Le feuilleton de l’été « Les mots valises » : l’innovation (chapitre 3, épisode 1)
Cet été nous nous intéresserons à quatre expressions qui sont dans le ton de ce site : développement durable, transitions (qui peut être énergétique ou écologique, voire les deux à la fois), innovation ( qui peut-être sociale, technologique, commerciale) et démocratie participative (forcément participative, aurait dit Marguerite Duras).
premier épisode : innover ou mourir
l’OCDE définit l’innovation comme « [L]a mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé (de production)nouveau ou sensiblement amélioré […], d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d’une entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures. » (Manuel d’Oslo 3ème réédition).
Le feuilleton de l’été « les mots valises » : la transition (chapitre 2, épisode 3)
Il y a comme cela des mots ou des expressions qui apparaissent, deviennent à la mode et ont un tel succès que, finalement, tout le monde se les approprie. Évidemment, comme il s’agit d’expressions nouvelles, leur signification reste un peu floue et chacun y met ce qu’il veut, un peu comme dans une valise.
Cet été nous nous intéresserons à quatre expressions qui sont dans le ton de ce site : développement durable, transitions (qui peut être énergétique ou écologique, voire les deux à la fois), innovation ( qui peut-être sociale, technologique, commerciale) et démocratie participative (forcément participative, aurait dit Marguerite Duras).
Épisode 3 : Transitions radicalement progressives
L’épisode précédent se terminait sur « trajectoire de transition » . En effet, il s’agit bien de cela, d’une trajectoire ou plutôt d’un trajet, le plus souvent personnel, parfois collectif (« seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » dit la sagesse populaire africaine). C’est un mouvement continu, progressif mais résolu qui peut partir de n’importe où mais toujours d’un point qui touche particulièrement chaque individu. Cela peut être sa santé, son porte-monnaie, son boulot, ses relations de voisinage, le spectacle du monde. Peu importe. Le principal, c’est d’abord de se sentir concerné. Évidemment si on en reste là, les choses n’avanceront guère : on sera au mieux dans la protestation contre le système qui produit tout cela, au pire dans la désespérance résignée face au même système, en attendant on ne sait quel bouleversement qui renverserait ce système pour le remplacer par … on ne sait trop quoi. Et puis il y a l’attitude plus réactive qui est de dire : « au moins sur ce point-là, je peux faire quelque chose, changer mes habitudes ! » et en général on le fait parce que c’est ce point-là justement qui a permis une première prise de conscience parce que sur cette question, on se sentait concerné.
Et puis de fil en aiguille, à condition de s’en donner la peine et de faire preuve de curiosité, on se rend compte qu’il y a d’autres phénomènes néfastes liés à ceux-là et que l’ensemble fait partie d’un système et que lorsque on touche à un élément, c’est l’ensemble de l’écheveau qu’il faut dévider car rien n’est totalement indépendant et qu’il existe des chaînes de causalité : énergie-transport-mobilité-aménagement de l’espace, santé-alimentation-mode de consommation-mode de production par exemple et la liste est longue. Et plus on creuse, plus on va vers les racines. C’est pourquoi je parle de transition radicale, c’est à dire celle qui va jusqu’aux racines de chaque problème. Changer ses comportements, c’est bien mais ne pas faire couler l’eau en se brossant les dents ou faire pipi sous la douche pour économiser l’eau des toilettes, cela reste des comportements déculpabilisants voire un peu ludiques si parallèlement on ne se pose pas la question de la vie de l’eau : l’eau qu’on capte et détourne pour produire des plantes gourmandes, l’eau qu’on salit en empoisonnant la terre, l’eau qu’on rejette sans forcément la nettoyer. Ceci n’est évidemment qu’un exemple parmi tant d’autres. Mais si on décidait d’aborder toutes ces questions simultanément, ce serait un tel bouleversement de nos modes de vie que nous n’y résisterions pas. C’est pourquoi la transition écologique doit être progressive mais elle ne progressera que si elle vise à toucher aux racines des maux dont souffre notre planète. Radicale et progressive vous dis-je. Comme le chemin est long, mieux vaut le commencer le plus vite possible, chacun à sa façon, les solutions existent à portée de nos mains. C’est d’ailleurs ce qu’on voit tous les jours sur le site d’éco-bretons http://www.eco-bretons.info/.
Dominique Guizien
Vingt-et-une maisons éclusières bretonnes reprennent vie
Grâce à deux appel à projets, la Région Bretagne a permis à vingt-et-un maisons éclusières bretonnes inoccupées de connaître une deuxième vie. La plupart ouvrent leurs portes cet été, avec des projets menés par des associations, entreprises, particuliers ou collectivités.
Pour aller plus loin
Au Bout des Choses : les poubelles des festivals
Après avoir peu dormi, beaucoup dansé et (pour certains) pas mal picolé pendant trois jours, on quitte le site d’un festival comme celui du Bout du Monde à Crozon avec des souvenirs inoubliables. Cependant, après le départ des festivaliers et des artistes, le travail continue pour toute une équipe bénévole de nettoyage. Il s’agit de ceux qu’on appelle l’équipe « environnement », et ils s’occupent de débarrasser le site de ses ordures afin de rendre leurs terres en bon état aux agriculteurs qui les ont prêtées. Et il y a du boulot.
Cette photo date de 2015 mais selon Gilbert « c’est toujours pareil »
Pour gérer ces volumes de déchets au mieux, une étroite collaboration est requise entre la mairie, dont le système de tri a un impact majeur sur la façon dont les ordures seront traitées, les organisateurs du festival, et bien entendu les festivaliers.
L’équipe du PC Environnement du festival du Bout du Monde
Dès la seconde année du festival du Bout du Monde, une partie des bénévoles a été approchée par Jacques Guérin, le directeur du festival, pour s’occuper de l’environnement. Ils sont quatre à prendre en main le département : Philippe et Gilbert en 2000, rejoints par Françoise et Karim en 2002.
Philippe, les mains dans le container
Ils gèrent à eux quatre une équipe de 115 bénévoles pendant le festival, et 120 bénévoles pendant le mercredi de l’environnement -le jour de nettoyage qui fait suite au festival tous les ans. C’est pendant cette journée que les bénévoles arpentent le terrain et finissent de ramasser ce qui a été laissé par la grosse opération de déblayage qui a lieu les lundi et mardi.
Les bénévoles viennent parfois en famille. Peut-être que ces photos de gamins en train d’extraire du sol toutes sortes de déchets comme des couverts en plastique bien enfoncés dans la terre pousseront à réfléchir ceux qui abandonnent leurs ordures sur les campings.
Ceci dit parfois il y a de petits bénéfices. Enora a trouvé une pièce de deux euros, sûrement autant que ce que la petite souris lui donne pour chaque dent de lait tombée
Gilbert, qui gère une des équipes de ramassage sur les campings, raconte :
« l’an dernier on a collecté 11T de verre, 1,2T de carton, et 4,6T de recyclables.»
Pour rappel le festival du Bout du Monde accueille environ 60,000 festivaliers tous les ans dont 13,000 campeurs.
« les campeurs sont de plus en plus propres », poursuit Gilbert. « cette année on a quand même moins ramassé de déchets sur les campings que les années précédentes ». De plus, grâce à l’interdiction de certains produits comme le verre (dangereux et difficile à nettoyer), «90% des déchets produits sur le camping sont recyclables.»
Des stratégies pour minimiser les déchets abandonnés…
Inciter les gens à moins abandonner leurs déchets, c’est évidemment l’objectif de l’équipe environnement, en amont du travail de nettoyage.
« l’introduction des gobelets consignés en 2007 a beaucoup changé les choses », dit Valérie, bénévole à l’équipe environnement depuis dix ans. « avant, la prairie était totalement couverte de gobelets en plastique jetables; elle était toute blanche et elle craquait sous le pied. »
Des cendriers de poche consignés ont aussi été proposés (coût : 1 euro, récupérable au retour de l’objet) pour encourager les fumeurs à ne pas jeter leurs mégots par terre, une habitude qui n’est pas spécifique aux festivals et dont les répercussions environnementales sont souvent méconnues.
Autre initiative aux effets bénéfiques : pour encourager les festivaliers à ramener leurs déchets, on leur donne des sacs jaunes (recyclables) et noirs (ordures ménagères) à l’entrée du camping, et on leur offre une crêpe par sac jaune rempli et rendu. Ils ont également accès à un tirage au sort offert par l’agence de voyages Salaün, avec la possibilité de gagner un ticket pour 2 personnes à destination de Londres. Les sacs jaunes remplis sont collectés par un cheval de trait attelé à une charrette de ramassage qui arpente les campings. Attirés par le bel équipage, les campeurs engagent la conversation avec le conducteur et sont plus enclins à ramener les ordures. Une campagne de communication assez efficace et plutôt sympa, qui a permis de collecter cette année 1,8T de recyclables de plus que l’an dernier ; c’est toujours ça de moins à ramasser pour les bénévoles.
(écoutez notre reportage audio sur le cheval Vulcain, sa patronne, et le bénévole Pascal qui les accompagne)
Duc, petit cheval pas blanc qui a du courage sous l’averse
…Et l’utilisation des ressources
Le site du Festival du Bout du Monde comporte une page développement durable détaillant les démarches mises en place pour minimiser l’impact environnemental de l’événement. (On y apprend par exemple que le festival propose de prêter ses gobelets non siglés aux événements locaux, évitant aux organisateurs d’acheter des gobelets jetables.)
Mais la vraie nouveauté, c’est cette petite révolution que propose le festival : des toilettes sèches. Il y en a une vingtaine ouverte au public sur le site des concerts et sur les campings, plus des blocs individuels aux postes de bénévoles. Au cours du festival, une enquête réalisée par une membre de la rédaction dans la queue des toilettes a permis d’établir que les festivaliers campeurs préfèrent les toilettes sèches qui, selon eux, « sont plus propres ». « Elles sentent moins que des toilettes traditionnelles avec chasse d’eau », confirme Gilbert. Double victoire pour l’environnement et le confort festivalier, donc. Avec un autre bénéfice secondaire : le compost produit par les efforts des festivaliers, qui servira à fertiliser les champs.
Importance du mapping poubelles, et ordures improbables
Dans un festival, c’est bien connu, le public est serré comme des sardines. Il y a toujours les imbibés qui pogottent, la fille sur les épaules de son copain qui renverse généreusement sa bière sur la tête des personnes à qui elle bouche la vue, et ceux qui tentent de manger un sandwich assis par terre en plein concert; tout ça au milieu de la foule qui danse. Bref, c’est parfois compliqué de chercher une poubelle pour jeter son assiette en carton, et grande est la tentation de la laisser tomber à terre comme un sagouin. « Il faut une poubelle tous les 10, 15 mètres maximum », confirme Philippe. « plus que ça, et certaines personnes risquent de jeter par terre ».
Cependant, malgré les poubelles sur site, les sacs distribués à l’entrée des campings, les chevaux mignons et les crêpes gratuites, les bénévoles retrouvent des ordures en quantités (et en variétés) improbables.
« On trouve des tentes 2nd entières, neuves et en bon état, comme si les gens n’avaient pas réussi à les plier et décidé de les abandonner», explique Philippe, mi-amusé mi-agacé. « des fois il y a des piles de vêtements entières. On se demande avec quoi le gens repartent ».
Exemple : ce container pour les déchets métalliques a une contenance 30m3; deux comme ça sont remplis au cours du festival :
On trouve même des chaises et tables de camping en parfait état. Une semaine de bénévolat et on remeuble son jardin !
Une équipe qui en veut
L’environnement est un travail peu gratifiant. L’équipe en est d’autant plus soudée, comme nous l’explique Valérie, bénévole depuis dix ans :
« J’adore l’ambiance après le festival ; je viens un peu aux concerts, mais pas beaucoup. C’est surtout l’ambiance d’après que j’aime, quand on commence le travail de nettoyage ; on est une grande famille, on se retrouve tous les ans ».
Valérie, bénévole depuis 10 ans
« Nous avons des gens qui travaillent à l’équipe environnement tous les ans depuis 15 ans », confirme Philippe. « Chaque année c’est des embrassades quand on se retrouve. » Françoise, une autre des quatre responsables du festival, va même jusqu’à préparer pour les bénévoles un thermos de son café spécial au début de chaque jour de travail : «on a une cafetière sur le site mais ils préfèrent celui de chez moi alors je leur amène un thermos de la maison ». Le PC est bien fourni en boissons et petits gâteaux pour récompenser les courageux bénévoles qui travaillent souvent sous la pluie.
«allez, café-brioche dans 10mn»
D’ailleurs l’équipement sur le site du PC environnement est fourni par les bénévoles : les grandes tentes où on se réunit pendant les pauses, les toilettes sèches du poste, les petits meubles qui rendent l’ensemble plus confortable et chaleureux, tout est apporté par les quatre responsables de l’équipe. Cela paraît surprenant et donne l’impression que la gestion l’environnement en général et le tri des déchets en particulier demeure le parent pauvre des grandes manifestations. Cependant il serait injuste d’être exagérément critique vis-à-vis du Festival du Bout du Monde : parmi les événements de cette taille, ils font partie des plus soucieux de l’environnement, et ont par ailleurs intégré le collectif des festivals qui donne des outils pour réduire leur impact environnemental. (voir notre article sur eux datant de Novembre dernier)
Le feuilleton de l’été « Les mots-valises » : Le développement durable (Chapitre 1, épisode 3)
Il y a comme cela des mots ou des expressions qui apparaissent, deviennent à la mode et ont un tel succès que, finalement, tout le monde se les approprie. Évidemment, comme il s’agit d’expressions nouvelles, leur signification reste un peu floue et chacun y met ce qu’il veut, un peu comme dans une valise.
Cet été nous nous intéresserons à quatre expressions qui sont dans le ton de ce site : développement durable, transitions (qui peut être énergétique ou écologique, voire les deux à la fois), innovation ( qui peut-être sociale, technologique, commerciale) et démocratie participative (forcément participative, aurait dit Marguerite Duras)
Troisième épisode : Et si le développement durable était un carré magique ? Voire une pyramide?
Essayons d’abord de poser le problème de manière la plus irréfutable possible.
Avec Pareto, à la recherche de l’équilibre
Nous savons que toute modification de l’équilibre ne sera acceptable que si chaque partie prenante a l’impression qu’elle est gagnante à chaque évolution du modèle. En mathématique, cela s’appelle une optimisation sous contrainte et nous avons appris des mathématiciens qu’il existe un moment où ces évolutions arrivent à un optimum. Cela s’appelle l’optimum de Pareto qu’on peut définir ainsi : l’optimum n’est pas atteint tant qu’un avantage obtenu par l’une des parties prenantes se traduit par un désavantage au moins égal pour une autre partie prenante ou si vous préférez, on atteint l’équilibre optimal de Pareto dés lors que tout avantage supplémentaire obtenu par une partie prenante se traduit par un désavantage supérieur pour au moins l’une des autres parties prenantes.
Comme nous le voyons, c’est une question mathématique que seuls les mathématiciens sont à même de résoudre. Tant qu’à résoudre des problèmes complexes, autant qu’ils s’attaquent à celui-là plutôt qu’à des algorithmes permettant de faire fonctionner de façon quasi automatique des salles de marché. Mais les mathématiciens n’ont pas à leur disposition les outils de mesure permettant d’alimenter leurs modèles.
NO PIB
En effet, nous sommes pauvres en outils de mesures simples et la tyrannie du PIB a un peu éclipsé tous les autres efforts pour trouver un moyen de mesurer le progrès humain. Une des premières étapes donc pour sortir le développement durable de ses antagonismes terribles est de donc de développer les outils statistiques permettant de rendre mieux compte de la réalité, des autres réalités que de la seule réalité économique. Les travaux menés il y a près de 10 ans par la commission Sen-Stiglitz vont dans ce sens mais cela reste les réflexions d’un aréopage d’économistes. Mais supposons ce problème d’approvisionnement statistique résolu, nous ne serions pas pour autant au bout de nos peines. Il faudra encore faire travailler nos experts de l’optimisation sous contrainte et c’est là que nous nous heurtons à une question que jusqu’à présent nous avions soigneusement évité d’aborder : qui nous dira ce qui est un avantage supérieur ou un désavantage supérieur ?
La quatrième dimension : la démocratie
Dans une organisation politique comme celle où nous vivons et aspirons de continuer à vivre, ces questions sont au cœur du débat démocratique. La démocratie, la voilà la grande absente du schéma initialement décrit. En effet, sans démocratie, il est difficile de pouvoir trancher ce qui est bon et ce qui l’est moins, de faire la part des choix entre ceux qui vivent dans le court ou le moyen terme, ceux qui n’ont d’horizon que celui de leur propre durée sur terre et ceux dont la vision ne saurait se limiter à l’échelle du siècle. le débat démocratique est là pour nous éclairer en s’appuyant sur tout l’outillage dont la description a à peine été abordée dans le paragraphe précédent.
Cela voudra dire que nous passons d’un schéma à trois dimensions à un schéma en quatre dimensions. Peut-on, pour rester dans la phraséologie symboliste, alors parler d’un « carré magique » du développement durable ? Ne devrions-nous pas plutôt parler de pyramide du développement durable dont le sommet serait évidemment la démocratie ? Cela serait évidemment préférable.
ET en termes de durabilité, une pyramide, ça se pose un peu là ! [à suivre]
Dominique Guizien