir aux coopérations sur le territoire en matière de transition écologique. Depuis un an, une douzaine de personnes se réunissent régulièrement, intéressées par le projet de création de caisse locale de SSA. « Les premiers temps ont été consacrés au partage de visions, à l’interconnaissance, à l’échange d’information », expliquent Nicolas Makeiew, salarié du Buzuk, la monnaie locale du Pays de Morlaix, et Géraldine Gabillet, animatrice à l’Ulamir-CPIE, deux structures qui participent à la réflexion. « On a commencé ensuite à explorer, à échanger avec les autres expérimentations ayant lieu sur le territoire national, comme par exemple à Clermont-Ferrand. On a aussi eu l’occasion d’organiser une conférence gesticulée, de diffuser le film « La part des autres »… ». Tout ceci afin de savoir quelle direction prendre  «  on a commencé à envisager les différents scénarios possibles », complètent Nicolas et Géraldine.

Depuis cet été, les objectifs ont été précisés : durabilité, démocratie, et lutte contre la précarité alimentaire. Quel est le public ciblé ? Qu’est ce qui va alimenter la caisse ? Ces questions ont aussi été abordées. L’orientation a été choisie : expérimenter le modèle avec des entreprises employeuses, comme sur le modèle des cotisations pour la sécurité sociale qui sont présentes sur les fiches de paie, afin de « repenser notre rapport à la solidarité », ajoutent les deux membres du collectif. Il y aura également un système de « caisse ouverte » pour les citoyen.ne.s participant.e.s.

Le lancement de l’expérimentation morlaisienne est espéré en janvier 2026. En attendant, le collectif participera à une étude d’opportunité menée avec le Tag29, et travaille avec des étudiant.e.s de la Cress/Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire sur la précarité alimentaire. Prochaines étapes : « l’élaboration du modèle de la caisse, (sur les volets citoyens et entreprises). C’est là qu’on va définir le public cible, le montant de l’allocation mensuelle, les différents niveaux de cotisations recherchés chez les futurs volontaires. C’est là aussi que nous réfléchirons aux différentes modalités pour inclure les salarié.es des structures intéressées (via un accord d’entreprise ou autre) », explique Nicolas. Une enquête auprès des habitant.es du territoire sera aussi lancée, pour sonder leurs attentes sur le sujet.

A Lorient, la réflexion sur un temps long

Tout a démarré en 2023, dans le cadre du Projet Alimentaire Territorial (PAT) du Pays de Lorient. « Optim’ism, entreprise solidaire basée à Riantec,qui fait entre autre du maraichage bio, a été missionnée pour travailler sur la concertation territoriale sur la précarité alimentaire. Suite à plusieurs rendez-vous avec des partenaires, dont Cohérence, un diagnostic a émergé, et une cartographie a été créée, mettant en évidence quels étaient les manques à combler sur le sujet », retrace Sophie Bacrot, chargée de mission démocratie alimentaire chez Cohérence. Quatre grands groupes de travail ont alors émergé : précarité alimentaire, cuisine/transformation, approvisionnement logistique et alimentaire, et citoyenneté alimentaire. Dans celui-ci, deux sous-groupes ont émergé : les jardins partagés, et la sécurité sociale de l’alimentation. « Le projet de monter une caisse locale de l’alimentation est venu du groupe en juillet 2024 », explique Sophie. « En avril 2024, on avait pour projet de créer de la connaissance de cause, d’encapaciter le groupe pour qu’il soit force de proposition sur le territoire.  Pendant 15 jours, on a organisé plusieurs événements, et une grande réunion collective, à laquelle étaient présentes 90 personnes », rappelle Sophie. Un groupe d’une cinquantaine de personnes est né, avec un noyau dur d’une trentaine de participant.e.s. Sören et Salomé en font partie. « On a d’abord défini quelle organisation nous voulions, à quelle fréquence auraient lieu les rencontres… », précise Sören. « On est en train de se former », ajoute Salomé, « On a presque terminé le « parcours d’apprentissage en commun ». Celui-ci comprend différentes étapes, sur 11 rendez-vous, et doit se terminer début 2025 avec des visites chez des producteurs. Un temps qui peut sembler long mais qui est nécessaire, selon Sophie. « C’est la particularité de notre projet. On est vraiment dans une démarche démocratique, la participation citoyenne en est le cœur. Cela permet d’avoir un socle commun ». Et de poser les bases de la caisse locale de l’alimentation du territoire : à qui elle va s’adresser ? Qui vont être les producteurs concernés ? Comment intégrer les bénéficiaires à la gouvernance ? Quels sont les partenaires ?

Lecture du livre « Encore des patates » (voir plus bas), atelier sur l’étude du système alimentaire actuel, rencontre avec une nutritionniste, intervention du réseau Civam et de la chercheuse Bénédicte Bonzi… ont été au menu des rencontres du groupe. « On a aussi pu utiliser des outils d’animation tels que le jeu de la ficelle, ou la fresque de la précarité alimentaire créée par l’association Aux Goûts du Jour », détaille Oscar, volontaire en service civique chez Cohérence, qui participe au projet.

Continuer sur le même rythme, laisser les réponses émerger, voir s’il faut s’inspirer des autres expérimentations…. font partie des enjeux à venir pour l’année prochaine. « On veut aussi éviter la récupération politique », ajoute Sören, en prévision des élections municipales 2026. Quoiqu’il en soit, ce que les représentant.e.s du groupe Lorientais retiennent de cette expérimentation de création d’une caisse locale de l’alimentation, c’est avant tout « le pouvoir d’agir des citoyen.ne.s ».


La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA), Kezaco ?

Au niveau national, le Collectif pour une SSA a été créé en 2019, initié par ISF-Agrista. Il regroupe de nombreuses structures telles que le réseau Civam, la Confédération Paysanne, l’Atelier Paysan, le Collectif Démocratie Alimentaire… et de nombreuses associations locales qui expérimentent des projets sur les territoires. « Le collectif travaille à l’intégration de l’alimentation dans le régime général de la Sécurité sociale, tel qu’il a été initié en 1946 : universalité de l’accès, conventionnement des professionnels réalisé par des caisses gérées démocratiquement, financement par la création d’une cotisation sociale à taux unique sur la production réelle de valeur ajoutée. », peut-on lire sur le site internet du collectif.

Mais comment cela fonctionne ? « Concrètement et sur le modèle du système de santé, une carte vitale de l’alimentation donne accès à des produits conventionnés pour un montant de 150€/mois et par personne. Le conventionnement repose principalement sur des caisses primaires gérées démocratiquement au niveau local, et articulées avec une instance nationale composée de membres représentants de ces caisses. ».

Plus d’infos sur le site https://securite-sociale-alimentation.org/

« Grâce au dessin de Claire Robert, le collectif SSA a élaboré un outil pédagogique pour découvrir le projet de sécurité sociale de l’alimentation : une bande dessinée ! Humoristique et agréable, cette bande dessiné est également enrichies d’annexes qui apportent de nombreux éléments sur les enjeux agricoles et alimentaires, le fonctionnement du régime général de sécurité sociale entre 1946 et 1967 et les bases sur lesquelles s’ancrent la réflexion du projet de sécurité sociale de l’alimentation.

Cette bande dessinée est un moyen de vous faire partager nos constats d’indignation et d’espoir…  et de vous inviter à partager les vôtres, à se rassembler, et peut être demain, reprendre tous ensemble le pouvoir de décider de notre alimentation ! »

Nombre de pages : 72 – Prix pour 5 BD : 10€ + 8 € frais port

Pour découvrir son premier chapitre : https://securite-sociale-alimentation.org/wp-content/uploads/2021/10/BD-SSA-BasseDef-1chapitre.pdf

Pour la commander : https://www.civam.org/ressources/reseau-civam/type-de-document/magazine-presse/bande-dessinee-encore-des-patates-pour-une-securite-sociale-de-lalimentation/




Cohérence : « Il ne peut y avoir de transition écologique sans participation citoyenne »

Cohérence, créée en 1998, est un réseau d’associations (de consommateurs, de paysans, de défenseurs de l’environnement), qui dès sa naissance s’est emparé des questions agricoles, puis au fil des ans a étendu son champ d’intervention à la transition écologique dans son ensemble. L’association travaille aussi autour de la participation citoyenne dans la transition écologique, en développant des outils spécifiques. A l’occasion de la redéfinition de son projet associatif, coup de projecteur sur cette association pionnière et référence dans le milieu associatif breton, avec l’interview croisée de Julian Pondaven, son directeur, Maëlla Sourivong et François Baron, respectivement co-présidente et co-président de Cohérence.

Comment l’association Cohérence a-t-elle été créée ? Et comment a-t-elle évoluée ?

Julian Pondaven : Cohérence a été créé en janvier 1998. La première assemblée générale s’est déroulée à Rennes, avec dès le départ une trentaine d’associations de consommateurs, de défenseurs de l’environnement, et des paysans. Des grandes structures, régionales, mais pas seulement, réunies autour du premier slogan de Cohérence qui était « l’agriculture, c’est l’affaire de tous ». Il y avait la volonté de créer une alliance de paysans, de consommateurs et de défenseurs de l’environnement pour une eau pure, par le biais d’une agriculture durable. C’est d’ailleurs l’un des premiers piliers de la philosophie de Cohérence : dire qu’on peut avoir des natures associatives différentes, mais pour autant être convaincus ensemble qu’une agriculture durable, donc autonome et économe, respectueuse de l’environnement, créatrice d’emplois, aménageuse du territoire, permettra de reconquérir la qualité de l’eau, de fournir des produits de qualité aux consommateurs, et sera rémunératrice pour les paysans.

Le deuxième constat était de se dire que l’union fait la force, on a besoin de travailler ensemble, tirer dans le même sens. Et on a besoin d’un réseau qui promeut des alternatives, puisqu’à l’époque on était déjà dans des luttes contre des projets de porcheries industrielles ou autres. Mais les fondateurs de Cohérence, comme Jean-Claude Pierre par exemple, voulaient un réseau qui promouvait les alternatives agricoles et alimentaires, pour compléter les luttes.

François Baron : C’était aussi un changement de posture, Cohérence n’était plus seulement dans le rôle de contestataire et défenseur, et faisait désormais des propositions. L’idée était de mettre aussi sur la table les perspectives. Il fallait se positionner sur l’avenir.

Comment est-on arrivé au nouveau projet associatif ?

François Baron : Cohérence avait été créée pour être force de proposition et de représentation. Mais progressivement chaque structure s’est un peu autonomisée. Ce qu’on pouvait leur proposer en termes d’outils, de fonctionnement, de savoirs, devenait plus faciles à acquérir par internet par exemple. Ce changement a été sensible et nous a obligé à évoluer différemment.

Julian Pondaven : Dans la nature des adhérents il y a eu cette modification. Les associations évoluent, elles ont une durée de vie, un cycle . On est passés d’associations rurales de défense de l’eau à des adhérents plus urbains, qui travaillent sur les transitions en général. Cohérence a aussi élargi son domaine d’intervention, puisqu’on est passé de l’eau et l’agriculture à l’ensemble de ce qu’on appelait à l’époque « le développement durable » et qu’on nomme maintenant « la transition écologique et solidaire ». Solidaire, parce qu’il ne faut laisser personne sur le bord de la route. La transition écologique c’est ici, maintenant, mais c’est aussi là-bas, à l’autre bout de la planète, et pour les générations futures. Mais c’est vrai que quand Cohérence a élargi son spectre d’intervention à la sensibilisation, la pédagogie, l’habitat, les huitres, et la participation citoyenne…il a fallu à un moment « rerésumer » qui on était. On était connus, mais les gens ne savaient plus vraiment pourquoi on était là, et où nous trouver. Le fait de réécrire le projet associatif nous a permis de redéfinir notre identité, de mettre des mots sur une évolution naturelle qui s’était faite avec le temps. Quand on disait « l’agriculture c’est l’affaire de tous », on avait déjà un pied dans la participation citoyenne. Mais là on a décidé de l’affirmer encore plus.

Quels sont les grands axes du projet associatif actuel ?

Maëlla Sourivong : Nous avons redéfini nos valeurs, nos missions, notre vision : la coopération, l’engagement citoyen, la solidarité, la sobriété. C’est ce qui nous porte, ce à quoi on tient. Sans oublier notre appartenance au vivant. Pour nous c’était important d’avoir ce lien, de ne pas oublier le reste du monde vivant, de ne pas se focaliser que sur l’homme. Redéfinir ces valeurs nous a permis de repréciser nos missions : d’une part, porter le récit de notre appartenance au vivant, c’est -à-dire exprimer comment avoir un discours différent de celui de la société consumériste et productiviste. Et comment en développant ce récit on arrive à proposer un futur, un imaginaire différent au grand public et à tous nos partenaires.

La deuxième mission est de créer et valoriser des outils, toujours dans un esprit coopératif. Depuis le départ, Cohérence, Julian, et les différentes personnes qui ont composées l’équipe ont créé des outils d’animation, d’analyse, qui permettent un travail autour du développement durable, de la transition ou de la participation citoyenne. Ces outils, on les créés dans l’optique qu’ils puissent être appropriés par d’autres, et puissent être utilisés sans notre intervention.

Notre troisième mission est la mise en mouvement de tous les citoyens et citoyennes, et d’être un espace de médiation. Là encore, on se voit comme un facilitateur d’échanges, entre différents acteurs de la société, que ça soit les collectivités, les associations, les entreprises, les habitants. Et comment faire en sorte qu’ils puissent agir de façon efficace, ensemble, et sur des sujets de transition.

L’objet maintenant de Cohérence est d’être ce facilitateur sur l’engagement citoyen, la participation citoyenne, sur tous les sujets qui touchent les transitions écologique et solidaires.

François Baron : Nous sommes aussi convaincus qu’il ne peut y avoir de véritable transition écologique sans participation citoyenne. L’un ne va pas sans l’autre. On œuvre sur ces deux versants car on se rend compte que beaucoup d’acteurs aujourd’hui, en particulier les acteurs politiques et économiques, ne prennent pas en compte l’aspect « participation » et vont focaliser sur du techno-solutionnisme etc…qui risque d’être rejeté par une partie de la population. Notre cheval de bataille est vraiment la participation citoyenne et la transition écologique « en même temps ».

Au fil des années, avez-vous vu des thématiques émerger, ou au contraire d’autres délaissées, par les citoyens en Bretagne ?

Julian Pondaven : Quand Cohérence a démarré, il y avait au cœur du réseau les questions agricoles, peu celles alimentaires finalement. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’outils pour intervenir sur ces questions. Il y avait en revanche la question de la réforme de la PAC, sujet sur lequel on a passé pas mal de temps à Cohérence, parce que la PAC est réformée tous les 4-5 ans. Nous avons beaucoup travaillé là-dessus, avec la difficulté de s’opposer à un mastodonte, qui est piloté au mieux à Paris, et en fait plus vraisemblablement à Bruxelles. C’était un sujet vraiment important à l’époque, porté par certains administrateurs qui étaient du milieu agricole. En 24 ans à Cohérence, quand je fais le bilan sur le volet agricole, je constate qu’il n’y a pas grand-chose qui a changé. On a vu une concentration des fermes, la disparition des petites exploitations…Par contre, le bio est monté en puissance, a évolué, s’est structuré, s’est organisé. Sur la question des pratiques, l’utilisation des phytos, la présence des algues vertes, sont des thématiques toujours prégnantes. La visibilité des algues vertes a été une façon de faire un focus sur une pollution qu’on ne voyait pas. Quand il y a plus de 50 mg de nitrates par litre d’eau dans la rivière, personne ne le voit.

Sur le volet alimentaire cependant, en 25 ans, on a vu les citoyens s’en emparer, avec l’émergence des Amap, de Terres de Liens…Maintenant on voit les PAT (Projets Alimentaires Territoriaux) qui commencent à prendre une place de plus en plus importante dans les collectivités. Celles-ci, et les citoyens, se sont dit que l’alimentation étaient un vrai sujet. Autant avec la réforme de la PAC, dès qu’on parlait du premier ou deuxième pilier des aides environnementales, on perdait tout le monde, autant l’alimentation est un sujet qui parle à tous. Tout le monde mange et tout le monde peut se projeter sur ce sujet. Désormais, l’émergence de la Sécurité Sociale de l’Alimentation en est la continuité. Les citoyens ont encore beaucoup de mal à s’emparer de la forteresse agricole parce que c’est très technique, très corporatiste.

Nous avons vu également la progression dans les réseaux de la question de la mobilité, avec le vélo, la question de l’habitat, de l’économie sociale et solidaire, de la participation citoyenne. Les champs d’investigation, d’engagement, se sont démultipliés. Les citoyens montent en compétences, sur des sujets assez techniques, se forment, et mettent les mains dans des dossiers de plus en plus compliqués.

François Baron : C’est aussi le fruit d’une tendance générale qui veut remettre le citoyen un peu au centre du débat politique. Il y a encore quelques années on le mettait en dehors, en lui disant « ne vous occupez pas de ça, on va laisser la place aux experts ou aux élus ». Mais aujourd’hui, face aux dommages et à la crise climatique, les citoyens se disent qu’ils ont aussi peut-être leur mot à dire. Il y a une transformation de la société civile qui est encore trop lente, trop timide. Nous, on essaie aussi de pousser pour que les gens agissent et s’emparent des sujets qui les concernent. Et surtout qui concerne les générations futures, qui ne sont pas écoutées, et sont totalement absentes du débat politique. Aujourd’hui la politique en règle générale est faite par un homme blanc de plus de 50 ans, qui ne prend pas beaucoup en compte tous ces aspects-là.

Quels sont les grands projets de Cohérence pour fin 2024 et 2025 ?

Julian Pondaven : Hormis le projet de Sécurité Sociale de l’Alimentation, nous accompagnons un groupe d’habitants de communes du Pays de Lorient, à Guidel et Quéven, pour voir comment ils peuvent réduire leur impact sur l’environnement, tout en travaillant leur bonheur. Comment on peut les rendre aussi heureux, voir plus, mais avec moins ? Le tout en suivant l’adage « Moins de biens, plus de liens ». L’accompagnement va durer jusqu’en début 2025. L’idée, c’est qu’ensuite les habitants portent un message auprès de l’agglomération et fassent des propositions d’aménagement pour faciliter le passage à la transition.

On a aussi le projet de redévelopper le réseau des Repair Cafés en Bretagne, avec une première mission pour des volontaires en service civique.

Nous travaillons également toujours sur la biodiversité. On va sortir 5 épisodes de podcasts, issus d’une action avec la commune de Laillé (35) qui s’est déroulée durant 3 ans. Les podcasts vont évoquer l’histoire des habitants et certains lieux de la commune, à travers leurs liens à la nature.

Parmi les autres projets, on peut citer aussi des conventions citoyennes locales, pour que les citoyens puissent émettre des avis sur des sujets sur lesquels les élus ont du mal à trancher. On organise une série de webinaires cet automne, avec des intervenants des territoires où elles ont été mises en place.

François Baron : Il y a aussi la Cop Bretagne, qui a été actionnée au niveau national par le gouvernement, qui souhaite mettre en place une planification écologique au niveau régional. Elle a été présentée au mois d’avril, à Rennes. Suite à cette présentation, nous nous sommes rendu compte que le monde associatif et la société civile étaient mis à l’écart, on était en périphérie du dispositif. Alors que pour nous, la transition écologique est justement une chose sur laquelle on travaille et on est acteur depuis de nombreuses années. Modestement, on pense qu’on a quand même des choses à dire, surtout dans le sens où il faut changer, renverser la table. Aujourd’hui, on a l’impression que les gros organismes et l’Etat en particulier, vont répliquer encore des méthodes de travail qui ont donné satisfaction mais qui ont aussi produits des effets contre lesquels on veut lutter. Pour nous, il faut changer vraiment ces données-là. Avec le Mouvement Associatif de Bretagne, la Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire, et FNE-Bretagne, on essaie de se faire entendre auprès de la Préfecture de Région pour que l’on soit réellement intégré en tant qu’acteurs, au même titre que peut l’être la Chambre Régionale d’Agriculture ou les services de l’état. On a été quand même assez bien écoutés par la région et par nos partenaires associatifs. Nous voudrions que les associations aient une place, mais pas un strapontin, au sein de la gouvernance de la Cop Bretagne, pour que la voix des citoyens soit portée, et que le volet « social » de la transition écologique ne soit pas oublié.




Mamik, une boite à savons éco-conçue en Loire-Atlantique

https://mamik.fr

 

 




Wild Bretagne, l’association qui veut faire pousser des forêts sauvages

L’association Wild Bretagne achète dans la région des parcelles, afin de « faire éclore des forêts sauvages ». Les terrains acquis deviennent ainsi des biens communs, sur lesquels la chasse, la coupe des arbres, la cueillette sont interdites, et le bois mort conservé. Laissés en « libre évolution », ces forêts deviennent ainsi des lieux privilégié pour la faune et la flore locale, qui y est préservée. Une façon aussi pour l’association d’amener à s’interroger sur les relations entre l’humain et le vivant, et notre lien au sauvage. Rencontre et reportage à Plouec-Du-Trieux(22), où se trouvent les premières parcelles acquises.

C’est dans la Vallée du Trieux, à quelques encablures de Saint-Clet (22), que nous rencontrons Pat et Sane. Tous deux font partie de l’association Wild Bretagne, née il y a maintenant 4 ans, et qui a pour but d’agir concrètement pour « faire éclore des forêts sauvages en Bretagne ».Une aventure démarrée par une « bande de copains et copines », qui se rencontrent durant leurs études. « On pratiquait tous et toutes la rando, le stop, le vélo, et on aimait voyager », explique Sane. A force de découvertes, la petite bande commence à se questionner autour de la notion d’espaces sauvages : Est ce qu’il possible d’en avoir encore ? Et en Bretagne. ? Comment peut-on faire ? Sane, Pat et les autres vont alors jusqu’en Pologne, à la découverte de la dernière grande forêt européenne, Bialowesa. Une rencontre va profondément les marquer : celle avec Bogdan Jaroszewicz, directeur de la station géobotanique de la forêt. « Il nous a permis de comprendre comment on pouvait faire revenir une forêt primaire », précise Pat.

Et donc, comment faire germer des forêts sauvages en Bretagne ? L’association Wild achète alors des parcelles, qui deviennent ainsi des « biens communs », pour les laisser ensuite en « libre évolution », et exemptes de toutes activités humaines. La chasse et la coupe d’arbres y sont interdites, tout comme la cueillette. Le bois mort est conservé, car il sert d’habitat et de nourriture à de nombreuses espèces. « Les études scientifiques montrent que la non-gestion permet l’augmentation de la biodiversité forestière », soutient Pat. « Cependant, nous ne sommes pas contre l’usage du bois. On essaie juste d’embarquer un maximum de gens dans nos questionnements», précise-t-il. Il faut savoir qu’en Bretagne, qui est l’une des régions les moins boisées de France, les forêts sont toutes très jeunes, et très exploitées. Et en France, seulement 0,14% de celles-ci sont laissées en libre évolution !

Chasse interdite et chevreuils

A Plouëc-Du-Trieux (22) ; l’association a donc acheté 18 000 m2 de forêt, divisé en trois partie. Le tout grâce à un financement participatif, qui a eu un très beau succès. « On avait pour objectif 7500 euros, finalement on en a obtenu 27 000 ! », se réjouissent Sane et Pat. L’une des parcelles se trouve à 30 minutes de marche de la route départementale, en longeant le Trieux, par le GR. Le temps étant clément, nous partons donc à sa découverte avec Pat. L’endroit est idyllique, bordé de quelques chaos rocheux, et de la rivière. Quelques arbres tombés du fait des récentes tempêtes obstruent le chemin, ce qui nous oblige à quelques contournements par les fougères. Nous arrivons finalement après quelques descentes et montées sur le territoire de la réserve. Un panneau signale que la chasse est interdite. Ici, on trouve ce qui fait la biodiversité classique d’une forêt bretonne, à savoir des hêtres, des châtaigniers, des chênes, des ifs, mais aussi du sureau ou des très jeunes érables. Des passages et des empreintes indiquent la présence de chevreuils, qui viennent également s’abreuver dans le Trieux. « On a installé un piège photo et on les a repéré », explique Pat, en chuchotant, pour ne pas les effrayer. Le terrain est à eux, ainsi qu’aux sangliers, pics, chouettes, hiboux…qu’on pourrait y trouver. Mais le sentier reste accessible aux humains, qui « font aussi partie du vivant ».

Des balades botaniques ont déjà eu lieu sur le site. Une manière de sensibiliser le grand public, qui est par ailleurs le second axe d’action de Wild Bretagne. « L’idée, c’est aussi de conscientiser, notamment par l’art et le jeu. Certain.e.s membres de l’association ont une sensibilité plus artistique. On peut proposer des ateliers de peinture, d’écriture…qui permettent une première approche ». L’association a ainsi créé une exposition photo sur la forêt primaire polonaise de Bialowesa, et un jeu de cartes « memory » pour apprendre aux petits et grands à reconnaître les arbres. Elle intervient également dans des écoles, des bibliothèques, des festivals…et souhaite créer du lien avec les habitant.e.s. « Tout ceci permet de croiser les regards et des sensibilités différentes », indique Pat. « Chacun peut réinterpréter sa vision du sauvage, retrouver un lien sensible avec le vivant. Il faut changer de paradigme : nous sommes juste des humains qui habitons un écosystème. Il faut savoir coexister et partager ».

« L’appel du sauvage », de nouvelles parcelles à acheter bientôt

L’équipe de Wild Bretagne a lancé début juillet un nouveau projet, baptisé « L’appel du sauvage ». Trois terrains sélectionnés sont soumis aux votes du public, pour être achetés par l’association, grâce aux dons supplémentaires qui ont été récoltés dans le cadre de la campagne de financement participatif précédente. Un nouvel appel aux dons, pour compléter les fonds, sera lancé également.

PSST…. NOUS AVONS TOUJOURS BESOIN DE VOTRE SOUTIEN !
Nous sommes un webmédia associatif, basé à Morlaix qui met en avant les actrices et les acteurs des transitions écologiques nécessitant évidemment des transitions sociales, culturelles et solidaires dans nos territoires de Bretagne. Outre, notre site d’information, alimenté par notre journaliste-salariée et par des plumes citoyennes bénévoles, nous menons ponctuellement des actions de sensibilisation aux transitions et de formation aux médias citoyens avec des interventions auprès d’associations et d’établissements scolaires.
Pour tout cela, nous avons le soutien de collectivités territoriales et de l’Etat. Percevoir de l’argent public pour nos activités d’intérêt général fait sens pour nous.
Pour autant, votre participation citoyenne nous est essentielle :- vos envies d’écrire, ou de photographier, ou de podcaster des initiatives de transitions dans les cinq départements de Bretagne historique.- vos contributions financières pour continuer de mener à bien nos projets en 2024, notamment nos « Portraits de femmes en transition ». – vos implications dans notre vie associative.
Pour cela, vous pouvez adhérer en ligne : https://www.helloasso.com/associations/eco-bretons/adhesions/adhesion-2024

Plus d’infos :

https://wild-bretagne.fr




Portrait de femme n°18 : Flavie Despretz : L’art de faire ensemble

Flavie Despretz est une bretonne pure souche, baignée dans les objets bruts depuis toute jeune. Le monde du recyclage a toujours fait partie d’elle. C’est tout naturellement qu’il a perduré à l’âge adulte. Et quoi de mieux que l’artisanat d’art pour l’exprimer, le montrer et le faire vivre.
« C’était une évidence […] nous avons tellement de matières intéressantes dans nos poubelles, tellement de choses qui sont là et que nous jetons ».
De la construction de cabanes dans les bois, aux luminaires avec des morceaux de canettes et de vieilles bandes de cinémas, le travail de la matière l’interroge.
Travailler les matériaux, les faire vivre de nouveau dans un environnement, questionner nos pratiques, nos habitudes. C’est dans cet objectif que Flavie a créé l’événement « La Balade Artistique »
.

« Le projet est de faire sortir l’art […] que les gens se ré- émerveillent de nos paysages
et de notre environnement ».

Plus d’une quarantaine d’artistes étaient présents le dimanche 19 mai 2024 à Carantec dans le Finistère. Le concept de la balade est de présenter une prestation artistique (tableaux, danse, land- art, sculptures…) en symbiose avec le littoral de Carantec. Pour que tous et toutes puissent découvrir l’art au-delà d’une galerie ou d’une exposition fermée.

Tableaux de Noelle Irvoas, photographie de Sophie Sanchez, Balade Artistique Carantec, 2024.

Lors de cette journée, Flavie a créé une œuvre souhaitant refléter la montée des eaux et la fragilité du littoral. « La commune de Carantec fait partie du littoral en danger […]Il est important pour moi de le montrer et de replacer l’humain face à la nature », rappelle Flavie.

Imaginez-vous d’ici trente ans, vous baigner dans le sable, comme si de rien n’était, car nous n’aurons pas changé nos habitudes face au dérèglement climatique. C’est l’idée que Flavie a souhaité montrer à travers ses œuvres saugrenues sur la plage du port de Carantec.
« C’est une reconnexion : de se parler, de regarder ce qu’il se passe, voir ce que l’on peut faire ensemble. Le jeu est surtout de ne pas paraître effrayant, mais plutôt de passer par le comique et l’ironie ».

Baignade sur la plage. Flavie Despre, photographie @DilineGwen, Balade artistique Carantec, 2024

« Parler ou faire parler d’écologie par le rire et non par la peur »

Avec tout ce que l’on voit dans les médias, sur les réseaux sociaux ou à la télévision, Flavie se sert de l’art comme moyen d’expression, pour faire passer un message différent. Pour que les personnes se rassemblent et échangent face à l’absurdité.
« Les gens font comme si de rien n’était alors que l’on sait que nager dans le sable c’est une horreur […] tout va bien dans le meilleur des mondes », assure-t-elle.
Techniquement les œuvres sont en « plâtre du Marais » un mélange de plâtre et de chaux aérienne
avec un corps en filasse.
Flavie a choisi ce matériau pour sa légèreté et sa flexibilité. Cela lui a permis d’aller chez les personnes et de faire des moules sur mesure.

« Les baigneurs de l’absurde, œuvres de Flavie Despretz, Balade Artistique Carantec, Sophie Sanchez, 2024

Autre proposition, l’ours blanc sirotant son cocktail tout en scrutant l’horizon, sur le plongeoir
de la plage de la Grève Blanche, donne matière à réflexion.
Un message simple réalisé collectivement par les bénévoles et autres artistes -dont Flavie en est la
cofondatrice avec Léa Roussy- de la journée.
« Passé le moment de surprise et de rire, les gens parlaient spontanément d’environnement »
C’est donc cela l’art selon Flavie Despretz. Le faire ensemble par l’humour et par l’amour.

L’Ours de Carantec, Œuvre Collective, Balade Artistique, Photographie de Sophie Sanchez, 2024.

Propos recueillis par Sophie Sanchez.
Merci encore à Flavie Despretz pour son temps et son incroyable travail lors de la journée Balade Artistique Carantec.

Retrouvez le travail de Flavie
Sur son site internet :
https://flaviedespretz.wixsite.com/home
Et sur Instagram :
@flavieluminariste
@baladeartistique_carantec


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