A la rencontre des accapareurs de terre

L’accaparement des terres, on le connaît par des chiffres vertigineux : entre 2002 et 2012, dans les pays du Sud, des terres agricoles d’une surface équivalente à 4 fois celle de la France (1) ont été vendues ou louées à des investisseurs étrangers. Depuis la crise financière de 2008, le phénomène semble s’accélérer. Le foncier agricole et les produits alimentaires de base sont devenus des « valeurs refuges » pour les investisseurs, provoquant une flambée des prix des matières premières, et une course à l’investissement dans les terres fertiles. Grâce aux associations paysannes et écologistes, on connaît aussi les conséquences les plus dramatiques de l’accaparement des terres : des milliers de paysans et de pasteurs nomades expulsés d’une terre qui représente bien plus que leur seul moyen de subsistance, au profit de projets agro-industriels, avec le concours des gouvernements locaux. Mais « les vautours capitalistes qui volent la terre et en chassent délibérément les paysans à coups de fusil n’existent pas », écrit Stefano Liberti.

Du paysan au financier

Grâce à un formidable travail d’enquête, ce journaliste italien décortique, dans son enguête Main basse sur la terre, ce phénomène planétaire d’accaparement des terres. Qui sont les acquéreurs de ces millions d’hectares cultivables ? Le profit est-il leur seule motivation ? Il interroge les gouvernements qui acceptent de mettre en location des pans entiers de leur propre territoire ; il donne la parole aux paysans qui luttent contre les expropriations ; il dialogue avec les investisseurs qui achètent ces terres. Il voyage des salles feutrées des Nations unies aux cabanes des indigènes brésiliens ; des arides campagnes de l’Arabie Saoudite aux immenses cultures de maïs du Middle West américain ; des luxuriants plateaux éthiopiens aux salles de marché de la Bourse de Chicago. Nous partons ainsi à la rencontre de Gelata Bijiga, qui présente fièrement la ferme industrielle qu’il dirige (sous l’autorité d’un agronome hollandais), au cœur de la vallée du Rift, en Ethiopie : « En 24 heures, nous pouvons faire parvenir nos produits directement de la ferme au consommateur, dans un restaurant de Dubaï », s’enorgueillit-il. Puis direction Addis-Abeba, la capitale, pour rencontrer, au ministère de l’Agriculture, Esayas Kebede, responsable de l’Agence pour l’investissement du ministère. Mais ses explications sont floues. Dans « une petite maison croulante », siège du principal parti d’opposition au dictateur Zenawi, nous commençons à comprendre pourquoi l’Ethiopie brade ses terres, avec les explications de Bulcha Demeksa, leader d’une opposition affaiblie…

« Etre utile à la population locale »

Après un séjour en Ethiopie, nous suivons avec la même curiosité les pas de Stefano Liberti en Arabie Saoudite, accueilli dans les palaces des puissants cheiks ; à la Bourse de Chicago, au milieu du « ring des enragés », qui fixent, en spéculant, le prix mondial du blé. A Genève, à la salle de conférences de l’hôtel Continental, lors d’un colloque à 2 000 dollars l’inscription, nous rencontrons des investisseurs occidentaux qui se définissent comme « plus ou moins agressifs », à l’image de Susan Payne, qui captive l’assemblée : « Elle évoque des rendements allant jusqu’à 25 % car, souligne-t-elle de sa voix ferme, précise, éclatante, "l’Afrique est la nouvelle frontière. La terre est bon marché, et, en investissant dans la technologie, on peut augmenter la productivité, obtenir d’excellents profits et être utile à la population locale " ». Avec la problématique de l’augmentation de la population mondiale en toile de fond, Stefano Liberti montre, sans les juger, les « logiques » des différents acteurs de ce système agricole mondialisé, financiarisé. Plus rarement, il livre ses impressions : « Les classes urbaines, même pauvres, sont en faveur des grands investissements, susceptibles, en effet, de faire baisser le prix des produits agricoles et d’augmenter leur pouvoir d’achat. Mais le corollaire peut être dévastateur pour tous, car les paysans dépossédés se répandent dans les villes, s’offrant comme main-d’œuvre à bas prix, venant ainsi faire concurrence aux citadins pauvres. Loin d’être une win-win situation [gagnant-gagnant, Ndlr], la révolution verte que l’on prétend lancer en Afrique et ailleurs, s’accompagne d’une longue liste de perdants. »
 

« Main basse sur la terre », Stefano Liberti,  éd. Rue de l’échiquier, 15 euros.




A la rencontre des accapareurs de terre

L’accaparement des terres, on le connaît par des chiffres vertigineux : entre 2002 et 2012, dans les pays du Sud, des terres agricoles d’une surface équivalente à 4 fois celle de la France (1) ont été vendues ou louées à des investisseurs étrangers. Depuis la crise financière de 2008, le phénomène semble s’accélérer. Le foncier agricole et les produits alimentaires de base sont devenus des « valeurs refuges » pour les investisseurs, provoquant une flambée des prix des matières premières, et une course à l’investissement dans les terres fertiles. Grâce aux associations paysannes et écologistes, on connaît aussi les conséquences les plus dramatiques de l’accaparement des terres : des milliers de paysans et de pasteurs nomades expulsés d’une terre qui représente bien plus que leur seul moyen de subsistance, au profit de projets agro-industriels, avec le concours des gouvernements locaux. Mais « les vautours capitalistes qui volent la terre et en chassent délibérément les paysans à coups de fusil n’existent pas », écrit Stefano Liberti.

Du paysan au financier

Grâce à un formidable travail d’enquête, ce journaliste italien décortique, dans son enguête Main basse sur la terre, ce phénomène planétaire d’accaparement des terres. Qui sont les acquéreurs de ces millions d’hectares cultivables ? Le profit est-il leur seule motivation ? Il interroge les gouvernements qui acceptent de mettre en location des pans entiers de leur propre territoire ; il donne la parole aux paysans qui luttent contre les expropriations ; il dialogue avec les investisseurs qui achètent ces terres. Il voyage des salles feutrées des Nations unies aux cabanes des indigènes brésiliens ; des arides campagnes de l’Arabie Saoudite aux immenses cultures de maïs du Middle West américain ; des luxuriants plateaux éthiopiens aux salles de marché de la Bourse de Chicago. Nous partons ainsi à la rencontre de Gelata Bijiga, qui présente fièrement la ferme industrielle qu’il dirige (sous l’autorité d’un agronome hollandais), au cœur de la vallée du Rift, en Ethiopie : « En 24 heures, nous pouvons faire parvenir nos produits directement de la ferme au consommateur, dans un restaurant de Dubaï », s’enorgueillit-il. Puis direction Addis-Abeba, la capitale, pour rencontrer, au ministère de l’Agriculture, Esayas Kebede, responsable de l’Agence pour l’investissement du ministère. Mais ses explications sont floues. Dans « une petite maison croulante », siège du principal parti d’opposition au dictateur Zenawi, nous commençons à comprendre pourquoi l’Ethiopie brade ses terres, avec les explications de Bulcha Demeksa, leader d’une opposition affaiblie…

« Etre utile à la population locale »

Après un séjour en Ethiopie, nous suivons avec la même curiosité les pas de Stefano Liberti en Arabie Saoudite, accueilli dans les palaces des puissants cheiks ; à la Bourse de Chicago, au milieu du « ring des enragés », qui fixent, en spéculant, le prix mondial du blé. A Genève, à la salle de conférences de l’hôtel Continental, lors d’un colloque à 2 000 dollars l’inscription, nous rencontrons des investisseurs occidentaux qui se définissent comme « plus ou moins agressifs », à l’image de Susan Payne, qui captive l’assemblée : « Elle évoque des rendements allant jusqu’à 25 % car, souligne-t-elle de sa voix ferme, précise, éclatante, "l’Afrique est la nouvelle frontière. La terre est bon marché, et, en investissant dans la technologie, on peut augmenter la productivité, obtenir d’excellents profits et être utile à la population locale " ». Avec la problématique de l’augmentation de la population mondiale en toile de fond, Stefano Liberti montre, sans les juger, les « logiques » des différents acteurs de ce système agricole mondialisé, financiarisé. Plus rarement, il livre ses impressions : « Les classes urbaines, même pauvres, sont en faveur des grands investissements, susceptibles, en effet, de faire baisser le prix des produits agricoles et d’augmenter leur pouvoir d’achat. Mais le corollaire peut être dévastateur pour tous, car les paysans dépossédés se répandent dans les villes, s’offrant comme main-d’œuvre à bas prix, venant ainsi faire concurrence aux citadins pauvres. Loin d’être une win-win situation [gagnant-gagnant, Ndlr], la révolution verte que l’on prétend lancer en Afrique et ailleurs, s’accompagne d’une longue liste de perdants. »
 

« Main basse sur la terre », Stefano Liberti,  éd. Rue de l’échiquier, 15 euros.




A la rencontre des accapareurs de terre

L’accaparement des terres, on le connaît par des chiffres vertigineux : entre 2002 et 2012, dans les pays du Sud, des terres agricoles d’une surface équivalente à 4 fois celle de la France (1) ont été vendues ou louées à des investisseurs étrangers. Depuis la crise financière de 2008, le phénomène semble s’accélérer. Le foncier agricole et les produits alimentaires de base sont devenus des « valeurs refuges » pour les investisseurs, provoquant une flambée des prix des matières premières, et une course à l’investissement dans les terres fertiles. Grâce aux associations paysannes et écologistes, on connaît aussi les conséquences les plus dramatiques de l’accaparement des terres : des milliers de paysans et de pasteurs nomades expulsés d’une terre qui représente bien plus que leur seul moyen de subsistance, au profit de projets agro-industriels, avec le concours des gouvernements locaux. Mais « les vautours capitalistes qui volent la terre et en chassent délibérément les paysans à coups de fusil n’existent pas », écrit Stefano Liberti.

Du paysan au financier

Grâce à un formidable travail d’enquête, ce journaliste italien décortique, dans son enguête Main basse sur la terre, ce phénomène planétaire d’accaparement des terres. Qui sont les acquéreurs de ces millions d’hectares cultivables ? Le profit est-il leur seule motivation ? Il interroge les gouvernements qui acceptent de mettre en location des pans entiers de leur propre territoire ; il donne la parole aux paysans qui luttent contre les expropriations ; il dialogue avec les investisseurs qui achètent ces terres. Il voyage des salles feutrées des Nations unies aux cabanes des indigènes brésiliens ; des arides campagnes de l’Arabie Saoudite aux immenses cultures de maïs du Middle West américain ; des luxuriants plateaux éthiopiens aux salles de marché de la Bourse de Chicago. Nous partons ainsi à la rencontre de Gelata Bijiga, qui présente fièrement la ferme industrielle qu’il dirige (sous l’autorité d’un agronome hollandais), au cœur de la vallée du Rift, en Ethiopie : « En 24 heures, nous pouvons faire parvenir nos produits directement de la ferme au consommateur, dans un restaurant de Dubaï », s’enorgueillit-il. Puis direction Addis-Abeba, la capitale, pour rencontrer, au ministère de l’Agriculture, Esayas Kebede, responsable de l’Agence pour l’investissement du ministère. Mais ses explications sont floues. Dans « une petite maison croulante », siège du principal parti d’opposition au dictateur Zenawi, nous commençons à comprendre pourquoi l’Ethiopie brade ses terres, avec les explications de Bulcha Demeksa, leader d’une opposition affaiblie…

« Etre utile à la population locale »

Après un séjour en Ethiopie, nous suivons avec la même curiosité les pas de Stefano Liberti en Arabie Saoudite, accueilli dans les palaces des puissants cheiks ; à la Bourse de Chicago, au milieu du « ring des enragés », qui fixent, en spéculant, le prix mondial du blé. A Genève, à la salle de conférences de l’hôtel Continental, lors d’un colloque à 2 000 dollars l’inscription, nous rencontrons des investisseurs occidentaux qui se définissent comme « plus ou moins agressifs », à l’image de Susan Payne, qui captive l’assemblée : « Elle évoque des rendements allant jusqu’à 25 % car, souligne-t-elle de sa voix ferme, précise, éclatante, "l’Afrique est la nouvelle frontière. La terre est bon marché, et, en investissant dans la technologie, on peut augmenter la productivité, obtenir d’excellents profits et être utile à la population locale " ». Avec la problématique de l’augmentation de la population mondiale en toile de fond, Stefano Liberti montre, sans les juger, les « logiques » des différents acteurs de ce système agricole mondialisé, financiarisé. Plus rarement, il livre ses impressions : « Les classes urbaines, même pauvres, sont en faveur des grands investissements, susceptibles, en effet, de faire baisser le prix des produits agricoles et d’augmenter leur pouvoir d’achat. Mais le corollaire peut être dévastateur pour tous, car les paysans dépossédés se répandent dans les villes, s’offrant comme main-d’œuvre à bas prix, venant ainsi faire concurrence aux citadins pauvres. Loin d’être une win-win situation [gagnant-gagnant, Ndlr], la révolution verte que l’on prétend lancer en Afrique et ailleurs, s’accompagne d’une longue liste de perdants. »
 

« Main basse sur la terre », Stefano Liberti,  éd. Rue de l’échiquier, 15 euros.