Quand des étudiant.e.s de Suscinio sensibilisent des enfants à l’eau…

Les jeudi 23 et vendredi 24 mai, une trentaine de classes d’écoles primaires du territoire de Morlaix Communauté ont participé à des ateliers en lien avec le thème de l’eau, animés par des étudiant.e.s en BTS GPN du Lycée de Suscinio. Reportage sur le site de Traon Nevez à Plouezoc’h où les animations ont eu lieu.

La petite couverture nuageuse qui s’étend ce vendredi sur le nord Finistère n’effraie pas les enfants des écoles du secteur de Morlaix. Bien au contraire. En approchant du site de Traon Nevez, au Dourduff, sur la commune de Plouezoc’h, des rires et des cris résonnent. Un groupe d’élèves est sur l’estran, autour d’une longue vue, pour observer les oiseaux. Un peu plus loin, un autre se dirige vers une petite mare, pour découvrir les amphibiens qui peuplent l’endroit. Tandis que d’autres enfants sortent du petit bois. Tous et toutes sont accompagné.e.s d’ étudiant.e.s en BTS Gestion et Protection de la Nature du Lycée Agricole de Suscinio, qui ont animé ainsi deux jours de découverte autour de l’eau et du littoral. « C’est la huitième édition du programme « De la source à la mer » », explique Géraldine Gabillet, chargée de mission à l’Ulamir-CPIE, structure qui coordonne le projet, en lien avec les écoles primaires volontaires et l’inspection académique, et auquel les associations Au Fil du Queffleuth et la Penzé et Bretagne Vivante participent également. « Cela permet aux étudiant.e.s d’acquérir une première expérience en terme d’animation, auprès d’un public scolaire», précise Géraldine.

Pour cette édition 2024, le projet s’inscrit également dans un programme baptisé « Suscini’eau », qui est financé par l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne, An Dour (Régie publique de l’eau de Morlaix Communauté), et la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de Bretagne/DREAL. « L’idée, c’est d’accompagner les étudiant.e.s et aussi leurs professeurs à la découverte des enjeux liés à l’eau, notamment au niveau local, et à la rencontre d’acteurs et d’actrices du territoire sur cette thématique ». Les étudiant.e.s de BTS ont ainsi pu, au cours des mois précédents, visiter une station d’épuration, réaliser des suivis de qualité de rivières, participer à un ciné-débat autour du film « Algues Vertes » au cinéma La Salamandre à Morlaix, contribuer à la restauration de haies bocagères grâce à des plantations d’arbres…

Sur le site de Traon Nevez, les animations battent leur plein. Chaque classe participe à quatre ateliers dans la journée. Du côté du ruisseau, les élèves, équipés de bottes, se munissent d’épuisettes afin de récolter les petits organismes végétaux ou insectes, larves.. .qui seront ensuite déposés dans un petit bac pour être observés, le tout sous l’oeil attentif de deux étudiantes.

Un peu plus loin, c’est un autre atelier original qui se prépare : Maëlle et Gwen, représentantes de « L’ordre des Korrigans » comme l’indiquent leurs costumes et leurs fausses oreilles pointues, proposent aux enfants de confectionner une potion spéciale, au fil de trois épreuves. La première consiste en une récolte d’éléments « colorés » (feuilles, fleurs…). La deuxième est moins facile : il s’agit de reconnaître le son d’animaux de la forêt : chouette, grenouille, ours… pas toujours simple d’identifier le cri de l’écureuil par exemple ! La troisième épreuve fait appel au sens du toucher : par binôme, chaque élève doit faire reconnaître à son camarade un élément de la forêt qu’il a été chercher en 30 secondes. Un succès pour le groupe, qui peut alors découvrir la fameuse potion des Korrigans, qui les ont remercié par des pièces d’or… en chocolat évidemment! Une animation ludique, qui a permis, comme les autres, aux élèves de la trentaine de classes présentes, de découvrir et prendre conscience de l’importance de prendre soin du vivant et de la biodiversité locale, notamment celle liée aux milieux humides, à l’eau et au littoral.




A voir. Un documentaire en exploration au coeur du Bélon

Florian Stéphant et Erwan Babin partent en vadrouille pour remonter le Bélon, fleuve côtier finistérien, de son embouchure à sa source, en pédalo puis à pied. Une aventure qu’on peut suivre dans un documentaire, qui sera projeté ce lundi 3 juin au cinéma Katorza à Quimper, avec l’association Gros Plan et Alternatiba Cornouailles, et en présence des réalisateurs.

Long d’un peu plus de 26 kilomètres, le Bélon est un petit fleuve côtier du Finistère Sud. Il est notamment célèbre pour sa ria et les huîtres plates qu’on y trouve.

C’est ce cours d’eau qu’ont voulu remonter Erwann Babin et Florian Stephant, de l’embouchure à la source située à Bannalec. De cette expédition est né un documentaire de 52 minutes, baptisé « Au cœur du Bélon ».

Dans ce film, on suit les deux « explorateurs » en mode Indiana Jones, d’abord à bord d’un pédalo. Rapidement, ils vont être confrontés à des difficultés pour poursuivre leur périple. Abandonnant leur petite embarcation, ils poursuivent alors leur aventure à pied, parfois dans l’eau, parfois sur les berges, toujours en suivant les méandres du Bélon. Ils vont découvrir ainsi une grande partie de la biodiversité locale : araignée crabe, larves de libellules, gamares, orties, ronces, martin-pêcheur… Ils en profitent également pour rencontrer des acteurs et actrices locaux, qui vont évoquer leurs liens avec la rivière : Anouk, d’Eau et Rivières de Bretagne, Odile, agricultrice, Youn, propriétaire de moulin, ou encore Guy, élu à Bannalec. Toutes et tous parlent de leurs usages de l’eau, et de l’importance de préserver cet écosystème. Les questions de conservation de la ressource, de son utilisation, de son importance pour le territoire, mais aussi du patrimoine lié à l’eau, sont explorées.

Un beau documentaire, presque trop court, tant il est plaisant de voyager en compagnie de ces explorateurs à la fois lunaires et engagés. Un film poétique, original, esthétique et sauvage.

Pratique

Projection du film lundi 3 juin à 20h15, cinéma Cinéville Katorza Quimper, en présence des réalisateurs. Tarifs habituels.




Dans les Abers, des rencontres de l’eau, sensibles avec le Collectif Mammennou Dour

Créé en mars dernier pour sensibiliser le plus grand nombre de personnes de son territoire sur l’importance de l’eau, le Collectif Mammennou Dour dans les Abers organise une Marche de la Source de l’Aber Wrac’h jusqu’à l’embouchure au cours de cette dernière semaine de mai. Un parcours qui laisse toute sa place au sensible…

Un parcours sur 7 étapes le long des rives de l’Aber Wrac’h a commencé samedi 25 mai à Trémaouezen, avec un rituel d’ouverture à la fontaine Saint-Jean. Il s’achèvera le samedi suivant 1er juin avec un temps fort qui débutera au Centre de la mer de l’Aber Wrac’h. Les participant.es se poseront toute la journée sur le port pour élargir les échanges avec celles et ceux qui partagent les préoccupations du collectif, notamment par des retours d’expériences d’autres territoires et des festivités.

Le but de cette Marche de la source à la mer est de poser un regard croisé sur l’Aber et sur l’eau en s’appuyant sur la traçabilité de la présence des personnes sur le territoire, et en ouvrant le dialogue pour mieux envisager ensemble l’avenir, avec toutes les actrices et tous les acteurs du territoire.

Son itinéraire est ponctué de pauses conviviales dans les différentes communes traversées – Trémaouezan, Ploudaniel, Trégarantec, Le Folgoët, Le Drennec, Lanarvily, Loc-Brévalaire, Jernilis, Plouvien, Lannilis, Plouguerneau, Landeda – dans le but de favoriser les rencontres intergénérationnelles, entre élèves d’écoles et de collèges, aîné.es, membres actifs d’associations, riverain.es et autres actrices et acteurs du territoire. Cela se fait surtout dans une approche globale et sensible qui allie les arts, les sciences, les mémoires, la transmission, la bonne humeur et la fête.

Car là réside l’originalité de la démarche du collectif Mammennou Dour, à l’instar des Atlas socioculturels de l’eau, initiés par l’association Eau & Rivières de Bretagne* et portés collectivement par différentes actrices et acteurs dans les territoires. Une approche stimulante qui permet d’associer et de relier les unes et les autres en convoquant, outre les usages et les savoirs, leurs rapports au sensible, à la mémoire, aux émotions que cela suscite, à travers l’eau, la rivière, la mer. Des temps sont ainsi consacrés à une perception attentive de l’environnement (ce qui nous environne mais aussi ce qui nous traverse), ainsi qu’à l’expression artistique.

Dans l’excellent édito de son numéro de l’automne/hiver 2022/2023, la revue d’Eau & Rivières de Bretagne donnait la plume à Antoine Lauginie, pilote de la commission Eau «  Culture de l’association. Celui-ci y développait très pertinemment l’intérêt d’une approche socioculturelle de notre rapport à l’eau. En voici un extrait : « Face à l’urgence et à la gravité des enjeux actuels, l’approche culturelle et artistique – parce qu’elle en appelle à notre expérience du monde, à nos mémoires partagées et à notre sensibilité – porte un espoir : celui d’élargir le combat écologique au-delà du cercle militant et de le faire avec comme mots-clés le plaisir et l’élan de la création et du partage. Il s’agit alors d’explorer le champ des possibles pour, dans les temps inquiets que nous vivons, nous laisser encore ravir par « la merveille de la nature ». Il s’agit aussi de dire nos manières de ressentir et d’habiter le monde et de contribuer ainsi à construire un récit commun fait de voix multiples partagées. Cette approche culturelle de ce qui nous relie au vivant peut nous amener à requestionner la gouvernance de la gestion de l’eau et des rivières, pour y associer, au-delà de la sphère technique et administrative, ce qui touche au domaine des attachements et du vécu de la rivière.(…) »

Crédits photos : Marjolaine Abaléa.

* http://www.eco-bretons.info/atlas-socioculturels-de-leau-faire-comprendre-que-la-culture-fait-aussi-partie-du-dialogue-environnemental/




Des algues vertes à la biorégion : le bassin versant du Gouët

L’Institut Momentum* lance une nouvelle étude de cas : le bassin versant du Gouët dans les Côtes d’Armor en Bretagne

Par Inès Dejardin**

Eaux douces des sources, rivières, fleuves et torrents ou eaux saumâtres des littoraux, mers et océans, ce sont à leurs abords ou en leur sein que naît et se développe toute forme de vie. Qu’il s’agisse de microbes, de champignons, de plantes ou d’animaux, l’eau conditionne d’abord l’existence puis la pérennité de tout être vivant. Si certains peuples en ont gardé une conscience collective aigüe, nul doute que cette dernière s’est étiolée voir appartient désormais aux ancêtres de celles et ceux dont le quotidien est ancré au sein des sociétés thermo-industrielles. Au fur et à mesure que croît l’artificialisation de nos milieux de vie, l’eau s’éloigne de nos horizons communs et nous perdons non seulement la connaissance du fonctionnement de son cycle mais aussi la conscience de la non-abondance de la ressource qu’elle constitue.

Symptôme de la profondeur de cette perte de mémoire : la pollution que par endroit nous lui infligeons, jusqu’à la rendre insalubre, comme si nous allions même jusqu’à oublier qu’elle nous est vitale. Rappeler à notre conscience les liens tant biologiques que géographiques que l’eau établit entre les vivants, c’est rendre indéniables les solidarités et interdépendances qui les relient. C’est également un moyen de rompre avec l’anthropocentrisme exacerbé en donnant à voir depuis un prisme plus écocentré l’articulation de la vie et du vivre-ensemble entre humains, non humains et leur milieu.

Comment retracer les continuités hydrographiques à partir desquelles s’établissent et se façonnent les continuités humaines et écologiques ? Peut-être en pensant les territoires à partir des entités que constituent les bassins versants, réseaux hydrographiques arborescents qui, déployés entre une ligne de partage et de collecte des eaux, relient tous les écoulements à partir desquels l’eau de pluie converge jusqu’aux mers ou océans.

Le bassin versant du Gouët : métonymie de l’Anthropocène

Fleuve côtier de 47 kilomètres de long, le Gouët prend sa source au niveau de la Cime de Kerchouan et achève sa course au Port du Légué. Du Haut-Corlay à Saint-Brieuc tout en longeant ou traversant 14 autres communes situées dans les Côtes d’Armor (22), il façonne avec l’ensemble de ses affluents le bassin-versant du même nom. Quels sont les enjeux qui se nouent sur le territoire de 250km² dessiné par leurs méandres ?

Source du Goët. crédit photo : Inès Dejardin.

Le bassin versant du Gouët appartient au département des Côtes d’Armor qui est lui-même situé en Bretagne. Difficile alors de ne pas supposer qu’il partage les problématiques caractéristiques à cette région, haut lieu du productivisme depuis les années 1960, notamment concernant la question alimentaire. L’agriculture bretonne ? Un modèle agricole à l’intensivité démesurée, traduite par l’immense proportion de systèmes hors-sol – il y avait en 2015 « au moins deux fois plus de cochons que de bretons » (1) –, à l’origine d’une production alimentaire qui permettrait de nourrir 22 millions de personnes pour un territoire qui n’en compte que 3,3 millions (2) mais sur lequel de moins en moins mangent à leur faim – preuve en est l’augmentation de 70 % des volumes distribués par les banques alimentaires bretonnes au cours de ces deux dernières années (3).

C’est aussi l’un des lobbys agro-industriel les « mieux structurés d’Europe » (1), qui rend bien difficile toute remise en cause du système agricole dont les rejets massifs de phosphates et nitrates sont à l’origine du phénomène de marées vertes qui envahissent les plages, sur lesquelles « depuis la fin des années 1980, au moins quarante animaux et trois hommes se sont aventurés […], ont foulé l’estran et y ont trouvé la mort »1. In fine, un enchevêtrement d’enjeux écologiques, de santé publique, de justice sociale et climatique qui se heurtent à une omerta vertigineuse. Sur le périmètre des 32 communes constituant la Communauté d’Agglomération de Saint-Brieuc et au sein duquel est inclus le bassin versant du Gouët, le potentiel de consommation locale en fonction de ce qui y est produit a été calculé : la production de porc pourrait subvenir aux besoins de 5,5 fois plus de personnes (877 000) que celles que l’on y dénombre actuellement (156 652) (4). En effet, 95% de la SAU (Surface Agricole Utilisée) est vouée à l’élevage et près d’1/3 des exploitations adoptent un système hors-sol, qui témoignent d’un affranchissement des contraintes physiques du milieu.

Ce tableau, le bassin versant du Gouët en lui-même n’y échappe pas (grande proportion d’élevages – notamment laitiers – et de systèmes hors-sol). S’y ajoutent des pentes ainsi qu’un débit plus fort que les bassins versants qui le bordent et donc un phénomène de ruissellement accentué. Source pure en amont du bourg de Quintin, le Gouët draine à mesure de ses méandres les effluents agricoles : il contribue ainsi grandement aux marées vertes qui touchent la Baie de Saint-Brieuc une fois ses eaux jetées dans le port du Légué (5).

Un territoire où se nouent des enjeux spécifiques en termes de résilience et de vulnérabilité

Les moyens dont nous subvenons à nos besoins alimentaires sont très révélateurs des rapports qu’en tant que société nous entretenons tant les uns avec les autres qu’avec le vivant non-humain. L’agriculture est tout autant un puissant facteur de transformation et d’occupation des paysages qu’une traduction du rapport que nous entretenons à notre propre milieu de vie. Le modèle agricole précédemment décrit est ainsi à lui seul révélateur des déséquilibres inhérents au capitalisme néo-libéral des sociétés occidentales dans lesquelles il s’inscrit : anthropocentrisme omniprésent et rapport démesuré à la production ainsi qu’à la consommation qui conduisent à l’épuisement des ressources et à la destruction massive des écosystèmes et de la biodiversité qu’ils renferment, au nom de la croissance du PIB et de la compétitivité sur les marchés financiers.

Symptôme du dépassement de la capacité de charge de la planète, la température moyenne à la surface du globe a augmenté de + 1,1 °C par rapport au début du XXe et parmi les neuf limites planétaires établies par Natacha Gondran et Aurélien Boutaud, le seuil critique de 63 TgN/an (téragrammes ou millions de tonnes) relatif au cycle biogéochimique de l’azote a d’ores et déjà été amplement dépassé puisque l’on atteint aujourd’hui 150 TgN/an (6). La perturbation de ce cycle biogéochimique à échelle mondiale entrave fortement la résilience des écosystèmes à faire face aux effets du changement climatique mais les sociétés thermo-industrielles font preuve d’une réelle inertie vis-à-vis du sujet, comme le traduisent les vives tensions politiques et sociales auxquelles font face les Pays-Bas – deuxième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires – dans le cadre de l’application de leur « Plan azote » (7).

Au-delà du taux de CO2 atmosphérique, ce sont aussi les concentrations de nitrates dans les cours d’eau et les taux d’H2S (hydrogène sulfuré) dégagés par les algues vertes en putréfaction qui inquiètent les habitant.e.s du bassin versant du Gouët. Réel problème de santé publique et signe d’une rétroaction d’ordre anthropocénique, les marées vertes causées par l’agriculture intensive menacent également plusieurs continuités écologiques au sein de la Baie de Saint-Brieuc. Elle abrite la plus grande Réserve Naturelle de Bretagne, reconnue comme zone humide littorale d’intérêt international du point de vue ornithologique du fait de sa localisation sur l’axe de migration Manche-Atlantique : 40 000 oiseaux viennent chaque hiver s’y poser. Au fond de l’Anse d’Yffiniac, des prés salés, écosystèmes intertidaux aussi rares que fragiles qui représentent moins de 0,01% de la surface du globe (8) ; dans l’estuaire du Gouessant, situé lui aussi en zone protégée, des dizaines de milliers de m3 d’algues toxiques accumulés1. Autre continuité écologique, cette fois-ci rompue : celles des salmonidés migrateurs pour qui le barrage de Saint-Barthélemy sur les eaux du Gouët constitue un obstacle infranchissable, et qui voient par ailleurs leur passage contrarié dès l’écluse du port du Légué (9).

En Bretagne, l’agriculture est également responsable de 20% des prélèvements en eau (10), ce qui rappelle qu’au-delà de l’enjeu qualitatif de l’eau existe aussi l’enjeu quantitatif. Le bassin versant du Gouët est inclus dans le SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) de la Baie de Saint-Brieuc et occupe sur ce périmètre – qui compte en tout cinq bassins versants – une place cruciale : environ 70% du total des prélèvements nécessaires à la production d’eau potable ont lieu au niveau de l’une de ses retenues. Par ailleurs, 90% sont effectués au niveau des eaux de surface (11), ce qui s’inscrit dans la tendance que l’on observe à l’échelle de la Bretagne : 77% des prélèvements pour l’eau potable – et 75% des prélèvements en eau brute tous usages confondus contre 17% en moyenne en France – y sont liés (10). C’est que le substrat géologique est principalement constitué de grès, granites et schistes, des roches métamorphiques ou plutoniques globalement peu perméables caractéristiques d’une géologie de socle, peu propice aux eaux souterraines car associée à des aquifères « de fissure » à la capacité de stockage limitée (12). Les précipitations hivernales étant les principales responsables du remplissage des retenues où sont réalisés l’immense majorité des prélèvements, il est aisé de comprendre la haute vulnérabilité de ce territoire au changement climatique notamment concernant l’évolution de son profil pluviométrique. D’après le Haut Conseil Breton pour le Climat (HCBC), le scénario le plus probable serait que l’on assiste à une méditerranéisation du climat breton.  En 2022, l’épisode de sécheresse qui a pris une ampleur phénoménale en Bretagne est allé jusqu’à causer dans les Côtes d’Armor « un risque sérieux de rupture de l’alimentation en eau potable ». À Dinan, ville située 60 kilomètres à l’est de Saint-Brieuc, cela s’est joué à 15 jours près13. Responsable de 40% des émissions de GES en Bretagne (13), l’agriculture est la première touchée par les conséquences de ce à quoi elle est régionalement la première à contribuer. Parce que nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre les canicules, sécheresses ou pandémies pour qu’elle se rappelle à nos esprits, il y a urgence à faire de l’habitabilité de la planète une question sociétale et politiquement centrale.

Réhabiter le bassin versant du Gouët

Comment mettre en lumière les tenants et aboutissants des enjeux qui se nouent sur le bassin versant du Gouët ainsi que leurs multiples intrications ? Quelles stratégies d’adaptation et d’atténuation mettre en place afin de redonner à ce territoire un poids significatif sur sa propre empreinte écologique ? Comment imaginer et coordonner ces stratégies pour, au travers d’elles, redonner pouvoir d’agir et conscience des lieux à celles et ceux qui les habitent ?

 Il s’agit premièrement, par un ensemble de cartographies, de donner à voir tous ces chemins vitaux que l’on ne sait plus tracer, de la terre à nos assiettes et de l’eau à nos robinets. Voici d’ores et déjà une représentation de l’arborescence du réseau hydrographique que façonnent les méandres du Gouët et de ses affluents.

Cartographie des méandres du Gouët et de ses affluents inspirée de l’ouvrage « Les Veines de la Terre, une anthologie des bassins versants » (14).

Puis, la réalisation d’une analyse systémique des principaux flux agricoles et hydriques sur le territoire du bassin versant du Gouët permettra, en les caractérisant et en identifiant le réseau d’acteurs impliqués, de saisir leurs imbrications. Cela contribue à L’enjeu, plus large, qui est  de se doter des moyens de soustraire aux logiques économiques la gestion et la distribution de ressources qui nous sont vitales.

Enfin, dans le sillage de l’étude Biorégion Île-de-France 2050 développée par l’Institut Momentum (15), ce cheminement ne saurait aboutir sans l’esquisse d’un nouvel imaginaire territorial de ce bassin versant au travers du prisme biorégionaliste, qui, en recentrant la réflexion sur le territoire vécu et arpenté, concrétise une métamorphose en action. Cette vision biorégionale nous rappelle à notre condition partagée de terrienn-es et nous renvoie à une question qu’il semble aujourd’hui crucial de se poser, tant physiquement qu’ontologiquement et tant individuellement que collectivement : qu’est-ce qu’habiter la Terre ?

Sources et bibliographie : 

[1]    Inès Léraud et Pierre Van Hove. « Algues vertes, l’histoire interdite ». Éditions Delcourt & La Revue dessinée. Juin 2019. ISBN : 978-2-413-01036-

[2]    Nicolas Legendre. « L’industrie agroalimentaire, un entrelacs de pouvoir et d’argent en terres bretonnes ». Publié dans Le Monde, 28 avril 2023. https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/28/l-industrie-agroalimentaire-un-entrelacs-de-pouvoir-et-d-argent-en-terres-bretonnes_6168020_3225.html

 [3]    Conseil Economique Social et Environnemental Régional (CESER). « Avis du CESER sur le dossier du Conseil régional « Refus de la misère et de la précarité » : La Région prend sa part ». Région Bretagne. Session du 27 mars 2023.

[4]    Chambres d’Agriculture de Bretagne. « L’agriculture de Saint-Brieuc Armor Agglomération – Édition 2019 ». Juin 2019.

[5]    Commission Locale de l’Eau (CLE) du Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau (SAGE) de la Baie de Saint-Brieuc. « Evaluation environnementale ». Document adopté par la CLE le 6 décembre 2013 et approuvé par arrêté préfectoral le 30 janvier 2014.

[6]    Boutaud, Aurélien, et Natacha Gondran. « IV. Les perturbations des cycles de l’azote, du phosphore et de l’eau douce : une menace pour la résilience des écosystèmes ». Dans : Aurélien Boutaud éd., Les limites planétaires. Repères, 28 mai 2020, 56‑71. Lien vers un séminaire avec Natacha Gondran organisé par l’Institut Momentum à ce sujet : respecter-les-limites-planetaires

[7]    Jean-Pierre Stroobants. « aux Pays-Bas, le « Plan azote » du gouvernement de Mark Rutte devient un test électoral ». Publié dans Le Monde, 15 mars 2023. https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/15/ aux-pays-bas-le-plan-azote-du-gouvernement-de-mark-rutte-devient-un-test electoral_616 5521_3210.html

 [8]    Ponsero A. et Sturbois A. « La Réserve naturelle nationale de la baie de Saint-Brieuc : du développement de la connaissance aux enjeux de conservation ». Réserve Naturelle de la Baie de Saint-Brieuc, 2020.

[9]    Fédération des Côtes d’Armor pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FDAAPPMA). « Suivi d’abondance de juvéniles de saumon du Gouët, du Leff, du Trieux, du Jaudy, du Léguer et du Yar en 2018 ». Réalisé dans le cadre du volet « Poissons Migrateurs 2015-2021 ».

[10] Observatoire de l’Environnement en Bretagne (OEB). « Chiffres clés de l’eau en Bretagne – édition 2022 ». Collection Les Données & Analyses de l’Observatoire de l’environnement en Bretagne. Bulletin n°14. Publié le 23 janvier 2023.

[11]  Commission Locale de l’Eau (CLE) du Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau (SAGE) de la Baie de Saint-Brieuc. « Evaluation environnementale ». Document adopté par la CLE le 6 décembre 2013 et approuvé par arrêté préfectoral le 30 janvier 2014.

[12]  Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) – Système d’Information pour la Gestion des Eaux Souterraines (SIGES) Bretagne. « 187AE01 – Socle métamorphique dans le bassin versant du Gouët de sa source à la mer ». Août 2019.

[13]  Haut Conseil Breton pour le Climat (HCBC). « Le changement climatique en Bretagne – Bulletin 2023. Dossier : 2022, une année annonciatrice du climat futur ? ». n° 1, Avril 2023. ISSN en cours d’obtention.

[14]  Marin Schaffner, Mathias Rollot et François Guerroué. « Les Veines de la Terre. Une anthologie des bassins versants ». Editions Wildproject, février 2021. ISBN : 2381140107

[15]  Agnès Sinaï, Yves Cochet et Benoît Thévard. « Biorégion 2050 : l’Ile-de-France après l’effondrement ». Institut Momentum et Forum Vies Mobiles, Octobre 2019. Cet ouvrage a entraîné la parution par les mêmes auteurs de « Le Grand Paris après l’effondrement. Pistes pour une Île-de-France biorégionale ». Editions Wildproject, août 2020. ISBN : 978-2381140001. Lien vers l’étude.

 

Cet article a été publié le 22 août 2023 sur le site de l’Institut Momentum :

https://institutmomentum.org/le-bioregionalisme-pour-penser-les-issues-de-l-anthropocene

* L’Institut Momentum est un laboratoire d’idées sur les issues de la société industrielle et la décroissance solidaire en réponse au choc social de l’effondrement. L’Institut Momentum, qui réunit des chercheurs, des journalistes, des ingénieurs et des acteurs associatifs, se consacre à répondre au défi de notre époque : Comment organiser la transition vers un monde postcroissant, postfossile et modifié par le climat dans un contexte de changements abrupts ? Comment penser et agir les issues de l’Anthropocène ? Son point de départ se fonde sur une prise de conscience : nous vivons aujourd’hui la fin de la période de la plus grande abondance matérielle jamais connue au cours de l’histoire humaine, une abondance fondée sur des sources temporaires d’énergie concentrée et à bon marché qui a rendu possible tout le reste.

L’Institut Momentum est dirigé par Agnès Sinaï qu’elle a cofondé en 2011. Journaliste et autrice, elle a récemment publié « Réhabiter le monde – Pour une politique des biorégions » dans la collection Antropocène au Seuil.

**Diplômée de l’ENSAT (Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse), Inès Dejardin a achevé son cursus d’ingénieure agronome par la réalisation d’un stage de six mois (avril-septembre 2023) au sein de l’Institut Momentum, avec et pour qui elle a réalisé l’étude qui  a constitué son mémoire de fin d’études : « Une hypothèse biorégionale pour le bassin versant du Gouët en Bretagne« .

 




Ce que dit « La rivière » : en janvier, c’est ma tournée avec eau & rivières de Bretagne !

Eau et Rivières de Bretagne est partenaire de la diffusion en Bretagne du film-documentaire La Rivière de Dominique Marchais. Des ciné-débats seront organisés dans tous les départements par des adhérents de l’association. Une belle occasion de venir échanger autour des enjeux de la protection des rivières et des actions de l’association.

Depuis trois ans, Eau et Rivières de Bretagne travaille sur la question de notre relation à l’eau, de nos attachements aux milieux. « Le film La Rivière résonne avec les axes de travail de notre association. Il propose en effet de balayer les différentes problématiques de l’eau et l’importance de les considérer de manière systémique, qui sont communes à notre région, mais aussi cette dimension sensible de notre lien à la rivière comme point d’encrage des mobilisations militantes et professionnelles », explique Aurélie Besenval, chargée de mission eau & culture.

« Il faut filmer plus large que la rivière »

« Pour voir la rivière aujourd’hui, il faut filmer plus large que la rivière, il faut filmer le bassin versant, le cycle de l’eau. Il faut la faire exister dans ses extensions souterraines et aériennes, les nappes et les nuages, mais aussi la chercher jusque dans le champ de maïs, la frayère à saumons, les retenues qui la bloquent. Il faut la filmer suspendue entre mémoire d’un passé fastueux et peur d’un avenir desséché. Filmer les gaves, c’est filmer notre monde dans son intrication de beauté et de désastre », analyse le réalisateur, Dominique Marchais.

Les ciné-débats

Après un premier ciné-débat à l’occasion de la diffusion en avant première première du film à Rennes au Cinéma de l’Arvor à Rennes, d’autres séances sont dores et déjà programmées :

  • Le 11 décembre à 20h30 au cinéma La Belle Equipe à Callac.
  • Le 18 décembre à 20h au Studio à Brest
  • Le 11 janvier à 20h30 au cinéma les baladin à Lannion
  • Le 20 janvier à 14h au Cinéma Jeanne d’Arc à Gourin
  • Le 23 janvier au Ciné-Breiz à Paimpol
  • Le samedi 27 janvier à 20h30 au Ciné Roch à Guéméné

Synopsis

Entre Pyrénées et Atlantique coulent des rivières puissantes qu’on appelle les gaves. Les champs de maïs les assoiffent, les barrages bloquent la circulation du saumon. L’activité humaine bouleverse le cycle de l’eau et la biodiversité de la rivière. Des hommes et des femmes tendent leur regard curieux et amoureux vers ce monde fascinant fait de beauté et de désastre.

Bande-annonce du film : https://youtu.be/EtIcELoNdNI

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Aurélie Besenval, Chargée de mission Eau et Culture : aurelie.besenval@eau-et-rivieres.org




L’eau, les vivants, ça crée Stèle !

Après avoir questionné les légendes, les us et coutumes des lavoirs, la valeur de l’eau****, le binôme a pris un temps sur la commune de Guimaëc pour déchiffrer les stèles présentes dans la construction des lavoirs et comprendre leurs déplacements d’usage. Emilie et Sylvain se sont particulièrement intéressé aux organismes vivants dans les lavoirs à la suite de curages de ces derniers et du recensement des espèces présentes.

Le tout en collaboration avec les personnes bénéficiaires des chantiers d’insertion de l’ULAMIR Lanmeur – dans le cadre d’un projet solidaire soutenu par la DRAC – qui ont participé à la conception et à la réalisation de certaines pièces, pensées en réaction et partage des savoirs de chacun·e.en ateliers. Avec l’accompagnement du CPIE, le binôme d’artistes a alors appréhendé la vie microscopique et l’importance de celle-ci.

« L’existence étant impermanence, faite d’apparitions et de disparitions successives, tout ce qui existe apparaît et disparaît : végétaux, minéraux, animaux, hommes, etc. Parce que le temps est intrinsèquement lié à l’existence, naissances et morts se succèdent sans que nous puissions les arrêter. »

Le Bénitier accueille le visiteur et propose une première interprétation, celle du temps en plaçant l’humain dans le cycle des êtres vivants et l’invitant à manuscrire par un fusain d’autres espèces. Par un écoulement goutte à goutte, se crée un dialogue entre la pièce d’eau suspendue, la stèle de schiste gravée et l’instant. Cette goutte est le point de départ d’une chronologie de la vie sur terre et le lien entre toutes les espèces. En écoulement continu, elle évoque l’érosion, le travail du temps sur une matière minérale. En témoignent par la suite les estampes/échantillons redessinées de stèles funéraires présentes dans les lavoirs. La fragilité des matériaux utilisés et l’impression à partir de la vase ponctionnée dans le lavoir du Prajou soulignent l’éphémère de la vie humaine, mais aussi ses transformations et changements d’état. L’ Homme entre alors dans un cycle bien plus vaste que sa propre existence, appelant à l’humilité face à l’interdépendance et l’égalité entre toutes les espèces vivantes sur la terre. La première apparue, le plancton, produit plus de 50% de l’oxygène de l’air que nous respirons. Il apparaît ici dans le vitrail, au travers d’une observation microscopique d’une goutte d’eau (grâce à l’utilisation du microscope Curiosity prêté par l’association Plankton planet) s’improvisant en icônes protéiformes et déesses invisibles, origines de la vie sur terre et témoins d’une chronologie universelle.

Stèle propose une contemplation douce et apaisée de la place de l’Homme et de son échelle.


Cette exposition a été réalisée avec la participation de :
– Chantier d’insertion environnement : Claude Le Ber (encadrant), David Boulo, Mathieu Desmartins, Grégory Bourgeois, Samuel Léon, Christophe Malandain, Glenn Michel, Renaud Dieu (pièces d’osier, typographie et gravure stèle)
– Chantier d’insertion numérique : Adrien Ferron (encadrant – étalonnage son), Kenny Bonvalet (confection vidéo vitrail)
– Service Civique ULAMiR CPIE : Nathan Le Maire (suivi général sur le projet), Ewen Povie (prises de vue plancton)
– Éducateurs environnement ULAMiR CPIE : Thomas Bassoullet, Géraldine Gabillet (prises de vue plancton & initiation biologique)
Remerciements à l’association Plankton planet pour l’utilisation de leur microscope Curiosity (outil de médiation cocréé par Noan Le Bescot), Isabelle Frémin, Rémy Constantin, Clémentine Page, Zaïg Page-Castel, Guillaume Castel, Bernard Coulou, Alain Tirilly, Catherine Baron, la mairie de Guimaëc et les amis de la chapelle. Les artisans : Coat Leron (gravure), Paint Shop (laquage structure), Rose-Marie Recourse (osier), Simon Muller (pièce de verre).

Solidaire.

**Le binôme La toute première fois se compose d’Émilie Maréchal, réalisatrice/comédienne, vivant à Bruxelles et Sylvain Descazot, designer/sérigraphe, habitant en Bretagne. Leurs recherches communes s’articulent autour de l’archaïsme, le rituel et le «faire». En utilisant des formes et volumes simples, des matières pauvres sublimées et la mise en scène des corps dans des actions primitives, le binôme estampe, crée des objets ou propose des installations immersives.

*** Située dans la Manufacture des Tabacs à Morlaix, l’association Les Moyens du Bord souhaite faire découvrir l’art contemporain à toutes et tous. Spécialisée dans le multiple d’artistes, c’est-à-dire toute forme d’art reproductible (gravure, sérigraphie, photographie, etc.), elle œuvre au soutien des artistes, tout en participant au dynamisme du territoire via des expositions, le salon de la petite édition Multiples, des résidences de recherche et de création, une artothèque et une boutique solidaire : https://lesmoyensdubord.fr/

**** Voir l’article : http://www.eco-bretons.info/quand-leau-des-lavoirs-vibre-avec-shumann/