Le feuilleton de l’été : Tim Jackson « prospérité sans croissance, la transition vers une économie durable »

En s’appuyant sur la définition que le prix Nobel d’économie Amartya Sen donnait de la prospérité (opulence+utilité+capabilités d’épanouissement), l’auteur de cet ouvrage, Tim Jackson, professeur de développement durable à l’Université du Surrey et commissaire à l’économie de la très officielle Commission du développement durable du Royaume-Uni nous montre que la croissance continue est non seulement un mythe impossible mais qu’elle est à partir d’un certain point inutile voire nuisible.

L’intérêt de ce livre est qu’il montre surtout qu’un autre modèle est possible, qui n’est ni la décroissance, ni une « croissance verte » et dont on a encore du mal à définir les contours,  pour peu qu’on accepte de changer de paradigme.

Le premier changement est évidemment de passer d’un modèle économique à deux dimensions Travail-Capital à un modèle macroéconomique à au moins trois dimensions introduisant le principal facteur de rareté qu’est  notre planète elle-même dont les ressources sont par définition épuisables (du moins avec le mode d’exploitation actuelle).

Le second changement est évidemment de modifier notre rapport au travail. Dans le système tel qu’il fonctionne actuellement, le travail est avant tout un coût de production qu’il convient de réduire (pour les entreprises) et le moyen d’assurer son existence, qu’il convient de conserver coûte que coûte (pour le travailleur). En introduisant la dimension sociale du travail comme un des éléments d’exister dans une société, il ajoute une nouvelle valeur à ce travail. Le travail devient du coup une valeur sociale centrale du modèle macroéconomique qu’il faut à tout prix préserver, développer et PARTAGER.

Le troisième changement auquel il nous invite, c’est de modifier notre rapport aux objets et, à travers cela, modifier notre façon de « consommer », c’est-à-dire passer d’un acte d’achat qui relève au moins autant de la représentation sociale que du besoin véritable vers un acte raisonné où le service rendu (la satisfaction du besoin réel) et la façon dont ce produit ou ce service est obtenu sont les principaux paramètres du choix.

Partant de là, il redéfinit les contours d’une nouvelle macroéconomie, que faute de mieux, il appelle écologique mais qui pourrait tout aussi bien s’appeler « durable » ou « soutenable » voire « responsable », où l’action politique reprend tous ses droits, où l’Etat retrouve sa place d’investisseur de long terme et où le capitalisme (enfin une certaine forme de capitalisme, qu’il appelle entrepreneurial)  aurait encore sa place pour peu qu’il accepte l’ensemble des paramètres définis ci -dessus.

Certains parlent de ce livre comme d’un nouveau rapport Brundtland. C’est peut-être lui faire trop d’honneur.

Mais c’est certainement un livre à lire (collection etopia, éditions De Boeck) qu’on peut consulter au centre de documentation des Eco-Bretons.

Vous trouverez ci-dessous la lecture commentée des 200 pages de ce livre de 12 chapitres qui vous redonnent le moral (si vous l’aviez perdu).

 

Chapitre 1. La prospérité perdue

             La prospérité comme croissance

             La question des limites

             Au-delà des limites

Prospérité =croissance du revenu, c’est vrai pour un milliard d’habitants de la Terre qui vivent avec moins de 1 dollar par jour. Pour les autres, et notamment le milliard le plus riche, cette équation n’est pas vraiment vérifiée.

Les débats autour du peak oil et de tous les autres « peak » n’a pas grand sens. Tôt ou tard, ces points de rupture INELUCTABLEMENT seront atteints. Malthus avait certainement tort  sur le moyen terme quand il écrivait sa théorie sur la rareté et l’appauvrissement car il ne tenait pas compte des gains de productivité ni de l’innovation technologique, mais sur le très long terme, il a indubitablement raison : aucun arbre ne montera jamais jusqu’au ciel.

« L’idée d’une économie qui ne croît pas est une hérésie pour un économiste. L’idée d’une économie en croissance continue est une hérésie pour un écologiste. » L’économie a failli dans sa tentative d’apporter la prospérité par la croissance continue de la richesse puisqu’elle a surtout produit inégalité et instabilité.

 

Chapitre 2. L’âge de l’irresponsabilité

              A la recherche de coupables

              Le labyrinthe de la dette

              L’ennemi intérieur

              Dettes écologiques

Pourquoi l’économie a failli à sa double mission d’assurer la prospérité pour tous et la stabilité de cet état d’aisance universel ?

C’est à cause essentiellement du mythe de la croissance qui pousse les pays développés à vivre de plus en plus en plus à crédit [La question reste cependant posée du pourquoi il est nécessaire à ces économies développées de vivre à crédit pour soutenir « sa » croissance. La réponse est évidemment dans la répartition inégale de la richesse créée].[dG1]

L’irresponsabilité ne vient ni du laxisme du contrôle, ni de la cupidité individuelle, encore moins de fautes professionnelles des banquiers. Cette irresponsabilité est systémique et tient à l’obsession de la croissance à tout prix, y compris l’endettement inconsidéré. C’est par la croissance que le marché a finalement été défait. Cette dette financière dont nous n’arriverons pas à nous défaire à court terme ne doit pas masquer  d’autres dettes à plus long terme,  les dettes écologiques et c’est peut-être là qu’est la plus grande preuve d’irresponsabilité du marché.

 

Chapitre 3. Redéfinir la prospérité

            La prospérité comme opulence

            La prospérité comme utilité

    La prospérité en tant que capabilité d’épanouissement

          Capabilités limitées

Le prix Nobel d’économie Amartya Sen définit la prospérité à partir de trois substantifs dont un néologisme : l’opulence, l’utilité et les capabilités d’épanouissement. Il précise aussi que la prospérité ne peut se concevoir que comme une condition incluant des obligations et des responsabilités envers autrui.

S’agissant de l’opulence, il note que « plus » peut parfois revenir à « moins » : l’épidémie d’obésité en est la manifestation la plus symbolique mais elle est loin d’en être la seule.

L’utilité se traduit comme étant le degré de satisfaction qu’on retire de son niveau de vie. La satisfaction n’a évidemment rien à voir avec le p
rix et la quantité de ce qu’on consomme puisqu’il peut y avoir des satisfactions gratuites, mais les études menées par la Commission pour le Développement Durable britannique montre que le lien entre niveau de vie et bien-être suit une courbe asymptotique qui montre qu’au-delà d’un certain niveau de revenu (environ 15.000 €uros en 1995), le sentiment de mieux-être ne progresse quasiment plus alors qu’en deçà la progression est très rapide.

En introduisant le concept de capabilités d’épanouissement, Sen veut indiquer qu’au-delà du revenu disponible, une autre dimension doit être prise en compte pour définir la prospérité : les possibilités qui sont offertes à chacun de trouver sa place dans la société où il vit. Cette définition des capabilités est complétée par la philosophe Martha Nussbaum autour de cinq éléments

  •                       La vie (durée de vie, santé corporelle)
  •                       L’intégrité corporelle (sécurité, sexualité)
  •                       La raison pratique : capacité de se forger une conception de la vie bonne
  •                       L’affiliation : vivre avec et tourné vers les autres
  •                       La maîtrise de son propre environnement

[Cela peut constituer les bases d’un « nouveau contrat social »] 

 

Chapitre 4. Les dilemmes de la croissance

           L’opulence matérielle comme condition de l’épanouissement

           Revenu et droits élémentaires

           La croissance des revenus et la stabilité économique

Dans ce chapitre, l’auteur se pose la question : « Et si à défaut de croissance, nos capabilités d’épanouissement diminuaient sensiblement ? » et il y répond en trois temps.

L’opulence et la capabilité d’épanouissement : la propriété est un marqueur social fort tout comme notre mode de consommation.

Trois courbes asymptotiques (PIB et espérance de vie, PIB et mortalité infantile, PIB et accès à l’enseignement) montrent qu’il existe un niveau de revenu par tête (compris entre 15.000 et 20.000 €uros) au-delà duquel les gains marginaux sont quasiment nuls.

Dans une économie fondée sur la croissance, la croissance est essentielle pour la stabilité : c’est soit la croissance continue, soit l’effondrement. [Un peu comme à bicyclette : tu pédales ou tu te casses la figure]

D’où ce dilemme majeur puisque LA CROISSANCE CONTINUE EST IMPOSSIBLE.

 

Chapitre 5. Le mythe du découplage

               Découplage relatif

               Découplage absolu

               L’arithmétique de la croissance

               Choix austères

De ce dilemme est née l’idée du découplage, c’est-à-dire l’idée que la consommation des ressources peut ne pas suivre l’évolution du PIB avec deux niveaux possibles de découplage, le découplage relatif, qui n’est qu’un ralentissement de la croissance de la consommation des ressources en période de croissance et le découplage absolu, où la consommation des ressources diminue de toute façon. Pour l’instant, malgré la récession qu’ont connue la plupart des pays, nous n’avons la preuve ni de l’une, ni encore de l’autre : même les bilans carbone présentés comme positifs sont faux car fondés sur des données tronquées.

Une arithmétique simple permet de comprendre les données du problème :

Impact de la croissance = croissance de la population+croissance du revenu par tête-croissance de l’efficacité technologique

Si on considère que la population mondiale va augmenter au rythme de 1,3%, que le revenu par tête doit progresser de 1,4% et que l’efficacité technologique permet des gains de 0,7%, cela fait quand même un impact de 2% (1,4+1,3-0,7).

Cela souligne l’importance du saut technologique global qu’il conviendrait d’accomplir à partir du moment où l’évolution démographique est une tendance de long terme, où la croissance du revenu (hors OCDE) est une exigence démocratique.

Mais le rapport Stern montre que même en investissant 2% du PIB pendant au moins une décennie, le gain technologique qu’on en tirerait ne permettrait pas d’atteindre ce que l’AIE considère comme un objectif minimal.

Le découplage est donc un mythe : il ne se fera pas tout seul.

 

Chapitre 6. La « cage de fer » du consumérisme

                         Structures du capitalisme

                         Logique sociale

                         Nouveauté et angoisse

L’économiste William Baumol, dans un ouvrage collectif « Good capitalism, bad capitalism »  identifie quatre types de capitalisme : le capitalisme dirigé (par exemple la France, l’Allemagne mais aussi évidemment la Chine et la Russie), le capitalisme oligarchique (l’Inde mais aussi évidemment la Chine et la Russie), le capitalisme des grandes entreprises et le capitalisme entrepreneurial qui n’ont en commun que le primat du droit de propriété et la propriété privée des moyens de production. Pour eux, le seul bon capitalisme est le dernier.

Mais

Le moteur de ce système, le profit ne peut fonctionner que par un abaissement continu des coûts de production et en l’occurrence du coût du travail via la productivité horaire. Cette efficacité croissante se fonde sur l’innovation mais celle-ci a ses limites sauf saut technologique, ce que Schumpeter appelle « la destruction créatrice ». Toutefois, on peut se poser légitiment la question de l’utilité (au sens Sennien) de la plupart de ces innovations.

C’est là dessus que vient se greffer un autre aspect de la question qui est le rapport que nous avons aux choses, cette forme d’attachement qui fait de la possession matérielle une sorte de « moi élargi ». Nous sommes ce que nous consommons et c’est cette consommation-spectacle qui crée une angoisse du vide. Pour reprendre l’expression que Max Weber utilisait pour définir la bureaucratie, l’auteur parle alors de la « cage de fer » du consumérisme.

La rencontre de la destruction créatrice et de l’angoisse née de cette consommation spectacle produit in fine une croissance sans fin [une croissance sans faim !]

 

Chapitre 7. Le keynésianisme et le « New Deal Vert »

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bsp;                 Options de redémarrage de la croissance

                    New deal vert

                    Stratégie pour la création d’emploi

                    Le potentiel de la relance « verte »

                    Financer la reprise

                    Au-delà de la relance

A la base de ce New Deal vert, il y a la volonté affichée que La relance NE SOIT PAS le retour au « business as usual ».  D’autant que ce retour au statu quo ante a été exprimé de façon très imagée par un éditorialiste de « the Independant on Sunday » de la façon suivante « Nous n’avons aucun désir de vivre dans une yourte sous un soviet de travailleurs ».Mais qui le voudrait ? Et qui même le propose ?

Quatre options se présentent pour la relance :

Ne rien faire, la main invisible du marché et les stabilisateurs vont faire repartir la mécanique. C’est risqué car rien ne prouve l’existence de l’une et des autres.

Faire une relance monétaire par l’expansion du crédit. Guérir le mal par le mal en quelque sorte. C’est risqué, le malade est trop atteint et puis l’inflation, ni la BCE, ni le FMI n’en veulent…

Faire une relance budgétaire par des baisses d’impôts et une augmentation des prestations sociales. Avec des déficits publics qui frôlent déjà les 10% dans de nombreux pays, c’est osé.

Une relance keynesienne classique fondée sur les dépenses publiques d’investissement. C’est osé pour les mêmes raisons et ça ne rapporte qu’à moyen terme. Or il y a le feu à la maison.

Toutefois cette dernière option semble la moins mauvaise à condition de cibler l’investissement public sur des objectifs précis et dont le retour sur investissement est rapide et puissant. C’est ainsi qu’est né une sorte de consensus mondial autour d’un New Deal vert dont les 5 axes sont :

Pour le court/moyen terme

*La réduction des coûts énergétiques libèrent de suite du pouvoir d’achat des ménages

*La réduction des dépenses énergétiques réduit la dépendance extérieure et restaure la balance commerciale

*Les industries de l’environnement tirent l’emploi

 Pour le plus long terme

*Faire des progrès en direction des objectifs exigeants de réduction des émission de GES nécessaires pour stabiliser l’atmosphère de la planète

*Protéger les actifs écologiques précieux et améliorer la qualité de notre environnement de vie pour les générations futures

Pour chiffrer les choses, l’AEI estime que les besoins d’investissements énergétiques de 2010 à 2030 seront de 35.000 milliards de dollars.

De son côté l’université du Massachussets a calculé qu’investir en DEUX ans 100 milliards de dollars dans les bâtiments, les transports en commun, les énergies renouvelables permettrait de créer 2.000.000 d’emplois ( le même montant investi dans le pétrolier n’en créerait que 600.000 mois durable).

Malheureusement à quelques exceptions près (la Corée et la Chine), la plupart des pays ont proposé en 2009 des plans de relance qui ne font pas forcément la part belle aux investissements « verts ». Sur 2.796 milliards de financement public prévu, seul 435 (15.6%) sont des financements verts (dont 221 milliards pour la Chine -38% de son plan de relance et 80 milliards pour la Corée)[MSOffice2]

Compte tenu de l’état des finances publiques dans la plupart des pays, il faudra trouver de nouvelles sources de financement. Toutefois, sauf peut-être aux Etats Unis et en Grande-Bretagne, il existe une forte épargne disponible : l’idée est donc de l' »éponger » en créant des produits d’épargne « verts », les « bons verts »(green bonds).

 

Chapitre 8. Une macroéconomie écologique

                   Théorie macroéconomique élémentaire

                   Changer « le moteur de la croissance »

                   Partager le travail

                   Investissement écologique

                   Fondements d’une théorie macroéconomique écologique

La théorie macroéconomique classique est actuellement incapable de résoudre ce dilemme entre la sécurité (symbolisé par la stabilité économique) et la sûreté (rester à l’intérieur des limites écologiquement soutenables).

Le progrès technique n’y suffira pas, [encore qu’en y mettant les moyens (voir le rapport Stern précité)on pourrait améliorer le bilan global )] si on ne change pas simultanément la structure économique et la logique sociale.

1. C’est là qu’on se rend compte immédiatement que le P.I.B. n’est pas un bon outil de mesure.

2. Le modèle classique ne connaît que deux facteurs de production, le capital et le travail, oubliant naturellement le troisième, la Nature.

3. Il faut changer le moteur de la croissance et ne plus raisonner en terme de produit mais en terme de services rendus par le produit.

4. L’innovation technologique n’a de sens que si elle permet de rendre le même service avec une empreinte écologique globale plus faible. En la matière, les limites de la thermodynamique n’ont pas encore été atteintes et les potentialités de l’économie circulaire commencent à peine à être explorées.

De tels schémas de production existent déjà de façon embryonnaire mais actuellement ces expériences sont encore peu reconnues car elles cumulent tout ce que l’économie classique considère comme des défauts rédhibitoires : une productivité déplorable, une recherche de la qualité qui est même antinomique avec la notion de productivité (s’agissant en particulier de services à la personne), une conception du travail fondée sur la capabilité sociale et non sur la productivité individuelle. Pour toutes ces raisons, l’auteur l’appelle pour l’instant l’économie Cendrillon.[Notons que les champs d’activité de cette économie recouvre assez largement ce qui se développe actuellement en France dans le champ de l’Economie Sociale et Solidaire]

Le partage du travail est aussi un des paramètres de cette nouvelle macroéconomie, en partant justement du fait que le travail avant d’être un facteur de production est une capabilité sociale. Si les gains de productivité perpétuels ne sont plus dans ce schéma un impératif inéluctable, il n’en demeure pas moins qu’il sont pourtant utiles parfois.

Dans ce cas, à production constante, les gains de productivité se traduisent évidemment par une diminution de la masse de travail nécessaire . Deux options se présentent alors, soit diminuer le nombre de travailleurs, soit diminuer la quantité de travail de chacun. C’est évid
emment vers la seconde solution qu’il faut et qu’on peut aller[voir à cet égard, les travaux de Pierre Larrouturou sur la semaine de 32 puis maintenant 28 heures]

Un investissement écologique suppose  qu’on change les équilibres entre consommation et investissements, via l’épargne d’une part (par exemple dépenser plus pour construire son habitat de façon à dépenser moins en valeur et en quantité pour y habiter) et d’autre part qu’on choisisse judicieusement ces investissements :

*investissement qui améliorent l’efficacité dans l’utilisation des ressources (efficacité énergétique, réduction des déchets, recyclage)

*investissements qui substituent aux technologies conventionnelles des technologies plus propres et plus sobres

*investissements dans l’amélioration des écosystèmes (adaptation climatique, reforestation, renouvellement des zones humides)

Les fondements d’une nouvelle macroéconomie écologique sont

–          une économie « résiliente », capable d’absorber des chocs éxogènes sans remettre en cause la stabilité

–          la garantie de la sécurité des moyens de subsistance (niveau stable de flux de biens et service, répartition équitable et protection du capital naturel

–          conservation des équilibres macro-économiques traditionnels (la transition ne peut être que progressive)

–          introduction des nouvelles variables : dépendance énergétique, dépendance aux ressources naturelles, plafond d’émission de GES, valeur des services écosystémiques, valorisation du stock de capital naturel. [ces indicateurs existent mais ne sont pas pris en compte actuellement].

 

Chapitre 9. L’épanouissement –dans certaines limites

            Une vie sans honte

            Hédonisme alternatif

            Le rôle du changement culturel

Dans ce chapitre, nous touchons à un des paradoxes de la société de consommation. Nous consommons parce que la consommation est un facteur d’intégration et pourtant jamais il n’y a eu un sentiment aussi fort de non-intégration. C’est le piège d’une « vie sans honte ». D’où l’appel à un hédonisme alternatif, c’est-à-dire une forme de simplicité volontaire que résume bien cette phrase de Gandhi «  Vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre. ».

Ce n’est pas actuellement le contenu des messages que ne cessent de nous envoyer le monde politique et les médias qui ne voient la fin de la crise que dans la reprise de la consommation. C’est dire la nécessité d’un changement culturel et l’importance que prend alors en terme d’exemplarité de ce que dans le chapitre précédent l’auteur a appelé l’économie Cendrillon. La stratégie vise alors à favoriser toutes les initiatives visant  à modifier les rapports de consommation.[A titre d’illustration, la réintroduction de la blouse à l’école, à défaut de pouvoir introduire l’uniforme comme dans les écoles primaires et secondaires britanniques, serait un bon moyen de lutter contre la dictature des vêtements « de marque »et ce que cela entraîne en termes de gaspillages financiers et physiques]

 

Chapitre 10. Une gouvernance pour la prospérité

              Le rôle de l’Etat

              Egoïsme et altruisme

              Les variétés du capitalisme

              L’Etat schizophrène

Les deux composantes du changement sont d’une part le paradigme de la macroéconomie écologique et d’autre part un nouveau consumérisme.

Dans ce changement le rôle de l’Etat est d’abord de contribuer à changer les référents des représentations sociales et ensuite de réintroduire du long terme là où à présent, nous ne voulons que du court terme.

En dehors de l’Etat, il faut également que se constituent des institutions permettant un équilibre entre égoïsme et altruisme. Actuellement, il est grand temps de renvoyer le balancier vers la valorisation de l’engagement personnel [Les entreprises ont compris cela avant l’Etat en mettant en place des modes de rémunérations non financiers, comme justement l’engagement des cadres dans la société, notamment par le biais des fondations d’entreprises et cela les arrange bien puisqu’elles font d’une pierre trois coups : les cadres se sentent mieux « dans leurs baskets », cela leur évite une énième augmentation des primes et c’est bon pour l’image de la marque].

Pris entre ces deux exigences : la promotion de la consommation à outrance pour soutenir le court terme et promouvoir des changements culturels parce que c’est la condition d’un nouvel équilibre à long terme rend l’Etat schizophrène [Le gouvernement de François Fillon étant jusqu’à ces derniers mois caractéristique de cette schizophrénie avec d’un côté un Martin Hirsch, voire même un Fadela Amara et de l’autre une Christine Lagarde ou un Christian Estrosi, Jean-Louis Borloo étant à lui seul l’exemple parfait de l’Etat schizophrène, d’une part réussissant comme on l’a vu le Grenelle de l’Environnement et d’autre part sacrifiant sur l’autel de la rigueur budgétaire la plupart des incitations fiscales qui y étaient liées]

 

Chapitre 11. La transition vers une économie durable

             Etablir les limites

             Plafond de ressources et d’émissions – et objectifs de réduction

             Réforme fiscale pour la durabilité

            Soutien à la transition écologique dans les pays en voie de développement

             Réparer le modèle économique

                Développer une théorie macroéconomique écologique

                Investir dans l’emploi, les actifs et les infrastructures

                Accroître la prudence financière et fiscale

                Réviser les comptes nationaux

Changer la logique sociale

                Politique du temps de travail

                Lutte contre les inégalités systémiques

                Mesurer les capabilités et l’épanouissement 

Renforcement du capital social

Démanteler la culture du consumérisme

Ce n’est pas une utopie

Ici , il est inutile de résumer ce chapitre les sous-titres et titres intermédiaires suffisent à comprendre le conte
nu déjà largement explicité dans les chapitres précédents.

La double crise économique et écologique  va nous mettre de façon très crue face à l’incohérence de nos politiques consuméristes et nous faire redécouvrir les vertus de la frugalité dont l’auteur nous rappelle l’étymologie (le bon fruit).[MSOffice3]

Les défis sont au moins autant sociaux qu’économiques car il nous faut retrouver le sentiment mutuel de participer à une action commune, non seulement à travers ce que nous sommes mais aussi à travers de ce que nous faisons et produisons, « des citoyens embarqués dans une aventure commune » .

Pour cela, il faut un discours public plus robuste dans lequel le travail reste une valeur forte du modèle dans ces deux sens d’acception (moyen d’existence et moyen « d’exister »).

L’économie relationnelle et l’économie de recyclage nous rendent moins dépendant des activités d’extraction, donc de destruction, des ressources. L’économie classique sera elle-même profondément bouleversée (aller vers une économie circulaire).

 

Chapitre 12. Une prospérité durable

             Visions de la prospérité

             Cendrillon au bal ?

              La fin du capitalisme ?

              Il sera plus que temps…

Au point de départ est une vision de la prospérité conçue comme notre capacité à nous épanouir en tant qu’êtres humains- à l’intérieur des limites écologiques d’une planète finie.

Il convient de souligner que dans ce schéma trois facteurs vont limiter la croissance :

L’imposition de limites écologiques, à travers par exemple des budgets carbone

L’évolution structurelle vers des activités à faible croissance de productivité voire à productivité décroissante, conséquence d’une amélioration de la qualité d’un service mieux rendu

L’orientation des ressources vers des investissements écologiques moins « directement productifs », la productivité étant mesurée par le ratio médiocre profit financiers générés/capital financier investi

Et que parmi ces trois facteurs, il y a une contrainte extérieure et deux orientations politiques.

Il convient de noter également que le travail est une telle valeur qu’il faut apprendre à le partager.

La conséquence de ces choix est : les investissements écologiques étant de long terme et globalement moins productifs on doit assister à un glissement progressif de l’investissement  privé vers l’investissement public, [c’est-à-dire l’évolution exactement inverse de ce qui se passe actuellement  où même les économies d’énergie en matière d’éclairage public sont financés par le secteur privé via ce qu’on appelle pudiquement des partenariats publics privés, en abrégé PPP, qui sont façon trouvée par ces grands opérateurs de capter une part croissante des budgets des collectivités locales].

Plutôt que la fin du capitalisme, cela signifie une nouvelle approche du rapport entre public et privé dans la gestion des actifs et de l’investissement c’est-à-dire à la fois une « nouvelle gouvernance des territoires » et une « nouvelle gouvernance des entreprises »

C’est donc peut-être à terme, le triomphe de l’économie Cendrillon mais dans la période de transition, la question reste posée de comment organiser le transfert financier de l’économie « classique », même verdie, vers l’économie Cendrillon.

 

 [dG1]Les pays, qui à force d’être appelés « émergents » sont devenus complètement émergés, constituent un contre-exemple parfait. Alors que le taux d’épargne britannique vient de passer sous la barre de 0%, la Chine connait un taux d’épargne de 25% et l’Inde fait encore mieux avec un taux d’épargne de 37%.

 [MSOffice2]Pour ce qui concerne la France, le plan de relance de 33.5 milliards prévoit un peu plus de 7 milliards d’investissement vert, ce qui reste honorable (21%) mais il convient de souligner que sur le grande emprunt de 35 Milliards(le plan Juppé-Rocard) les investissements verts ne se comptent pour l’instant qu’en centaines de millions

 [MSOffice3]Rejeter le « carcan de fer du consumerisme » ne veut pas dire rejeter systématiquement l’innovation.

 




Le feuilleton de l’été : Jean de Maillard « l’arnaque : la finance au-dessus des lois et des règles »

A partir de ces exemples tellement exotiques, on peut faire d’intéressants parallèles avec nos mœurs financiaro-politiques françaises de ces trois dernières années. Dans le domaine, nous n’avons pas trop à rougir : de ce point de vue nous sommes bien mondialisés.

Les leçons non tirées des crises successives

1. Les errements du capitalisme financier de la fin du XX° siècle ont commencé avec la crise des « savings & loans », ces caisses d’épargne mutualistes américaines dont le modèle d’équilibre financier vertueux a été mis à mal par la hausse vertigineuse des rémunérations des autres produits financiers poussant ces Caisses d’Epargne locales à se lancer dans des opérations financières de plus en plus risquées pour lesquelles elles n’avaient ni les compétences, ni les moyens financiers. Un parallèle peut être aisément fait avec ce qui s’est passé récemment en France. Premier temps, on réduit l’attractivité des livrets A en baissant de manière autoritaire les taux de rendement et en élargissant le nombre des opérateurs possibles. Le produit devient banal. Du coup, les Caisses d’Epargne, principales opérateurs sur ce produit, se retrouvent sans base et la porte est ouverte à toutes les aventures ;

Deuxième étape, on termine de banaliser les Caisses d’Epargne, banques coopératives en les fusionnant avec une autre banque, coopérative elle aussi, la Banque Populaire. Voilà, les éléments sont en place pour une crise des « savings & loans » à la française!

Que ce soit le conseiller du Président qui a conçu ce montage qui se retrouve à la tête de cet ensemble, au mépris de toutes les règles d’éthique de la haute fonction publique dont il est issu, et s’y octroie des rémunérations plantureuses n’est dès lors plus qu’une péripétie. Que les deux mariés soient de statut coopératif montre que ces gens-là manient en plus avec beaucoup de cynisme l’humour noir. 

2. L’organisation de la pénurie sur les marchés des matières premières, et notamment de l’énergie, est une des conséquences des dérégulations imposées à ces marchés dont une des manifestations patentes est la suppression de toutes les limites sur achats à terme et à découvert pour tous opérateurs professionnels, seuls les spéculateurs étant limités. Ces hausses spéculatives qui sont une des causes de la crise actuelle n’ont été possibles que parce que les autorités de régulation ont reconnu que les spéculateurs étaient des opérateurs professionnels sur ces marchés. Incidemment, constatons que 19 ans après les autorités américaines, l’Etat français a reconnu de jure cette qualité à deux des plus gros prédateurs du marché financier : Goldman Sachs et JP Morgan, qui via leur filiale installée à Londres, sont autorisés à négocier du gaz sur le marché français (décrets publiés au J.O. de la République Française à quelques jours d’intervalle en janvier 2010). Du coup, ils peuvent dans tous les pays être considérés comme opérateurs professionnels, fournisseurs de gaz sur le marché dérégulé français pour prendre toutes les positions spéculatives sans limite sur ce marché. On peut donc craindre le pire quand on sait qu’au début de la chaîne les fournisseurs initiaux de cette matière première ne sont pas non plus d’une probité au-dessus de tous soupçons.  Le marché du gaz sera-t-il la prochaine bulle spéculative ? (une bulle dans le gaz, hilarant, n’est-ce pas?)

3. Concernant la cause la plus visible de la triple crise déclenchée au cours de l’été 2007 : la prolifération des prêts immobiliers accordés à des emprunteurs de moins en moins solvables, on ne peut que se féliciter, si tant est qu’on puisse se féliciter d’une catastrophe économique et sociale, que cette crise ait éclaté avant que le président Sarkozy ait eu le temps de mettre en œuvre la totalité de son programme et notamment la mise en place des instruments permettant l’accession à la propriété de centaines de milliers, voire de millions, de Français. Pour des raisons similaires, mais cette fois-ci impulsée par l’Etat et non par un marché financier déréglé, nous aurions vu apparaître sur les marchés financiers une masse considérable d’actifs financiers risqués.

Conclusions provisoires

1. Lorsqu’il a conçu son programme, le candidat Sarkozy et son équipe, où proliféraient les inspecteurs des finances et autres experts financiers de haut vol, étaient forcément au courant des avis alarmistes publiés sur la montée inexorable vers ce qu’on a appelé ensuite la crise des subprimes;

2. Lorsque le gouvernement Fillon accorde par décret à deux des plus grosses banques américaines le droit de vendre du gaz en France avec tout ce que cela implique comme privilège d’intervention sur les marchés, les cabinets ministériels, des ministères de l’économie et de l’énergie, peuplés de moult inspecteurs des finances, ingénieurs des mines et autres experts de haut niveau sur les marchés mondiaux de l’énergie ne pouvaient pas ne pas savoir que c’est la décision de la CFTC (régulateur états-unien des marchés de matières premières) en 1991 qui avait permis aux banques de tripatouiller les cours des matières premières au premier rang desquelles l’énergie, pétrole, gaz et électricité.

3. On est alors en droit de se poser des questions sur les qualités techniques et morales de ceux qui ont inspiré et pris ces décisions.

Solutions

 A. Mettre la dérégulation des marchés « de réseau » sous haute surveillance du Parlement européen, à défaut de renationaliser le service public de l’énergie c’est-à-dire en fait s’occuper très sérieusement du pilotage des directives européennes en la matière (directive « services » notamment)

B. Remettre le marché immobilier sous perfusion publique : l’important est actuellement de se loger, non de posséder son logement.

C. Redéfinir le métier de banquier et rétablir les règles de prudence qui à la fin des années 30 puis en 1945 avaient permis à deux reprises de redonner confiance aux opérateurs économiques, les producteurs, envers d’autres opérateurs économiques, les financeurs. Là aussi notre président dispose de conseiller éclairé (voir le rapport de Jacques Lepetit sur le risque systémique remis en avril 2010).

Tous ça est évidemment à creuser.

Evidemment, ce livre, écrit il y a 5 ans, ne pouvait pas prendre en compte toutes les turpitudes que ces mêmes entreprises ont pu commettre depuis. A vous d’essayer de les repérer à partir de cette petite grille de lecture.

 

 




Le feuilleton de l’été : « le grand renversement » de Jean-Michel SERVET

Jean-Michel SERVET Le grand renversement  / de la crise au renouveau solidaire

Dans ce livre publié en mai 2010 aux éditions Desclées de Brouwer, l’auteur, plutôt spécialiste des économies en développement, apporte sa propre lecture de la crise et esquisse les grandes lignes de ce qui pourrait constituer une des voies alternatives de dépassement de la crise actuelle.

De la même manière que le livre de Karl Polanyi, « La Grande Transformation », a constitué une rupture importante dans la façon de lire les sociétés et le fonctionnement de leur activité de production et de distribution de richesses (j’utilise cette périphrase à dessein pour ne pas dire économie, terme actuellement trop galvaudé du fait de la faillite générale des experts « es-économie » à prévoir puis à expliquer la crise qui a commencé dans le courant de l’été 2007 aux Etats-Unis), le livre de Jean-Michel Servet est considéré par certains comme le document fondateur d’une nouvelle façon de voir les sociétés fonctionner.

Après lecture, c’est peut-être lui faire trop d’honneur.

Il n’en reste pas moins que son analyse des causes de la crise reste d’une grande pertinence. Sa thèse principale est que cette crise vient de la financiarisation quasi-totale de tous les actes de notre vie courante et que cette financiarisation a fini par dévoyer définitivement le capitalisme de ce qui avait fait sa force : un système unique de production et de répartition de richesses.

Comme la finance et son corollaire, la marchandisation de tous les échanges sont la cause de tous les malheurs, « le grand renversement » auquel il nous invite consiste donc à remettre les choses dans un autre sens.

A l’individualisme, combiné à l’existence de liens mécaniques de sujétion de chaque individu à un système financier que nul ne maîtrise, il invite à remettre de l’avant comme principe fondateur le principe de réciprocité, déjà présent dans le livre de Polanyi précité. Il invite également à repenser l’usage de la finance et à reposer les fondements de l’entrepreuriat sur d’autres bases qui pourrait être la responsabilité individuelle d’une part et l’exigence démocratique d’autre part.

La fin du livre, sur les pistes d’alternatives solidaires nous laissent évidemment sur notre faim parce que bien sûr, vous l’aurez compris, il n’existe pas de solutions miracles, il n’existe qu’une certitude : les solutions, parce qu’elles existent actuellement en germe (c’est ce qu’écrivait également Edgar Morin dans une tribune parue en Janvier 2010 dans Le Monde , « éloge de la métamorphose »), ne peuvent venir ni du marché, ni de l’Etat mais de l’initiative collective. Dans cette dernière partie du livre, le seul élément à garder, car il peut constituer le fil rouge dans l’identification de solutions, est la définition des trois conditions nécessaires mais non suffisantes pour qu’une initiative soit vraiment une alternative solidaire

La première est évidement l’efficacité économique, c’est-à-dire que les ressources mobilisées restent proportionnées (donc inférieures) au résultat de l’activité

La deuxième condition est que le prix du service ou du produit offert ne soit pas que l’addition des coûts de production plus une marge de profit mais qu’il intègre aussi des  processus de péréquation des coûts et de partage du revenu et différents niveaux de solidarité à travers la reconnaissance de capacités contributives différentes.

La troisième condition  est que les usagers, bénéficiaires ou clients, ne soient pas que de simples consommateurs passifs.

L’avantage de ces thèses est qu’elles peuvent satisfaire tout le monde, aussi bien les tenants du système capitaliste, puisqu’il n’exclut pas la possibilité que celui-ci se ressource en se transformant (notamment en prenant en compte d’autres valeurs que le seul droit de propriété), que les idéologues anti-capitalistes qui trouveront là la justification que Lénine aurait eu raison en 1917 en parlant du stade suprême (c’est-à-dire ultime) du capitalisme et que cette crise est le début de son agonie.

En tout cas un livre à lire. Afin de vous donner envie de le faire ou pour vous épargner la peine de le faire, vous trouverez ci-dessous, chapitre par chapitre, le résumé, largement réinterprété et commenté par mes soins, des 200 pages de ce livre d’un été studieux.

 

Chapitre 1. Une drôle de crise

Dans cette crise, il est difficile de désigner un coupable, l’espèce de « canard boiteux » qui a fait dérailler provisoirement le système dans son entier. On a bien essayé de voir dans le trader ou le cadre supérieur financier le responsable des déboires du système mais il a bien fallu se rendre à l’évidence : c’est le marché lui-même qui a montré ses limites. En particulier, il a montré que sa capacité auto-régulatrice n’était qu’un mythe. Bien au contraire, son fonctionnement autonome, du moins pour ce qui concerne le marché financier, est une des causes majeures de la crise. C’est pour cela que cette crise est une drôle de crise et surtout qu’elle est une crise systémique, non pas au sens que veulent lui donner les différents aréopages d’ « experts » appelés au chevet « des marchés » c’est-à-dire une crise qui s’est répandue de façon mécanique parce que le système fonctionne comme cela , mais au sens que c’est une crise qui touche aux fondements même des mécanismes qui font tourner tout le système.

 

Chapitre 2. La mise en évidence des déterminants fonctionnels du krach

Toutes les crises possèdent leurs bons côtés, c’est-à-dire l’émergence de nouvelles opportunités mais aussi une meilleure compréhension de la façon dont le monde va. Dans le cas présent, cette crise a montré avec beaucoup de crudité et de cruauté que le poids croissant des activités financières dans les économies  développées n’avaient aucune issue. Quand plus de ¾ de l’activité humaine est constituée de services, on est en effet en droit de se demander à quels besoins ces services répondent. Quand la capitalisation boursière mondiale représente 175% de la richesse mondiale produite en une année, on est en droit de se demander ce que représente réellement cette capitalisation boursière et ce que représente réellement cette richesse produite. Il semble que l’économie financière a fonctionné comme une pompe aspirante (non refoulante) et cela a créé des déséquilibres dont personne n’a pris compte suffisamment tôt (ou n’a pas voulu prendre compte tellement c’était énorme) parce qu’un autre mécanisme de ce système n’a pas fonctionné : les marchés ne sont pas autorégulateurs. Au contraire, ils ont plutôt fonctionné comme accélérateur, ce qui a permis à ces experts de dire que la crise était systémique alors qu’il s’agissait d’une crise du système. En effet, les marchés ont un peu fonctionné comme des ballasts inversés, c’est-à-dire qu’au lieu de permettre au navire-finance de se redresser en cas de gîte trop importante, ils ont au contraire accentué l’inclinaison du navire jusqu’au «&nbsp
;dessalage » de l’été 2008.  

 

Chapitre 3. La défaillance d’un régime d’accumulation

Des richesses illusoires d’un côté

La financiarisation croissante de l’économie a imposé un standard de rendement tel que pour maintenir les espoirs de plus-value, il a fallu soutenir artificiellement ce qu’on appelle « les marchés » notamment par la dette créant ainsi des richesses illusoires, à l’opposé des richesses réelles telles qu’elles étaient créées lors des « trente glorieuses », réelles parce qu’elle se traduisait quasi-immédiatement en revenus disponibles par les travailleurs, ce qui n’est plus le cas maintenant. Il y a d’ailleurs dans ce schéma de richesses illusoires des différences entre les pays développés, d’un côté, les pays de capitalisme libéral, les Anglo-saxons, Etats-Unis, Royaume-Uni et Canada en tête ( où le taux patrimoine boursier sur revenu disponible oscille de 75% à 150%) de l’autre, les pays de capitalisme régulé, France, Allemagne, Japon notamment (où ce même taux varie dans la fourchette basse de 20% à 30%).

La crise alimentaire de l’autre

Un autre signe annonciateur du krach fut la brusque flambée des prix des denrées alimentaires dont certaines, comme le thé, n’étaient jusqu’à présent guère soumis aux aléas des prix sur les marchés des denrées alimentaires. Aucune explication, augmentation de la consommation due à l’élévation du niveau de vie dans les pays émergents, concurrence entre usage alimentaire et usage industriel des productions agricoles, etc… ne suffisent à expliquer cette montée vertigineuse des cours dont la conséquence la plus immédiate et la plus dramatique fut un retour de la disette dans les pays les moins riches (alors que moins d’un lustre plus tôt on saluait le recul « définitif » de la faim dans le monde). En fait l’explication la plus vraisemblable de ces mouvements aussi brutaux qu’éphémères réside dans la spéculation menée par les financiers sur ces produits. Quand on pense que les cours des matières premières agricoles étaient titrisés, on se rend compte que le système d’accumulation avait atteint au moins une de ses limites.

La crise d’une phase du capitalisme

Que l’on s’appuie sur les analyses de Karl Marx, de Max Weber, de Joseph Schumpeter ou de Karl Polanyi, force est de constater que ce qui faisait la force du système capitaliste, la rationalité économique, l’accumulation primitive du capital, l’innovation destructive ont fait place à une rationalité purement formelle qui fait passer une rentabilité maximale à court terme pour de l’efficacité et qui s’est abstraite du rapport capital/travail pour assoir ses propres performances et où l’innovation est quasi-exclusivement financière et non plus technique. Alors s’agit-il de la crise d’une phase du capitalisme ou de LA crise du capitalisme ? Là chacun reprend ses grilles de lecture pour arriver à des conclusions différentes. Il n’en demeure pas moins que le modèle en vigueur depuis la fin des années 70 est devenu le contre-exemple à ne pas suivre.

 

Chapitre 4. La financiarisation généralisée

Monétarisation et marchandisation

A la base de la financiarisation de la société, il y a ce phénomène de monétarisation de tous les actes de la vie courante, même ceux de la vie familiale. Dans les couches de la société où elle existe encore, l’autoproduction tend à régresser au profit d’un échange monétaire le plus souvent marchand qui fait que chaque acte de notre vie quotidienne prend  de la valeur, celle que lui donne le « marché ». Les activités humaines tendent à se réduire à la seule fonction de « gagner sa vie » au détriment des autres finalités et ce à un niveau jamais encore égalé dans aucune société à aucune époque.

L’hypertrophie financière

A un échelon intermédiaire, la financiarisation de la société se manifeste par l’omniprésence de la fonction bancaire à laquelle nous sommes contraints de recourir quels que soient les actes de notre vie. Dans la vie des entreprises, elle se manifeste par l’importance croissante prise par la fonction financière par rapport à la fonction de production, la limite étant atteinte lorsque l’essentiel de la valeur est acquise non de ce qu’on a produit mais de ce dont est propriétaire comme c’est le cas des fruits de la propriété intellectuelle. Tout étant brevetable, les rentes s’établissent ainsi sur la base des brevets que certains détiennent nonobstant leur contribution à la production de richesse réelle. Dès lors, il apparaît inéluctable qu’au bout de la chaîne, ce phénomène de financiarisation se traduit par une accumulation de « richesses »  fictives qui ne peut se comparer qu’à une bulle. Le krach ne peut donc pas être réduit à un simple grippage du système.

Capital contre travail

La question n’est pas ici uniquement la répartition de la richesse entre d’un côté le capital (ou plutôt ceux qui le possède) et de l’autre le travail (pour faire rapide les salariés) mais entre ceux qui d’un côté font fonctionner le système financier (qu’ils en soient propriétaires ou salariés privilégiés) et de l’autre ceux qui doivent y recourir soit parce qu’ils empruntent, soit parce qu’ils doivent avoir recours à ce système pour tous les actes de leur vie quotidienne. Cela inclut naturellement AUSSI le partage de la richesse produite dans le cadre des rapports de production réels : à cet égard, il convient de rappeler que le déport  de 8% en faveur de la rémunération du capital et au détriment des salariés du partage de la valeur ajoutée créée en France « coûte » entre 60 et 90 Milliards d’€uros aux salariés français.

En fin de compte la financiarisation de la société constitue donc le vecteur d’un gigantesque drainage de ressources entre groupes sociaux, entre secteurs d’activité et entre territoires, ce qui est en somme qu’une nouvelle forme d’exploitation dont les protagonistes ne sont plus d’un côté le capitaliste et de l’autre le prolétaire..

Il convient toutefois de noter que la financiarisation de la société si elle peut toucher la Nature dans la mesure où tout ce qui est vivant est brevetable ne va quand même pas jusqu’au bout puisqu’elle n’intègre pas dans sa sphère de raisonnement le coût des ressources naturelles consommées définitivement ou gravement détériorées du fait de l’activité humaine.

Chapitre 5. Croissance insuffisante, inégalités et endettements

Les trente piteuses

Si on veut bien retirer des statistiques les performances de la Chine et de l’Inde qui doivent une croissance exceptionnelle aux interventions publiques, donc hors du schéma néolibéral à l’oeuvre depuis la fin des années 70, les trois dernières décennies se caractérisent par une performance économique plutôt médiocre, ce qui, conjugué avec une répartition plus inégalitaire des revenus, se traduit pour la majorité par un appauvrissement relatif voire absolu. Alors que lors des trente glorieuses, la rémunération des groupes les moins favorisés étaient tirée vers le haut par celle des plus favorisés (salariés des grandes entreprises, c’est actuellement l’inverse qui se produit, la rémunération des plus précaires ayant tendance à influer négativement sur ceux dont le statut
est encore préservé, la mondialisation n’étant en l’occurrence qu’un facteur aggravant, non la cause principale.

Explosion des besoins et appauvrissement relatif

Dans les sociétés traditionnelles, l’existence de hiérarchies sociales conditionnait des modes de consommation. L’aplanissement apparent des différences sociales dans les sociétés modernes, dû notamment au développement des médias, exacerbe au contraire les effets de mimétisme mais certains ayant les moyens de consommer ce que l’inventivité des hommes de marketing leur propose alors que la grande majorité ne peut y avoir accès provoque un sentiment de frustration qui est une nouvelle manifestation d’un appauvrissement relatif. Ce sentiment d’appauvrissement est d’autant plus sensible qu’il est par ailleurs bien réel, certains biens gratuits étant entrés dans le champ marchand comme cela a été indiqué plus haut. Et on aurait tort de penser qu’il s’agit là juste d’un effet de retard dans le déclenchement de ce que les Anglo-Saxons appellent le trickle down effect (effet de ruissellement en Français). Cet effet n’a jamais été réellement démontré et nous le constatons tous les jours, l’accroissement global de la richesse d’une nation ne se traduit pas mécaniquement par une réduction des inégalités, SANS action positive en faveur des plus défavorisés.

Les exclusions sociales

Mais l’analyse de sociétés aussi différentes que la société chinoise, la société américaine, la société israélienne, la société indienne ou de certains pays d’Europe centrale montre que l’existence de minorités fortes mais peu intégrées contribue fortement au développement de la pauvreté et que dans un tel contexte, les politiques de soutien aux activités génératrices de revenu contribuent à creuser les inégalités locales plutôt qu’à diminuer la pauvreté, ce qui est l’objectif affiché. 

Répartition insoutenable et endettements

La répartition de plus en plus inégalitaire des revenus se traduit par l’incapacité pour l’immense majorité de satisfaire ses besoins sans recourir à l’endettement. C’est ainsi que l’endettement des ménages américains représentait, début 2008, 95% de la production marchande de ce pays. Ce phénomène d’endettement s’est généralisé, y compris voire surtout dans les pays les moins développés de la planète, cet endettement des particuliers se doublant dans le cas des pays du Sud d’un endettement public massif, conséquence des transferts financiers de ces pays vers les pays les plus développés conséquence eux-mêmes du pillage des richesses naturelles de ces pays. Une exception notable à ce phénomène d’endettement généralisé, la Chine et quelques autres pays d’Extrême-Orient qui sont des modèles d’épargne, mais épargne un peu contrainte pour compenser la faiblesse des systèmes de protection sociale.

Spécificités de l’endettement dans les pays en développement

Il convient également de préciser que l’endettement dans les pays en voie de développement prend le plus souvent des formes non conventionnelles, le système bancaire n’étant pas toujours aussi développé que souhaitable. Mais qu’il s’agisse d’une banque à guichet, d’un commerçant, d’un fournisseur de semences, le crédit ainsi pratiqué se traduit de toute façon par un appauvrissement important des débiteurs.

Sortir du surendettement par l’inflation

Mais si le surendettement massif est la cause de la crise, on ne peut espérer sortir de cette crise que par …l’expansion du crédit tant que les modalités de répartition de la richesse n’auront pas permis une meilleure adéquation entre richesse disponible et la capacité à la consommer. Dès lors, la seule solution pour rendre cet accroissement du crédit supportable est d’accepter une certaine dose d’inflation qui « rabotera » l’effet confiscatoire du coût du crédit.

 

Chapitre 6. L’expansion planétaire de la crise

Les prémices américaines

Tout est parti de la crise hypothécaire qui a touché le marché immobilier américain et qui a montré qu’il existait une interdépendance forte entre le marché des actifs et le marché du crédit, non pas dans le sens de l’autorégulation, comme nous l’enseigne la vulgate néolibérale mais dans le sens d’une auto alimentation puisque les espoirs de gain sur le marché des actifs alimentent l’offre de crédit et que l’accroissement de liquidités ainsi créé alimente à son tour la demande sur le marché des actifs.

La montée du chômage

Cette crise du crédit hypothécaire se répand alors très rapidement, via la titrisation, à l’ensemble du marché du crédit, touchant à la fois le crédit à la consommation (En moins d’un an, le nombre de cartes de crédit en circulation aux Etats-Unis a ainsi diminué de 20%) et le crédit aux entreprises. La conséquence est donc inéluctablement dans un système où le travail est considéré avant tout comme une charge pour les entreprises par une augmentation rapide du chômage sauf dans les rares pays où les stabilisateurs sociaux (dialogue social en Allemagne,  revenus socialisés en France) ont permis de limiter la casse. Du coup ressurgissent des nouvelles formes d’auto-emploi [dont l’avatar français est le statut d’auto-entrepreneur, présenté comme le phare de l’esprit d’entreprise des travailleurs français] et le soutien au micro-crédit, ce qui n’est pas le moindre paradoxe de la crise de faire émerger dans les pays développés une forme de financiarisation de la société inventée dans les pays en voie de développement.

D’introuvables amortisseurs à la crise

La marchandisation croissante de l’économie a marginalisé un peu plus encore ce que les économistes appellent « la petite production marchande » ou « les économies naturelles » qui servaient d’amortisseurs en cas de crise pour les classes les plus pauvres. D’un autre côté, l’autre amortisseur naturel des crises, l’économie publique, redécouverte dans les années 30 grâce à J M Keynes, a tellement été décriée et vidée de sa substance à coup de dérégulation et de privatisation qu’elle n’est pas en mesure d’assurer le relais de l’économie libérale. La troisième voie, l’économie sociale et solidaire, est pour l’instant incapable d’absorber immédiatement un tel flux. La solution n’est pas non plus à rechercher pour le moment dans les capacités des économies émergentes, la Chine, l’Inde ou le Brésil n’étant pas encore devenue des économies de consommation où les classes moyennes n’ont pas encore réussi à capter la majeure partie des richesses encore aux mains d’une petite poignée de ploutocrates.

Donc si rien n’est fait, le risque est grand d’avoir une « croissance » en forme de tôle ondulée posée à plat. Sans être oiseau de mauvais augure, il convient de rappeler que la crise de 29 a été précédée, en 1921, d’une crise de moindre ampleur qui traina sous cette forme de courbe en toit d’usine à plat jusqu’en octobre 1929.

Le seul élément positif de cette période est que l’observation de cette absence de croissance inspira à John Maynard Keynes les théories qui permirent la prospérité des 30 Glorieuses dans le bassin atlantique.

 

Chapitre 7. Persistance et ébranlement de l’hégémonie néolibérale

Un double mouvement

L’économie li
bérale s’est fondée sur une triple justification :

* la place de marché  et l’égalité idéale entre les partenaires

* les liens de clientèle  qui construit des liens durables entre opérateurs économiques

* l’existence d’un service public c’est-à-dire l’égalité effective des usagers dans l’accès à un bien commun

Le principal mouvement dans la sphère économique ces dernières années, c’est la présence hégémonique de la première justification qui l’a emporté et encore sous une forme dévoyée puisque l’inégalité d’accès à l’information casse le mythe de l’égalité idéale entre les partenaires.

L’autre mouvement de fond dans l’économie mondiale a été l’émergence un peu partout dans le monde de l’économie sociale et solidaire. En effet, le néolibéralisme, en tant que mouvement anti-étatiste, a permis et même rendu nécessaire ces projets d’auto-organisation des sociétés pour répondre aux besoins que la sphère étatique ne pouvait pas ou plus satisfaire. Mais l’économie sociale et solidaire dans sa configuration actuelle porte en elle un paradoxe dramatique : compte tenu de l’état de la demande solvable, elle dépend pour sa survie financière, soit de l’Etat, qui n’y peut mais, soit des subsides des fondations privées, qui ne sont que les exutoires philanthropiques des excès du capitalisme financier.

Bonnes dettes et mauvaises dettes

Dans le système tel qu’il est pensé par les néo-libéraux, il y a d’un côté la bonne dette, la dette privée qui permet au système de fonctionner et de l’autre la mauvaise dette, la dette publique qui alourdit inutilement le fonctionnement de l’économie. C’est oublier que c’est l’excès de l’une qui l’a rendu mauvaise. En effet, sans dette publique, la relance keynesienne n’aurait jamais été possible et c’est d’avoir imposé les mauvais choix (inflation zéro et baisse des impôts) que le néolibéralisme a rendu la dette publique insupportable à tous. Quant à la dette privée, la crise du crédit hypothécaire a montré que ce schéma était arrivé à ses limites. 

Cette crise n’est [hélas] pas une parenthèse

Toutefois ce qui peut passer pour l’effondrement du néocapitalisme n’est pas à proprement parler la fin du capitalisme. Ce n’est peut-être que la déconstruction de son expression la plus achevée, son « stade suprême » si on reprend l’expression de Lenine appliqué à l’impérialisme. Une hypothèse est que nous n’atteignons pas (encore) la fin du capitalisme parce que beaucoup de ruptures et de compromis sont nécessaires pour y parvenir. Mais ils apparaissent possibles afin de descendre de ce pic du « stade suprême » et s’acheminer progressivement en dehors de cette organisation des sociétés façonnées depuis deux siècles.

Il est possible de rêver à une régénérescence du capitalisme par des micro, petites et moyennes entreprises reliées par les vertus de la seule concurrence mais leur poids dans le commerce mondial et la diffusion de l’innovation laisse douter de la capacité à incarner l’idéal d’entrepreneur schumpetérien.

L’autre hypothèse est que cette crise constitue un des premiers soubresauts d’une lente agonie, non seulement d’une forme aujourd’hui dominante d’organisation de la production et des échanges mais aussi des rapports entre le ou les pôles avec leurs périphéries dans l’économie-monde. Ces mutations qui progressivement rendraient le capitalisme méconnaissable ne pourraient qu’introduire la fin de l’économisme et de sa logique de rareté.

Une nouvelle donne internationale

Cette crise est déjà le constat d’un basculement vraisemblablement durable de l’arc Atlantique vers l’arc Pacifique si ce n’est déjà vers le bassin constitué par la Mer de Chine et l’Océan Indien. La crise de 1974 (premier choc pétrolier) avait vu la création du G5, la crise actuelle voit l’apparition du G20 [qui pourrait n’être bientôt plus que le G15 (l’Allemagne, La France, l’Italie et le Royaume-Uni disparaissant au profit de l’Union Européenne, de même que le Canada)]

L’exemple de la taxe Tobin

La taxe Tobin popularisée par les altermondialistes a peu de chance de voir le jour, en l’état actuel des choses, même si tout le monde considère que c’est le système le plus malin pour permettre au vice (la spéculation financière) de rendre hommage à la vertu (une meilleure répartition des richesses via la fiscalité) tout en introduisant un frein à ces mouvements qui représentent la majorité des mouvements financiers dans le monde. En effet, les opérateurs financiers ont déjà inventé les parades leur permettant d’y échapper, la plus visible étant la persistance des paradis fiscaux [qui se refont une petite virginité en passant des accords fiscaux a minima avec quelques membres plus ou moins complaisants du G20 dont la France].

Un retour du politique

C’est cette impuissance même à faire plier un néolibéralisme devenu une sorte de « bandit manchot » depuis qu’on s’est aperçu que sa « main invisible » n’était qu’un mythe qui redonne une place au politique et notamment en France où les rapports sociaux ont été tellement bouleversés par les révolutions girondine puis jacobine que les rapports capitalistes n’ont jamais eu la même intensité qu’ailleurs en Europe et que s’y développa le « socialisme utopique » au XIX° siècle, tellement « utopique » qu’il constitue maintenant l’ossature du contrat social « à la Française » ( le droit à une retraite, une assurance sociale mutualisée, l’indemnisation du chômage, la formation continue, le congé pour naissance, les temps de vacances payés). Mais ce retour du politique sur le devant de la scène est autant porteur  d’espérances que de menaces. Le retour de l’intervention collective peut se traduire par une nouvelle organisation des sociétés civiles, une réactivation du principe de réciprocité et de solidarité et d’une nouvelle distribution entre capital et travail. Mais le retour de l’Etat peut aussi signifier la recomposition du système actuel grâce à des régimes politiques autoritaires, qui ne sont pas incompatibles avec de fortes insécurités publiques et l’existence de zones entières soumises à des milices privées ou des mafias.

Seules des alternatives citoyennes, animées par le principe polanyien de réciprocité, peuvent nous prémunir d’un aussi sinistre crépuscule.

Comme l’écrivait Schumpeter en 1946, « Nous sommes en présence d’une de ces situations dans lesquelles l’optimisme n’est pas autre choses que l’une des formes de la défection. »

 

Chapitre 8.La dynamique d’utopies réalistes

Il va de soi que des bouleversements dans l’organisation des sociétés ne vont pas se faire sans une forte résistance de ceux qui en profitaient le plus. Elles pourraient se traduire par l’émergence de régimes autoritaires voire totalitaires pour mieux assoir les formes marchandes supposées autorégulatrices.

Les pistes actuelles autour de concept comme « réindustrialisation » ou « nouvelle régulation financière »  laissent penser qu’on est
à la recherche ou à la redécouverte des fondamentaux du capitalisme productif mais aussi qu’il faut repenser les notions d’abondance et d’utilité.

Cela suppose un renversement systémique qui se situerait surtout au niveau de la hiérarchie et de l’articulation des principes d’intégration qui fondent l’organisation de la production, des échanges et de l’utilisation des ressources financières.

Le XX° siècle a été dominé par le couple capitalisme-marché et le socialisme n’a pas été la solution attendue puisqu’il n’a fait que substituer un capitalisme d’Etat à un capitalisme privé. L’Etat étant dans ce concept disqualifié, le relais pris par des initiatives altruistes s’appuyant sur des fondations privées comme le montre actuellement la force de frappe financière des organisations créées par les Gates, Warren Buffet, ou plus anciennement par les Ford ou les Rockefeller, ne peut pas être non plus une solution puisqu’il remplace une intervention bureaucratique par une intervention ploutocratique tout aussi peu légitime.

Les pistes pour une solution alternative commencent à émerger autour des notions de démocratisation des entreprises (Frédéric Lordon) ou de partage du temps de travail (Pierre Larrouturou) ou de nouvelle gouvernance économique mondiale (Patrick Artus et Olivier Pastré) pour ne citer que quelques auteurs venant d’horizons différents.

Sur tous les continents, dans toutes les sphères sociales, il existe un bouillonnement d’initiatives locales qui paraissent pour l’instant de fragiles utopies. Ce sont ces « utopies » qu’il convient de comprendre et d’analyser. Cette démarche est totalement légitime car il convient de substituer des « utopies », dont ont a vu ce qu’elles ont donné en France entre 1850 et 1945, à un mythe déchu, le néolibéralisme.  

Pourquoi a-t-on besoin d’alternatives et comment les reconnaître?

Une alternative doit être comprise comme une réaction par rapport à une situation donnée. Sa logique est à la fois ultra-moderniste et anti-moderniste. Une alternative, pour devenir possible, c’est-à-dire autant effective qu’efficace, doit dépasser le niveau réactif et protestataire, doit devenir un compromis fécond, c’est-à-dire se situer dans une perspective de changements qui seront simultanément globaux et de long terme.

La démarche doit s’articuler autour de deux niveaux différents : la direction générale du projet qui fixe l’ambition du changement à long terme et la recherche du compromis nécessaire pour tendre de concert.

Les alternatives doivent donc être abordées comme autant de potentialités réelles de renversement, comme RETOURNEMENT et dépassement des modes dominants de production, d’échange et de financement. Mais il ne faut pas avoir en tête que la situation qui prévaut actuellement s’est faite totalement à l’insu de tous. Ainsi si la financiarisation de la société a été possible de manière aussi rapide et aussi générale, c’est qu’une majorité des gens y ont trouvé, ou pensé trouver leur intérêt. La financiarisation ne peut donc être attaquée de front. Au contraire, ce besoin de se sentir intégré par la voie des circuits financiers (y compris du micro-crédit) doit être utilisé pour être réorienté vers l’offre de services monétaires et financiers qui retisseraient du lien social et qui seraient adaptés, par leur diversification et par des innovations répondant autrement et solidairement à des besoins devenus fondamentaux d’un bout à l’autre du monde.

Comment identifier la dimension solidaire d’une alternative?

L’apparition de ces alternatives ne sera pas spontanée mais le fruit d’une démarche volontariste, marque d’un engagement réel.

Trois conditions sont nécessaires pour qu’une initiative apparaisse comme représentative de ce renversement solidaire :

La première est évidement l’efficacité économique, c’est-à-dire que les ressources mobilisées restent proportionnées (donc inférieures) au résultat de l’activité

La deuxième condition est le prix du service ou du produit offert ne soit pas que l’addition des coûts de production plus une marge de profit mais qu’il intègre aussi des  processus de péréquation des coûts et de partage du revenu et différents niveaux de solidarité à travers la reconnaissance de capacités contributives différentes.

La troisième condition  est que les usagers, bénéficiaires, ou clients, ne soient pas que de simples consommateurs passifs. C’est évidemment la condition essentielle mais la plus difficile à réunir. « Cette troisième condition d’une citoyenneté ou d’une démocratisation est celle qui permet le mieux d’extraire les pratiques solidaires de l’économisme en transformant ces actes quasi quotidiens (parce que liés dans la production, la distribution, le financement ou la consommation à la reproduction matérielle et nécessaire des sociétés) en éléments de reconstruction de la démocratie. »

La possibilité de réponses solidaires

Les exemples ne manquent pas d’initiatives  prises ici ou là dans le monde de créer soit des réseaux de financement alternatifs, soit même des systèmes de monnaies alternatives. Toutes ne sont pas reproductibles ou même servir d’inspiration. En effet, ces expérimentations ne peuvent être considérées comme réellement solidaires que dans la mesure où elles intègrent effectivement et explicitement le principe de réciprocité. Ce principe doit servir d’outil d’évaluation de ces initiatives, qu’il s’agisse des expériences de monnaies alternatives comme le green dollar le SOL ou le WIR, ou la constitution de réseaux de financement alternatifs d’entreprises du type CIGALEs

S’il est évident qu’une autre vision de la finance, redevenue moyen et non une fin en soi, est nécessaire pour opérer ce grand renversement, il n’en demeure pas moins que l’application du principe de solidarité ne saurait s’arrêter aux conditions de financement. Il suppose aussi que, dans leur fonctionnement, les acteurs économiques inscrivent leur engagement dans une démarche de responsabilité sociale et de fonctionnement démocratique qui se manifeste par exemple par la responsabilité sociétale affichée par un nombre croissant d’entreprises, engagement volontaire différent de ce qu’on appelle la responsabilité sociale des entreprises qui est en fait la reconnaissance que les entreprises doivent jouer un rôle dans la cohésion sociale et la préservation des ressources. Cette responsabilité sociale, bien comprise, peut également être un atout commercial pour  ces entreprises dans la mesure où, à l’écoute des besoins réels des différentes couches de la population, elles sont en mesure de répondre mieux et plus vite aux attentes de ces différentes strates de clientèle.

 

 http://www.koreus.com/video/therealsam-pavarotti-les-noces-de-figaro.html

 parce que Beaumarchais et Mozart, chacun à sa façon, préfiguraient les utopies qui permirent le Grand Renversement de la fin du XVIII° siècle et que j’aime bien Pavarotti

 




Grands projets inutiles : les mensonges du Pacte Electrique Breton

Le 14 décembre 2010, le représentant de l’Etat en Région et le Président du Conseil Régional signaient presque en catimini un accord appelé pompeusement « le pacte électrique breton » dont le troisième objectif était de viser la sécurisation de l’alimentation électrique en plus de maitriser la demande (axe 1) et développer les énergies renouvelables (axe 2).

Pour atteindre ce troisième objectif quatre actions étaient prévues :

  • Le renforcement du réseau de transport d’électricité
  • Le développement de réseaux intelligents et le stockage d’énergie
  • La cogénération
  • L’implantation d’une centrale à gaz dans le Nord-Finistère.

Tout ceci était fait pour éviter le black-out en plein hiver, quand tous les convecteurs de chauffage s’allument en même temps. Ceci était donc censé rassurer les ménages. Mais il y avait aussi les entreprises à rassurer. En effet, le discours alarmiste sur l’insularité énergétique de la Bretagne a réussi à paniquer le monde de l’entreprise particulièrement dans le Finistère. Au point que les ventes de générateurs, de transformateurs et de tous les dispositifs permettant de faire face à une panne vont bon train, d’après ce qu’on dit.

C’est donc une coalition des peurs qui a poussé à la signature de ce pacte

Et de l’aveu même des signataires, la pierre angulaire de ce Pacte c’est la centrale à gaz, connue maintenant sous le nom de « projet de Landivisiau ». En effet, une telle installation, 450 MW, cela rassure aussi bien les mères de familles que les boulangers dont le fournil marche à l’électricité, que les commerçants et leurs frigos, les éleveurs et leurs installations de plus en plus énergivores, sans oublier évidemment les industriels, car il y en a, non des moindres, pour qui l’électricité est vitale. Et en plus quel argument de promotion pour le territoire : « venez dans le Finistère, le pays où l’énergie est abondante ! »

De l’aveu même de certains défenseurs, peu importe même que cette centrale ne tourne jamais, ce qui risque fort d’arriver si elle n’est qu’une centrale d’appoint, le principal est qu’elle existe. Sa présence rassure, un peu comme la branche de buis trempée dans l’eau bénite au-dessus de la porte d’entrée des maisons léonardes bigotes.

Hélas ! Tout cela n’était que du vent. En effet, la Bretagne a frôlé le black-out, hier mais ce n’était pas pendant les grands froids d’hiver mais au premier jour de ce qu’en Bretagne on appellera une canicule mais qui ailleurs n’est encore qu’un gros coup de chaud

http://www.ouest-france.fr/coupure-electrique-de-grosses-coupures-en-bretagne-et-pays-de-la-loire-3524643?utm_source=of_alerte-generale&utm_medium=email&utm_campaign=of_alerte-generale&utm_content=20150701&vid=040032044041061035060111042044040038059044034033035018038035034044035123038060057

Coupure électrique. De grosses pannes en Bretagne et Pays de la Loire

Et oui ! le point faible, ce n’était pas la production d’électricité, mais cela les opposants à la centrale le savaient et l’avaient déjà dit. Le problème, c’est la distribution et notamment les faiblesses du réseau dans un triangle compris entre Saint Brieuc, Saint-Malo et Rennes. Pour ce qui connaissent un peu la géographie de la Bretagne, ce n’est pas tout à fait le Finistère.

Et justement puisqu’on en parle, le seul département qui a à peu près échappé à ce brusque décrochage du réseau, c’est….le Finistère.

Alors pourquoi tout ce cirque et ces mensonges !

Est-ce de l’incompétence de la part des ingénieurs de RTE et d’ERDF. Non, sûrement pas !

Est-ce cette croyance dans la vertu magique d’une usine ? Ce n’est pas impossible.

Est-ce parce que le renforcement d’un réseau, ce n’est pas spectaculaire et que pour calmer les angoisses des gens (voir plus haut), rien de tel qu’un geste visible ? C’est certain. 

Est-ce aussi parce qu’un distributeur d’électricité avait besoin d’une unité de production continue pour remplir toutes ses obligations ? On le dit, mais c’est un peu gros, non ?

Toujours est-il que si ce projet allait à son terme, il faudrait que les pouvoirs publics investissent dans un réseau d’acheminement du gaz de Nantes à Landivisiau, dans un réseau d’acheminement de l’électricité et cerise sur le gâteau que l’Etat lâche tous les ans, via la CSPE (cette taxe que vous payez  sans le savoir peut-être avec votre facture d’électricité), au moins 40 millions pour équilibrer les comptes de la centrale.

Cela fait beaucoup d’argent public, qui ne pourra plus aller avec ce qui apparait être le vrai maillon faible du schéma électrique breton, le réseau.

Nous aurions donc une belle centrale, faite pour rassurer les entrepreneurs bretons mais rien ne serait réglé pour autant si l’ensemble du réseau est à la merci d’un transformateur qui brûle. Je dirais même qu’a contrario, cela renforce encore l’insécurité énergétique de la Bretagne de l’Est, celle qui se développe actuellement le plus vite.

Pour rassurer les entreprises, il est donc grand temps d’arrêter ce projet de centrale et de mettre les bouchées doubles sur la sécurisation du réseau. L’électricité ne manque pas en France, c’est les moyens de l’acheminer qui manquent.

Voilà comment en écoutant les marchands de boniments, peut naître un Grand Projet Inutile.

 




Les paradis fiscaux ne sont pas des nirvanas

1°) Quand la France contribue à sortir les paradis de l’enfer !

Le Monde  rappelle judicieusement ce qu’on appelle (appelait devrait-on dire à la lecture de cet article) un paradis fiscal et comment on « blanchit » une liste noire

http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/08/18/qu-est-ce-qu-un-paradis-fiscal_1561157_3234.html

La France a largement contribué à assainir les paradis fiscaux puisque dans la seule année 2010, pas moins de 19 lois ont été adoptées « autorisant l’approbation de l’accord relatif à l’échange de renseignement en matière fiscale ».

La particularité de ces accords, c’est que la majorité d’entre eux se sont fait par échange de lettres, c’est dire la densité des accords.

La liste des pays concernés est intéressante aussi :

Lois du  23 juillet concernant les Iles Vierges, l’Ile de Man, Guernsey, Andorre, Liechtenstein, Saint-Marin, Gibraltar, Les Iles Caïman, les Bermudes, les Iles Turques et Caïque, le Commonwealth des Bahamas, et Jersey

Lois du 13 novembre : Saint Christophe-et-Nevies, Saint Vincent-et-Grenadines, Sainte Lucie, Grenade, Antigua et Barbuda, Vanuatu et le Vénézuela.

Il convient de rajouter les lois visant à éviter la double imposition ( et parfois on rajoute dans l’intitulé de la loi du revenu et du patrimoine pour être parfaitement explicite) avec la Suisse , le Luxembourg, Barheïn, la Malaisie, Singapour, le Kenya, Malte,
la Géorgie.

Une nouvelle fournée de lois d’approbation d’accords fiscaux est en cours de  « validation » par le Parlement puisque les dossiers sont actuellement consultables sur le site de l’Assemblée Nationale. Les rapports parlementaires qui accompagnent ces
textes de loi sont explicites : ces accords ne sont pas très contraignants…..même s’ils représentent un indéniable projet par rapport au vide existant préalablement.

 

2°) En Suisse, le secret a un prix

Le Monde, toujours lui (il faut dire que pendant les mois d’été on a le temps de lire) a consacré une série d’articles à cette incroyable proposition que les Suisses font à leurs voisins

http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/08/18/rubik-le-plan-des-suisses-pour-sauver-le-secret-bancaire_1560833_823448.html#ens_id=1560646

L’histoire de Rubik, le projet des banquiers helvètes pour sauver leur sacro-saint secret

Il faut dire qu’a priori, on a du mal à imaginer un banquier zurichois en agent du fisc berlinois ou en auxiliaire de Bercy, mais que ne ferait-on pas pour préserver la tranquillité de 700 milliards d’€uros « soustraits-évadés » ?

Proposer aux Etats de leur verser ce qu’auraient dû leur verser leurs ressortissants est parfaitement stupide sauf si vous pensez que les Etats en question sous-estiment l’ampleur de la « soustraction » et surtout que vous tenez par-dessus tout à préserver votre réputation de discrétion.

Manifestement cela a suffi à convaincre les Allemands, qui pragmatiques pensent qu’ « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».

10 milliards d’un coup, en cette période de disette budgétaire, cela en ferait saliver plus d’un. Imaginez ce que cela représente de coups de rabot dans les niches ! Avec ensuite une sorte de rente garantie de 1 milliard tous les ans.

Sachant que le montant des avoirs allemands évadés en Suisse est estimé à 100 ou 180 milliards d’€uros, le prix à payer n’est pas élevé même à un taux d’imposition affiché de 26%. Et les banquiers suisses osent parler d’un nirvana fiscal pour les Allemands. Tant qu’à se f… de la gueule des Allemands, ils auraient au moins pu parler de Walhalla ! parce qu’en fait ce qu’il propose n’est ni plus ni moins qu’une forme de transaction pénale et nous savons que dans la plupart des cas, ce genre de transaction profite surtout au délinquant !

3°) Les paradis sont aussi pavés de bonnes intentions

Face à cette proposition retorse des banquiers suisses, les services fiscaux
français ont une réponse vertueuse (toujours d’après Le Monde, décidément
incontournable pendant l’été)

http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/08/18/la-france-refuse-de-ceder-aux-avances-de-la-suisse-sur-l-evasion-fiscale_1560811_823448.html#ens_id=1560646

La France refuse de céder aux avances de la Suisse sur l’évasion fiscale

Et pour étayer sa position vertueuse, l’administration fiscale s’appuie sur les résultats de sa cellule anti-fraude mise en place par l’anté-prédécesseur de l’actuelle ministre des finances. Avec des méthodes digne des romans policiers, ils auraient récupérer entre 1.2 et1.3 milliards d’Euros, ce qui est bien mais qui comparé aux 10 milliards plus une rente annuelle de 1 milliards fait un peu pauvre. Il faudrait singulièrement renforcer les contrôles et vérifications pour arriver à pérenniser ce résultat de 1.2/1.3 milliards.

Certes la posture est avantageuse, mais pour l’instant le seul résultat tangible risque d’être que d’un côté, des capitaux allemands resteront anonymes mais payeront 26% sur leurs revenus (ou sur une partie selon la qualité de l’anonymat suisse) alors que de l’autre, la majorité des capitaux français « évadés » resteront anonymes mais ne payeront RIEN DU TOUT. Par contre pour les malchanceux qui se feront prendre, ce sera toute la rigueur de la loi et l’honneur sera sauf : on ne badine pas avec la loi. Manifestement en France, le concept de transaction pénale à du mal à se faire un chemin.

En fin de compte, cette attitude vertueuse va surtout profiter aux « évadeurs ». Comme quoi le paradis est comme l’enfer, pavé des meilleures intentions du monde.

Mais une chose est sûre, c’est qu’en ouvrant cette boîte de Pandore, les Suisses ont
réussi un joli coup qui lézarde l’unité dans la rigueur affichée par ses voisins. Il y a un pays qui devrait se précipiter pour profiter de l’aubaine : la Grèce. En premier lieu parce que c’est quand même un des champions du monde de la dissimulation fiscale et il serait fort surprenant qu’il n’y ait pas dans les banques helvétiques plusieurs milliards de dollars  et qu’en second lieu les taxer à 26% permettraient à la Grèce de résoudre son problème principal actuel, trouver des liquidités pas chères. Je suis sûr que les marchés apprécieraient. Pour le coup les Allemands qui viennent de passer au guichet pourraient donner un petit coup de main à la Grèce pour négocier au mieux cet accord avec Berne ET Zurich.

Ah au fait ! Comment s’appelait le paradis dans la mythologie grecque ? Je ne me souviens plus si c’était l’Olympe ou les Champs-Elysées !

En fin de compte.

 

 




Environnement : « J’ai confiance dans la justice de mon pays ! »

Toutefois, ces affaires ne sont pas toujours prises suffisamment en compte par les magistrats du parquet ou du siège et trop souvent les procédures n’aboutissent pas ou sont mal jugées.

C’est pourquoi la circulaire pénale que vient de prendre la ministre de la justice est importante pour tous ceux que l’impunité des pollueurs de tous poils révulsait.

Cela doit particulièrement réjouir les associations de défense de l’environnement qu’elles soient ou non agréées comme telles par la préfecture, puisque les parquets et les parquets généraux sont invités à les rencontrer pour mieux comprendre leurs attentes.

Cela doit également réjouir tous les écologistes qui, pas toujours au fait des arcanes de l’administration et de la justice française, voient leurs combats se perdre dans les sables de la complexité bureaucratique et de l’incommunicabilité entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif représenté localement par son administration.

Cela va réjouir enfin tous les citoyens qui se sentent bafoués dans leur citoyenneté en constatant, pollution après pollution, que les lois et règlements ne sont pas appliqués faute d’une volonté ou d’une capacité à les faire respecter.

Mieux lutter contre les atteintes à l’environnement  : http://www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/mieux-lutter-contre-les-atteintes-a-lenvironnement-28022.html

Publication d’une circulaire de politique pénale adaptée aux enjeux locaux

C’est apparemment un grand progrès en matière de défense de l’environnement mais ce n’est pas une nouveauté. Il y a déjà eu des circulaires qui allaient dans le même sens mais que, faute de moyens, la Chancellerie n’a pas pu faire appliquer. La nouveauté est ici que les liens entre procédures administratives et procédures pénales vont être renforcés, que les associations de défense de l’environnement seront mieux prises en compte. Il est bon aussi que soit rappelé que les atteintes à l’environnement doivent être prises en tant que contravention directe au code de l’environnement mais aussi pour leurs conséquences notamment pour la santé humaine, comme la référence aux compétences environnementales des pôle Santé Publique semble l’indiquer.

Mais c’est à leurs résultats qu’on juge la portée des textes. C’est pourquoi par exemple il sera intéressant de voir comment le parquet va prendre en compte cette nouvelle circulaire pour intervenir dans des affaires comme celle-ci :

Pesticides. La famille d’un viticulteur décédé porte plainte http://www.ouest-france.fr/pesticides-la-famille-dun-viticulteur-decede-porte-plainte-3353561

Mais il est vrai que le cas peut être un peu complexe. Par contre, si on en reste à des affaires plus classiques de pollution, voici un cas intéressant à plus d’un titre :

 

Environnement. Le ruisseau victime d’une pollution à l’échalote : http://www.ouest-france.fr/environnement-le-ruisseau-victime-dune-pollution-lechalote-3242786

Tout d’abord, il s’agit apparemment d’une pollution « accidentelle » d’un cours d’eau donc la recherche des responsables sera assez facile, mais derrière tout cela, il y a une seconde responsabilité. Si ces échalotes se sont retrouvées là, c’est que des légumiers en colère les avaient déversées sur la voie publique (3.500 tonnes tout de même) et qu’il a bien fallu s’en débarrasser d’une manière ou d’une autre et celle-là n’est sûrement pas la plus judicieuse. Il n’y aurait pas cette première atteinte à l’environnement que constituait ce déversement sur la voie publique, la seconde pollution n’aurait certainement pas eu lieu. Jusqu’où ira le parquet dans la recherche des responsables ?

Et je ne sais pas pourquoi, cette affaire d’échalote à Morlaix m’en rappelle une autre, à peine plus ancienne, qui n’est peut-être pas une atteinte à l’environnement mais reste quand même la conséquence du sentiment d’impunité de quelques uns qui considèrent que le domaine public peut servir de défouloir à leur colère, quand bien même celle-ci serait justifiée : l’incendie le Hôtel des Impôts de Morlaix. Excédés, un collectif de citoyens a décidé d’apporter son soutien aux services judiciaires pour que, CETTE FOIS, ils aillent jusqu’au bout :

A Morlaix tous les 19 de chaque mois les citoyens sonnent le tocsin : http://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/2015/02/20/morlaix-tous-les-19-de-chaque-mois-les-citoyens-sonnent-le-tocsin-659145.html

Ils semblent avoir été en partie entendus puisque dans les jours qui ont suivi cette manifestation de février, une série de gardes à vue a été déclenchée par le parquet. Mais il faut soutenir cette vaillance nouvelle du Parquet brestois. C’est pourquoi ce collectif continue et continuera à se réunir et sonner le tocsin, le samedi le plus proche du 19 de chaque mois sur le parvis de la mairie de Morlaix, pour clamer que décidément, ils font confiance à la justice de leur pays mais comme disait Vladimir Oulianov, que « la confiance n’exclut pas le contrôle. » En d’autres termes, la vigilance, n’est pas synonyme de méfiance bien au contraire, elle est un adjuvant de la confiance, dans le domaine environnemental également. C’est pourquoi, en matière environnementale, j’ai confiance dans la justice de mon pays, les yeux grands ouverts