(Plume Citoyenne) A quelques encablures de sa célèbre ville close, Concarneau possède un nouvel abri pour les pêcheurs de mots et autres amoureux d’aventures littéraires. La librairie Albertine a ouvert ses portes en 2019 et se sent bien ancrée au cœur de la ville bleue. Un lieu qui participe à la transition écologique grâce à l’engagement de ses propriétaires.
Par un vendredi de marché, partons à la rencontre de Jean-Baptiste et Héloïse qui nous accueillent dans ce lieu qu’ils ont créé et pensé autour de valeurs de partage et de transmissions. Albertine est une librairie généraliste mais la balade entre ses rayons révèle le choix et les goûts de ses libraires pour les sciences humaines, l’écologie, le féminisme et bien sûr la littérature. Des sensibilités marquées qui diffusent dans tous les domaines comme va nous l’évoquer Héloïse qui nous reçoit. Ouvrir une librairie était pour ces deux passionnés aux racines bretonnes comme un rêve, un fantasme qu’ils se racontaient… Quand le décalage entre ses convictions personnelles et sa profession est devenue trop insupportable, Jean-Baptiste, ancien contrôleur de gestion notamment dans le domaine militaire, a décidé de sauter le pas et de se lancer avec sa compagne, ancienne professeure de philosophie, dans l’ouverture d’Albertine.
Albertine, référence proustienne pour le côté littéraire et poétique mais aussi référence à Albertine Sarrazin pour le côté politique, écrivaine et femme indomptable ayant connu la prison et la prostitution au cours de sa vie intense.
Les personnalités, les engagements des libraires se dessinent dans leurs différents rayons où l’on peut apercevoir les bandes dessinées d’ Alessandro Pignocchi qui relient l’Amazonie aux ZAD ou encore dans le rayon jeunesse où ils ont à cœur d’éveiller la sensibilité des enfants.
Au delà du plaisir pur de la littérature, très présent chez eux, Héloïse évoque les prises de conscience que certaines lectures ont eu sur eux comme celle de « Saison brune » de Philippe Squarzoni sur le dérèglement climatique ou « La bombe »d’Alcante, Bollée et Rodier qui narre l’histoire de la bombe atomique.
En cette drôle de période épidémique, le confinement n’a fait que renforcer la conviction d’Héloïse sur l’importance des rapports humains dans son métier, et même si le click and collect a été salutaire pour les soutenir, elle laisse volontiers cela aux plates-formes numériques désincarnées. Une autre forme de résistance au monde voulu par celles-ci…
L’originalité d Albertine réside aussi dans « L’Infusoir », moment de rencontre autour de livres de sciences humaines où les lecteurs viennent partager leurs lectures, nourrir leurs réflexions au monde et tisser des liens. Des livres comme ceux de l’anthropologue Nastassja Martin ou du philosophe Baptiste Morizot y ont notamment été évoqués. Les livres sont librement choisis par les participants et tous les 3, 4 mois, un thème peut aussi être établi comme celui des « vivants »lors d’une précédente rencontre. Le choix du mot « Infusoir » est expliqué par Héloïse par l’importance de la lenteur, du besoin de ralentir. « La pensée prend du temps et ce temps est nécessaire véritablement…surtout quand il s’agit de prise de conscience qui vont affecter aussi notre manière de vivre…Pour que ce soit véritablement pensé et intériorisé, il faut ce temps, ce n’est pas juste une compréhension intellectuelle…L’Infusoir, c’était l’idée que les idées, elles vont rester avec nous après, faire leur chemin petit à petit… »
Les rencontres avec les auteur.trices sont quelque peu suspendues en ce moment mais les projets se déploient toutefois chez Albertine. Notamment celui porté par Héloïse autour du papier et de l’objet livre en lui-même. Une classe de CM2 le réalise avec elle avec la fabrication d’un livre de A à Z par le biais d’ateliers d’écriture, de fabrication du papier, de reliure japonaise et d’illustrations en linogravure. Chaque atelier est l’occasion d’un moment d’éducation populaire comme celui autour de la fabrication du papier, atelier sensoriel et manuel, qui amène des réflexions autour du recyclage, du gaspillage et des enjeux environnementaux. Elle aspire également à monter un petit laboratoire qui permettrait la fabrication de papier, papier qui pourrait être utilisé par des artistes locaux et pourquoi pas aller même jusqu’à trouver de la cellulose locale grâce aux plantes cultivées dans un jardin collectif ? Toujours ces notions de liens et de réflexions qu’amènent le livre…
La librairie Albertine est un lieu incarné par ses libraires, où il fait bon se poser, flâner et prendre le temps d’y découvrir les ouvrages patiemment sélectionnés et duquel il est difficile de ressortir les mains vides ! Les conseils d’Héloïse et Jean Baptiste élargiront sans nul doute, bien des horizons.
Pour Eco-bretons, Héloïse nous a sélectionné quelques ouvrages symbolisant pour elle la notion de transition. Elle nous les présente et nous explique les raisons de ses choix
« L’ ours et le rossignol » de Katherine Arden éditions Folio SF
Ce livre de science-fiction raconte l’histoire de Vassia, petite fille grandissant dans une Russie médiévale, récit imprégné par les traditions et les légendes russes. Vassia, qui possède la capacité de communiquer avec les esprits de la forêt, des animaux et ceux protecteurs des maisons, est confrontée à l’arrivée d’une belle-mère et d’un prêtre cherchant à évangéliser son village et s’opposant aux traditions ancestrales.
Pour Héloïse, l’écologie invite à déployer des imaginaires et la littérature y participe pleinement.
Ces imaginaires permettent de ne pas se représenter la nature comme intouchable et extérieure à nous mais au contraire d’y être pleinement intégré et d’imaginer d’autres manières de vivre en relation avec le reste du vivant.
« Au bois »de Charline Collecte éditions Les fourmis rouges
L’autrice nous emmène découvrir la forêt dans 12 petites histoires mélangeant bande dessinée et illustrations sublimes, au travers d’un regard d’enfant comme de celui d’une grande personne.
Histoires racontant par exemple les ressentis autour des saisons, des animaux de la forêt ou encore la coupe du bois ou la déforestation. Les niveaux de lecture y sont multiples, pour les petits comme pour les grands.
Pour Héloïse, un des enjeux est d’apprendre à regarder autrement, à percevoir et à s’interroger différemment sur nos milieux de vie, ici la forêt, pour éveiller, toujours, notre regard au monde.
Et le dernier choix d’Héloïse, dont on soupçonne qu’il y en aurait eu beaucoup d’autres, se porte sur :
« Fracture » d’Eliza Griswold éditions Globe
Cet essai écrit par une journaliste d’investigation, poétesse et traductrice de pachtoune, retrace 7 ans d’enquêtes implacables sur les pratiques des entreprises d’extraction du gaz de schiste. On y suit l’histoire de Stacey et de sa famille dans les Appalaches, région fortement touchée par la crise économique et dans laquelle l’espoir renaît avec l’arrivée d’entreprises minières. Mais les belles promesses de celles-ci se heurtent très vite aux conséquences écologiques, sanitaires et sociales, conséquences que ces entreprises font tout pour dissimuler. Enquête et roman où tout est factuel, on pense au « Printemps silencieux » de Rachel Carson qu’Eliza Griswold cite dans ses pages et à son combat contre les pesticides. Fracture de la Terre, fracture des hommes et fracture de ce qui fait société…
Encore un récit permettant de mieux appréhender ce qui se déroule sur notre planète afin de la conserver en meilleur état.
Contact :
Librairie Albertine
5 rue des Ecoles
29900 Concarneau
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