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Avec les coopératives d’activité et d’emploi, devenez entrepreneur tout en restant salarié

Créer son entreprise relève du parcours du combattant. En plus de réfléchir à la stratégie commerciale et marketing, les porteurs de projets doivent consacrer un temps fou à la paperasse. Au 23ème étage d’une tour de verre, de béton et de métal qui domine le centre commercial de Saint-Herblain (44), l’Ouvre-boîtes, une coopérative d’activité et d’emploi (CAE) leur propose de les débarrasser de ce poids afin qu’ils se concentrent sur l’essentiel : le lancement de leur activité.

Moyennant 10,25% du chiffre d’affaires des aspirants à la création d’entreprise, l’Ouvre-boites gère pour eux l’ensemble des démarches juridiques, comptables et administratives. Ils deviennent alors salariés de la coopérative qui transforme leur chiffre d’affaires en salaire (une fois les charges déduites). Une formule qui a séduit Sarah, désireuse de lancer son activité de bricolage à domicile : « Tout ce qui est administratif et financier ce n’est pas ma tasse de thé. Quand j’ai vu tout ce qu’il fallait faire pour monter son entreprise, je me suis dit non, non, non ! S’il n’y avait pas eu l’Ouvre-boîtes pour gérer cette partie, ça m’aurait bloqué ».

Être autonome au sein d’un collectif

Pour Franck, qui réalise des photomontages pour les projets éoliens, ce service rendu permet de « libérer du temps et d’éviter de se prendre les pieds dans le tapis » de la comptabilité en la déléguant à la coopérative. Il loue également la souplesse du dispositif : « C’est un cadre où on peut simplement tester la viabilité de son activité sans s’engager formellement auprès de l’administration », indique-t-il.

« C’est une alternative au salariat classique et vertical et au statut d’auto-entrepreneur qui permet d’être autonome mais au sein d’un collectif », plaide Frédéric, responsable du développement de la coopérative. Ce quarantenaire mal rasé explique en effet que les créateurs d’entreprises gardent la maîtrise totale de leur activité tout en étant salariés, ce qui leur permet d’être éligibles au chômage en cas de cessation d’activité.

Frédéric insiste également sur la flexibilité que permet la coopérative qu’il présente comme un « outil qui s’adapte aux individus. On peut décider de n’entreprendre que 3 jours par semaine par exemple », précise-t-il. C’est ce qu’a choisi de faire Sarah qui conserve une activité salariée en plus de son entreprise de bricolage. « Quand on a une entreprise atypique, la coopérative trouve le cadre juridique qui colle à ce qu’on a envie de faire. Plutôt que de nous couler dans le moule, ils coulent le moule à notre projet. On a le temps de faire, de réfléchir et d’y aller en douceur, de pas avoir tout à gérer tout de suite », fait-elle valoir.

Force du réseau

Les 200 entreprises couvées par l’Ouvre-boîtes bénéficient pendant les deux premières années des conseils prodigués par les salariés-associés de la coopérative. Un soutien apprécié par Adrien qui a quitté la multinationale qui l’employait pour lancer il y a 5 mois sa propre activité de plomberie : « On a des réunions de formation et d’échange sur pas mal de sujets techniques, notamment sur la TVA. Ça aide bien quand on se lance », estime-t-il.Mais l’accompagnement n’est pas seulement prodigué par les conseillers de l’Ouvre-boîtes. Les entrepreneurs bénéficient également de la force du réseau. « Les collègues d’autres corps d’état peuvent nous donner des chantiers et nous on peut les préconiser à nos clients. On travaille en groupe, on n’est pas seul », ajoute ce plombier. Christelle, qui a rejoint la coopérative pour lancer ses cours de cuisine bio et végétariens à domicile voit également dans le collectif un moyen de booster son activité : « Nous faisons partie d’un réseau de gens qui se connaissent, les connexions se font plus rapidement », assure cette quarantenaire qui a pu trouver ses premiers clients grâce à l’Ouvre-boîtes.

Mais cette mutualisation a un prix. « Vu qu’on est à la fois chef d’entreprise et salarié, on paie les charges patronales et salariales qui correspondent à environ 60% de notre chiffre d’affaires hors taxe. C’est énorme par rapport aux auto-entrepreneurs. Mais ce n’est pas le même état d’esprit. Ici on est dans une logique de coopération, d’esprit collectif. L’argent est moins important. On calcule le prix juste et les clients savent qu’ils paient pour ça », plaide Sarah.

Après deux ans sous les ailes de l’Ouvre-boîtes, les entrepreneurs salariés peuvent choisir de prendre leur envol et de créer leur propre structure ou bien prendre des parts dans la coopérative et devenir eux-mêmes associés. C’est la voie que Franck a décidé d’emprunter. « Je suis resté pour des raisons pratiques comme les conseils juridiques mais aussi pour appartenir à un réseau », explique le photographe. Il précise que ce type de fonctionnement n’est « pas une limite au développement de l’activité. Depuis juillet, j’emploie une personne. Elle est salariée par l’Ouvre-boîtes sur mon chiffre d’affaires mais est sous ma responsabilité », indique-t-il.

Comme lui, chaque année depuis 10 ans, 10 à 12 anciens salariés de la coopérative choisissent d’intégrer l’Ouvre-boîtes en tant qu’associés. « Ça leur apporte une satisfaction intellectuelle. Ça lie leur activité à quelque chose de plus grand en leur permettant d’appartenir à une communauté de sens », analyse Frédéric qui ne cache pas qu’en plus de l’enjeu économique la coopérative a également une « ambition politique ». En favorisant le travail en réseau, la coopération et la mutualisation des compétences, il entend favoriser « une transformation de notre rapport au travail et à l’économie ». La coopérative compte par exemple s’associer avec la monnaie locale nantaise afin de « créer des réseaux locaux créateurs d’emplois sur place et développer un écosystème territorial à même de trouver des solutions pour la société de demain », explique-t-il du haut de ses 15 ans de syndicalisme.

Acteurs de la transition

Il compte également sur le « coopitalisme » pour relocaliser et dynamiser l’économie. En 2010, cette forme de finance solidaire et citoyenne a permis à 50 petits investisseurs locaux de regrouper leur épargne et ainsi de réunir  30 000 € afin de permettre à des membres de la coopérative de pérenniser leur activité sans forcement passer par les banques. Au vu des résultats prometteurs observés suite à cette première tentative, ils retentent l’aventure avec cette fois l’objectif de récolter plus de 100 000 € d’épargne.

L‘« utopie » de Frédéric est de réussir à faire émerger un nouveau modèle économique à même d’offrir une alternative aux grandes e
ntreprises qui trustent aujourd’hui les appels d’offres, notamment
dans le domaine de la transition écologique. « Plus on est d’associés, plus on développe un vivier de compétences énorme », s’enthousiasme ce militant écolo qui ne veut plus attendre que le changement vienne d’une classe politique dépassée par les événements : « Il n’y a plus grand chose qui marche bien et il n’y a que les élites qui ne s’en sont pas encore rendu compte. Il y a de nouveau modèles à inventer et les coopératives d’activité et d’emploi participent de cette anticipation. Nous sommes dans une période de transition et l’ouvre-boîte est un des lieux où la transition peut se faire ».

 

Pas de sélection à l’entrée

Aujourd’hui, près de 300 personnes sont salariées de la coopérative dans des secteurs aussi variés que le bâtiment, les services à la personne ou la transition énergétique. « Il n’y a pas de sélection à l’entrée sauf quand le projet ne tient vraiment pas la route. On ne demande pas de remplir des dossiers de 10 pages et des business plan. Néanmoins, quand le projet manque de maturité, on les guide vers d’autres outils », explique Frédéric, chargé de développement de l’Ouvre-boîtes. Une ouverture qui permet à un éventail de personnes large de se lancer : « 82% sont des demandeurs d’emplois mais il n’y à pas de profil type. Ça va de gens très peu qualifiés à des post-doctorants, de 23 à plus de 60 ans. Et il y a 62% de femmes, pour la plupart issues de foyers monoparentaux ». Malgré ce laxisme apparent dans le choix des projets, ceux-ci se révèlent pourtant économiquement pertinents. Frédéric évoque un taux de survie à 5 ans d’environ 75%, soit plus que la moyenne des entreprises classiques.

 

 

 

 

 

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Un article issu du site « Le tour de France des alternatives »

 

 

Plus d’infos sur la coopérative :

http://www.resotpe.com/Accompagnement-a-la-creation-d-entreprise-Nantes-St-Nazaire

 




A Brest, un café associatif fait revivre tout un quartier

Quand on remonte les pavés de la rue de Saint-Malo, la plus ancienne de Brest, on trouve à une intersection un café sobrement nommé « Au coin d’la rue ». A l’intérieur, un groupe de jeunes d’un quartier voisin apprend à tricoter sur de confortables canapés. Quelques tables plus loin, des femmes s’initient à l’origami tout en riant à gorge déployée tandis que, derrière le comptoir, l’inépuisable Mireille prépare des boissons chaudes, bios et issues du commerce équitable.

Un peu plus tard, Gégé, la soixantaine bien tassée, pousse la porte et va de table en table pour saluer les clients. Il s’arrête ici et là pour discuter ou observer une famille jouant aux jeux de société. Dans ce petit microcosme, il semble tout à fait naturel de parler à des inconnus. « On passe voir les gens, rencontrer de nouvelles personnes et se vider l’esprit », résume un habitué.

Mais derrière le calme serein de ce salon de thé associatif se cache une histoire haute en couleur. En  2010, Mireille, une figure du quartier,  cherche un lieu pour organiser des projections de films. Elle repère ce bâtiment inoccupé appartenant à la mairie. « Quand j’ai été leur demander la clé, ils ne savaient même pas qu’ils l’avaient ! Alors on l’a récupérée, et on ne l’a jamais rendue », raconte-t-elle, le sourire jusqu’aux oreilles.

Un café participatif

Avec quelques acolytes, Mireille commence par remettre en état ce bâtiment, alors « totalement détérioré ». L’idée est d’en faire « un lieu où l’on se sent bien, bâti à partir des désirs de chacun ». Et dans ce quartier populaire, les envies sont parfois très pragmatiques. « Au début, les gens avaient besoin d’une connexion à internet. On a donc mis des ordinateurs à disposition. Et les personnes qui se faisaient couper le téléphone venaient ici pour passer des coups de fil et rétablir leur ligne. »

Reconnaissant l’utilité sociale du lieu, la mairie a laissé coulé et a même mis à disposition de nouvelles machines et un animateur pour guider les moins à l’aise avec les nouvelles technologies.« Puis naturellement, c’est devenu un café, on y a installé une bibliothèque, une épicerie, des ateliers, des concerts… On voit ce qui manque et on le met en place », résume Mireille.

Et la programmation n’est pas la chasse gardée de la petite équipe du Coin de la rue composée d’un service civique et de volontaires, dont l’infatigable Mireille. « Les voisins proposent un truc le jeudi et le samedi s’organise une soirée Guadeloupe avec des odeurs de friture partout dans la cuisine et du rhum. Ils avaient complètement investi le lieu. Ici, les gens du quartier se retrouvent. L’endroit est à tout le monde. Quand ils ont besoin de quelque chose, ils demandent et ils le trouvent souvent ici ».

 

Chacun peut organiser les ateliers de son choix au Coin d’la rue. Ici, trois habituées s’initient à l’origami.

Un lieu de rendez-vous

Même si les prix sont abordables, personne n’est obligé de consommer et le « Coin d’la rue » est vite devenu un lieu de réunion pour ceux qui n’en avaient pas, et notamment les enfants. « On vient pour les ordinateurs et pour la bonne ambiance. Ça nous fait une sortie, un un endroit pour se retrouver. On vient 3 ou 4 fois par semaine depuis que c’est ouvert », racontent David et Ismae, deux garçons d’une dizaine d’années. « Ça permet aux gamins du quartier qui n’ont pas d’activité culturelle à proximité d’aller sur internet, de se retrouver ou de lire des bouquins », confirme Isabelle, une prof d’histoire très attachée au projet.

Mais bien qu’il soit toléré par l’équipe municipale, le statut du café reste flou. « C’est plus ou moins un squat. Nous n’avons pas de bail mais on s’entend bien. La mairie a bien compris que c’était dans l’intérêt de tous et a financé la mise aux normes des locaux. Ils nous font confiance et voient que ce qu’on fait marche. On organise beaucoup de fêtes sans jamais demander l’autorisation et ça se passe toujours très bien », argue-t-elle.

Ni bordel, ni bistrot

Et cette énergie nouvelle a fait un bien fou a un quartier qui agonisait.« Avant il y avait des marins, des bistros, des bordels, La marine a périclité, le quartier est resté populaire mais les bistros ont disparu », résume Mireille. Mais son arrivée a changé la donne. C’est par hasard qu’elle tombe sur cette rue et découvre que c’est la plus vieille de Brest, une des rares à avoir survécu aux bombardements qu’a essuyés la ville pendant la seconde guerre mondiale.

« A l’époque c’était un énorme dépotoir, mais je suis quand même tombée amoureuse. On l’a progressivement nettoyée, on a enlevé des tonnes de déchets. Je me suis installée en squat il y a 24 ans dans une des maisons abandonnées et je suis toujours là aujourd’hui », raconte Mireille qui a créé une association pour mettre en valeur le patrimoine bâti et historique tombé dans l’oubli de cette rue plus que centenaire.

Aux beaux jours, cette estrade construite par les habitants accueille spectacles et concerts.

Une certaine fierté retrouvée

« C’est devenu un lieu de balade connu de tous les Brestois. J’y emmène mes élèves en sortie patrimoine car à Brest, il n’y a plus rien à part cette rue », abonde Isabelle, la professeur d’histoire membre de l’association. Et les gens n’y viennent pas que pour les vieilles pierres. Sur les estrades et les bars construits lors de chantiers collectifs, se déroulent des fêtes qui réunissent plusieurs générations. « C’est la meilleure ambiance de Brest. C’est familial, les gens sont contents de s’y voir », affirme un voisin qui ne loupe pas une édition.

En un quart de siècle, Mireille et ses compères ont transformé la rue  et ceux qui y vivent aussi. « Le quartier avait la réputation d’être pauvre et violent. Maintenant, les habitants voient que leur rue est connue et qu’ils n’habitent plus le quartier où personne ne va. Ça leur redonne une certaine fierté ».

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Collège Montessori à Rennes : autonomie et émancipation

« Il faut partir de ce qui fait sens pour l’enfant pour qu’il comprenne pourquoi il apprend ». Voilà comment Jacques-Olivier envisage l’école. Mais faute de trouver son bonheur dans l’Éducation nationale, ce père de famille à décidé de créer un collège près de Rennes en s’inspirant de la pédagogie alternative de Maria Montessori, une médecin italienne du siècle dernier. Depuis un an et demi, les 10 enseignants de ce collège écologique Montessori (dont 5 bénévoles) installé au Rheu près de Rennes mettent en pratique une « pédagogie active » basée sur les besoins et les rythmes de l’élève que Jacques-Olivier considère comme « un adulte en devenir intégré à la société ».

Et quand on pénètre dans le collège un vendredi matin, on comprend rapidement qu’il ne s’agit pas d’un établissement comme les autres. Comme chaque semaine, les 27 élèves sont rassemblés en cercle dans une pièce en présence d’un professeur pour  discuter ensemble de l’actualité, de leurs difficultés ou encore de leurs projets.

Parlement des élèves

Ce jour-ci, c’est l’organisation d’une sortie cinéma qui occupera le plus clair de la séance. Du choix du film au moyen de transport en passant par le démarchage des adultes accompagnateurs, les élèves gèrent tout par eux-mêmes. L’équipe pédagogique intervient en fin de processus pour valider ou non le projet. « On les laisse essayer et se tromper. L’erreur est une bonne amie de l’apprentissage », justifie Mélanie, professeur d’anglais en charge de l’encadrement de ces « assemblées des élèves ».

C’est Jordan*, élu modérateur du jour, qui est chargé de distribuer la parole tandis que le secrétaire de séance, lui aussi élu au début de l’assemblée, prend des notes. Et les discussions s’enchaînent dans un joyeux brouhaha. Une élève évoque l’astéroïde qui a frôlé la terre la nuit précédente, un autre d’origine hollandaise propose à ses camarades de faire une commande groupées de lettres en chocolat, tradition de noël dans son pays, tandis que deux de leurs camarades suggèrent l’instauration d’un défi lecture. « Ce soir, après les cours, j’apprends à coudre à ceux qui veulent », lance également Émilie, à la fin de la réunion.  Mais ce temps d’échange sert aussi à faire remonter les problèmes : « Ma mère n’est pas la tout le temps et c’est trop dur de réviser seul », explique timidement William. Pendant 2 heures, les collégiens, tous niveaux confondus, discutent et débattent ensemble et l’enseignante n’intervient que quand Florian, élu modérateur du jour, ne parvient pas à maintenir le calme.

Et quand on demande aux jeunes ce qui différencie leur collège d’autres établissements, les réponses fusent : « Ici on peut tutoyer les profs », lance une élève. « Il y a 15 élèves par classe donc les professeurs nous donnent plus d’attention. Ça permet plus de débats. Vu qu’on est moins, on se connait mieux les uns les autres », ajoute sa voisine. Une proximité qui favorise les relations adultes/enfants :« On a plus confiance dans les professeurs. Ils cherchent à nous connaitre et à nous comprendre. Plutôt que de me dire de me taire, ils cherchent à savoir pourquoi je parle beaucoup », souligne un collégien. En outre, pendant les cours, l’accent est mis sur la pratique et sur les exemples concrets afin de donner du sens à l’apprentissage.

L’ambition de Jacques-Olivier est de « développer l’émancipation » des élèves en vertu du credo de Maria Montessori : « aide-moi à faire seul ». Outre l’absence de cantine qui pousse les élèves à amener leur nourriture et à faire leur vaisselle, c’est à eux de trouver le financement pour leurs sorties scolaires. « Pour leur voyage en Suède l’année dernière, ils ont décidé de vendre des tickets de tombola à prix libre. Mais avant d’en arriver là, il y a eu plein de calculs et de débats. Ils ont fait leur choix en conscience », se réjouit Mélanie. Un encouragement à l’autonomie que l’on retrouve dans le processus d’apprentissage. « Dans les autres collèges, on ferme sa bouche et on recrache nos leçons. Ici on va pas dire qu’on s’amuse mais on apprend pour notre vie après, pas pour les contrôles ou l’éducation nationale. On le fait pour nous, pas pour eux« , estime Jeanne. « On est maîtres de notre apprentissage », abonde Frida.

En effet, même si l’enseignement est basé sur le socle commun de l’éducation nationale, le rythme est aménagé en fonction des élèves. Une heure de« travail autonome » par jour permet aux collégiens de ne pas trop ramener de travail à faire à la maison. Chaque jour, des professeurs proposent trente minutes de « temps choisis » pour réexpliquer des notions ou refaire passer des évaluations à ceux qui le souhaitent. Les frontières entre les niveaux sont également plus poreuses qu’ailleurs. Les collégiens sont divisés en deux classes (6è-5è et 4è-3è) mais peuvent occasionnellement naviguer entre les niveaux comme l’explique Jacques-Olivier : « Les choses ne sont pas cloisonnées. Nous avons un élève de 4ème qui a pris un cours d’anglais avec les 6ème car il s’est rendu compte que ça lui ferait du bien. Le travail de l’éducateur est d’accompagner l’élève dans cette démarche. Et ça marche dans l’autre sens. Nous avions un élève de 6ème qui a passé le brevet de français pour s’entraîner car il était doué. »

Pas de notes

Le système d’évaluation est également atypique. A part pour les 3ème, les élèves de reçoivent pas de notes mais s’auto-évaluent avec l’aide des professeurs. Pour chaque notion ou compétence, ils précisent : « acquis », « non-acquis », « en cours d’acquisition ». Pour Mélanie, cette méthode est « plus précise » que la notation de l’éducation nationale. Ça a plus de sens de pouvoir dire ‘je sais conjuguer le verbe être en anglais’ plutôt que ‘j’ai 12/20″, estime cette enseignante.

Pour autant, Mélanie précise que « ce n’est pas de l’apprentissage libre. On ne peut le faire qu’avec des enfants qui sont habitués à l’autonomie, hors beaucoup d’entre eux ne sortent pas d’écoles alternatives et ça se sent. L’autonomie, ça prend du temps. Pendant les assemblées du vendredi, je ne devrais pas intervenir du tout », fait-elle valoir. Cette professeur qui se définit comme « assez autoritaire » évoque le« besoin de replacer la distance de temps en temps. On n’oublie pas que ce sont des ados mais on essaie de leur faire de plus en plus confiance », précise-t-elle. Ainsi, l’équipe pédagogique a fait le choix de décider de la plupart des règles de vie à l’intérieur de l’école avec les élèves.

Ce laxism
e apparent vaut à l’établissement d’être qualifié dans la presse d’école de la dernière chance. Un description que Mélanie réfute : « ce type de pédagogie demande plus de travail. On demande aux élèves de comprendre et pas seulement d’apprendre. On attend d’eux qu’ils soient autonomes et se prennent en charge ». Pour autant elle reconnait qu’il y a des « mômes qui ont des sacrés souffrances liées à l’école. C’est fou comme l’école peut faire mal. Ici on les voit progresser, s’épanouir, être contents de venir à l’école. Et quand le bulletin arrive, ce n’est plus la crise à la maison ».

Trop de libertés ?

La plupart des élèves interrogés vantent les mérites de cette pédagogie et ils sont nombreux à affirmer avoir repris goût à l’école, à l’apprentissage et gagné en confiance en eux. Néanmoins, tous les élèves n’apprécient pas cet afflux de liberté et de nouveauté. « J’aimerais avoir des notes et une moyenne, ça me permettrait de mieux juger mon niveau », confie un élève de 5ème arrivé à la rentrée. Pour certains, les règles ne sont « pas assez strictes ». « Vu qu’il n’y a pas obligation de faire le travail, ça décourage les autres », argue une fillette.

Et même si Jacques-Olivier espère « apporter la pédagogie Montessori au plus grand nombre », il admet que des « élèves s’épanouiront mieux dans le système classique ». Il insiste cependant pour que parents et enfants puissent « avoir le choix », ce qui n’est pas le cas aujourd’hui selon lui. « L’idée est que chaque élève a des compétences particulières qu’on n’apprend pas à exploiter, résume-t-il. Mon envie est de développer les super pouvoirs de chacun ».

 

L’émancipation a un prix.

En tant que collège privé hors contrat, le collège Montessori du Rheu ne reçoit pas d’aides de l’État et doit compter sur le mécénat et sur les frais d’inscription versés par les parents pour assurer le quotidien. Ceux-ci s’acquittent d’une somme allant de 100 à 500 € par mois en fonction du quotient familial. Pour permettre aux parents modestes de scolariser leurs enfants dans l’établissement, Jacques-Olivier réfléchit un moyen d’impliquer les parents dans le fonctionnement de l’école afin « d‘atténuer le prix de l’inscription », explique Jacques-Olivier. Jusqu’alors, le collège n’est pas encore arrivé à l’équilibre financier. Pourtant, ils bénéficient d’un loyer à prix modéré concédé par la municipalité. En outre, le Conseil d’administration est totalement bénévole ainsi qu’une partie des professeurs et les parents sont mis à contribution, notamment pour encadrer des activités extra-scolaires. En attendant de fêter ses 5 ans et ainsi de passer sous contrat avec l’État qui couvrirait une partie de la masse salariale, l’équipe d’encadrement recherche toujours des financements pour boucler l’année en cours et permettre aux élèves de continuer d’expérimenter l’école autrement.

 

 

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