Au Bout des Choses : les poubelles des festivals

Après avoir peu dormi, beaucoup dansé et (pour certains) pas mal picolé pendant trois jours, on quitte le site d’un festival comme celui du Bout du Monde à Crozon avec des souvenirs inoubliables. Cependant, après le départ des festivaliers et des artistes, le travail continue pour toute une équipe bénévole de nettoyage. Il s’agit de ceux qu’on appelle l’équipe « environnement », et ils s’occupent de débarrasser le site de ses ordures afin de rendre leurs terres en bon état aux agriculteurs qui les ont prêtées. Et il y a du boulot.


Cette photo date de 2015 mais selon Gilbert « c’est toujours pareil »

Pour gérer ces volumes de déchets au mieux, une étroite collaboration est requise entre la mairie, dont le système de tri a un impact majeur sur la façon dont les ordures seront traitées, les organisateurs du festival, et bien entendu les festivaliers.

L’équipe du PC Environnement du festival du Bout du Monde 

Dès la seconde année du festival du Bout du Monde, une partie des bénévoles a été approchée par Jacques Guérin, le directeur du festival, pour s’occuper de l’environnement. Ils sont quatre à prendre en main le département : Philippe et Gilbert en 2000, rejoints par Françoise et Karim en 2002.


Philippe, les mains dans le container

Ils gèrent à eux quatre une équipe de 115 bénévoles pendant le festival, et 120 bénévoles pendant le mercredi de l’environnement -le jour de nettoyage qui fait suite au festival tous les ans. C’est pendant cette journée que les bénévoles arpentent le terrain et finissent de ramasser ce qui a été laissé par la grosse opération de déblayage qui a lieu les lundi et mardi.

Les bénévoles viennent parfois en famille. Peut-être que ces photos de gamins en train d’extraire du sol toutes sortes de déchets comme des couverts en plastique bien enfoncés dans la terre pousseront à réfléchir ceux qui abandonnent leurs ordures sur les campings.


Ceci dit parfois il y a de petits bénéfices. Enora a trouvé une pièce de deux euros, sûrement autant que ce que la petite souris lui donne pour chaque dent de lait tombée

Gilbert, qui gère une des équipes de ramassage sur les campings, raconte :
« l’an dernier on a collecté 11T de verre, 1,2T de carton, et 4,6T de recyclables.»
Pour rappel le festival du Bout du Monde accueille environ 60,000 festivaliers tous les ans dont 13,000 campeurs.
« les campeurs sont de plus en plus propres », poursuit Gilbert. « cette année on a quand même moins ramassé de déchets sur les campings que les années précédentes ». De plus, grâce à l’interdiction de certains produits comme le verre (dangereux et difficile à nettoyer), «90% des déchets produits sur le camping sont recyclables.»

Des stratégies pour minimiser les déchets abandonnés…

Inciter les gens à moins abandonner leurs déchets, c’est évidemment l’objectif de l’équipe environnement, en amont du travail de nettoyage.

« l’introduction des gobelets consignés en 2007 a beaucoup changé les choses », dit Valérie, bénévole à l’équipe environnement depuis dix ans. « avant, la prairie était totalement couverte de gobelets en plastique jetables; elle était toute blanche et elle craquait sous le pied. »

Des cendriers de poche consignés ont aussi été proposés (coût : 1 euro, récupérable au retour de l’objet) pour encourager les fumeurs à ne pas jeter leurs mégots par terre, une habitude qui n’est pas spécifique aux festivals et dont les répercussions environnementales sont souvent méconnues.

Autre initiative aux effets bénéfiques : pour encourager les festivaliers à ramener leurs déchets, on leur donne des sacs jaunes (recyclables) et noirs (ordures ménagères) à l’entrée du camping, et on leur offre une crêpe par sac jaune rempli et rendu. Ils ont également accès à un tirage au sort offert par l’agence de voyages Salaün, avec la possibilité de gagner un ticket pour 2 personnes à destination de Londres. Les sacs jaunes remplis sont collectés par un cheval de trait attelé à une charrette de ramassage qui arpente les campings. Attirés par le bel équipage, les campeurs engagent la conversation avec le conducteur et sont plus enclins à ramener les ordures. Une campagne de communication assez efficace et plutôt sympa, qui a permis de collecter cette année 1,8T de recyclables de plus que l’an dernier ; c’est toujours ça de moins à ramasser pour les bénévoles.
(écoutez notre reportage audio sur le cheval Vulcain, sa patronne, et le bénévole Pascal qui les accompagne)


Duc, petit cheval pas blanc qui a du courage sous l’averse

…Et l’utilisation des ressources

Le site du Festival du Bout du Monde comporte une page développement durable détaillant les démarches mises en place pour minimiser l’impact environnemental de l’événement. (On y apprend par exemple que le festival propose de prêter ses gobelets non siglés aux événements locaux, évitant aux organisateurs d’acheter des gobelets jetables.)

Mais la vraie nouveauté, c’est cette petite révolution que propose le festival : des toilettes sèches. Il y en a une vingtaine ouverte au public sur le site des concerts et sur les campings, plus des blocs individuels aux postes de bénévoles. Au cours du festival, une enquête réalisée par une membre de la rédaction dans la queue des toilettes a permis d’établir que les festivaliers campeurs préfèrent les toilettes sèches qui, selon eux, « sont plus propres ». « Elles sentent moins que des toilettes traditionnelles avec chasse d’eau », confirme Gilbert. Double victoire pour l’environnement et le confort festivalier, donc. Avec un autre bénéfice secondaire : le compost produit par les efforts des festivaliers, qui servira à fertiliser les champs.

Importance du mapping poubelles, et ordures improbables

Dans un festival, c’est bien connu, le public est serré comme des sardines. Il y a toujours les imbibés qui pogottent, la fille sur les épaules de son copain qui renverse généreusement sa bière sur la tête des personnes à qui elle bouche la vue, et ceux qui tentent de manger un sandwich assis par terre en plein concert; tout ça au milieu de la foule qui danse. Bref, c’est parfois compliqué de chercher une poubelle pour jeter son assiette en carton, et grande est la tentation de la laisser tomber à terre comme un sagouin. « Il faut une poubelle tous les 10, 15 mètres maximum », confirme Philippe. « plus que ça, et certaines personnes risquent de jeter par terre ».

Cependant, malgré les poubelles sur site, les sacs distribués à l’entrée des campings, les chevaux mignons et les crêpes gratuites, les bénévoles retrouvent des ordures en quantités (et en variétés) improbables.
« On trouve des tentes 2nd entières, neuves et en bon état, comme si les gens n’avaient pas réussi à les plier et décidé de les abandonner», explique Philippe, mi-amusé mi-agacé. « des fois il y a des piles de vêtements entières. On se demande avec quoi le gens repartent ».

Exemple : ce container pour les déchets métalliques a une contenance 30m3; deux comme ça sont remplis au cours du festival :

On trouve même des chaises et tables de camping en parfait état. Une semaine de bénévolat et on remeuble son jardin !


Une équipe qui en veut

L’environnement est un travail peu gratifiant. L’équipe en est d’autant plus soudée, comme nous l’explique Valérie, bénévole depuis dix ans :
« J’adore l’ambiance après le festival ; je viens un peu aux concerts, mais pas beaucoup. C’est surtout l’ambiance d’après que j’aime, quand on commence le travail de nettoyage ; on est une grande famille, on se retrouve tous les ans ».


Valérie, bénévole depuis 10 ans

« Nous avons des gens qui travaillent à l’équipe environnement tous les ans depuis 15 ans », confirme Philippe. « Chaque année c’est des embrassades quand on se retrouve. » Françoise, une autre des quatre responsables du festival, va même jusqu’à préparer pour les bénévoles un thermos de son café spécial au début de chaque jour de travail : «on a une cafetière sur le site mais ils préfèrent celui de chez moi alors je leur amène un thermos de la maison ». Le PC est bien fourni en boissons et petits gâteaux pour récompenser les courageux bénévoles qui travaillent souvent sous la pluie.


«allez, café-brioche dans 10mn»

D’ailleurs l’équipement sur le site du PC environnement est fourni par les bénévoles : les grandes tentes où on se réunit pendant les pauses, les toilettes sèches du poste, les petits meubles qui rendent l’ensemble plus confortable et chaleureux, tout est apporté par les quatre responsables de l’équipe. Cela paraît surprenant et donne l’impression que la gestion l’environnement en général et le tri des déchets en particulier demeure le parent pauvre des grandes manifestations. Cependant il serait injuste d’être exagérément critique vis-à-vis du Festival du Bout du Monde : parmi les événements de cette taille, ils font partie des plus soucieux de l’environnement, et ont par ailleurs intégré le collectif des festivals qui donne des outils pour réduire leur impact environnemental. (voir notre article sur eux datant de Novembre dernier)