(Plume citoyenne) A la suite de la deuxième Edition de son Forum des coopérations, le Réseau Cohérence publie en partenariat avec Eco-bretons une série d’articles sur l’engagement. Chaque article présente une initiative inspirante en Bretagne avec un focus sur sa manière d’accompagner l’engagement dans les transitions : comment sortir de l’entre-soi ; comment toucher de nouvelles personnes ou comment se relier à d’autres initiatives et coopérer ? Des enjeux auxquels nous tentons de répondre au travers de ce dossier. Nous finissons notre tour des initiatives avec une association, D2 (pour « Dynamique et développement »), développement de l’animation de la vie sociale en milieu rural sur le bassin de vie de Callac, dans le sud-ouest des Côtes d’Armor. Pour comprendre comment cette initiative fait pour mettre en place des actions qui répondent aux besoins des habitant-es, nous avons interviewé Sylvie Montaland, salariée de l’association.
Peux-tu nous présenter l’association ?
Sylvie : Je résume généralement l’association par une phrase simple qui est « la maison pour tous et la maison vers tous », qui peut résumer autant l’association que le local qui est un point d’ancrage de nos activités et qui est situé sur l’espace Kan an Dour, à Callac. C’est un espace ouvert à tou-tes : cet aire constitué d’un étang, avec des halles et des tables de pique-nique. C’est là que se trouve notre local, ouvert également à tou-tes et c’est le cœur de notre posture : ici nous accueillons tout le monde, quelque soit son âge, son genre, sa religion… c’est un espace où tout le monde va pouvoir trouver sa place et c’est ça qui permet une réelle mixité sociale et à faire ensemble. Nous avons une action qui rayonne sur le bassin de vie de Callac, soit 15 communes.
Comment est née cette initiative ?
Sylvie : On a fait un diagnostic sur le territoire pendant plus d’un an, en rencontrant les habitant-es, les élu-es, structures et institutions qui agissent sur le territoire. Suite à ces nombreux échanges nous avons organisé un temps de restitution à Kan an Dour dans l’idée de présenter et de construire la suite ensemble, avec les personnes présentes : qu’est-ce que l’on fait à partir de tout ça ? Quels sont les besoins et freins identifiés, quelles sont les forces vives ? A partir de là trois axes ont été définis : 1/ Créer une maison pour tous et maison vers tous, un lieu du faire ensemble ; 2/ la question de l’accès au services ; 3/ La valorisation du territoire : il y a plein de gens ici avec des envies, des compétences. Comment est-ce qu’on met ça en valeur, on met du positif sur le territoire et on valorise ce qu’il s’y passe (et il se passe plein de choses ici!) et ses habitant-es. On s’appuie toujours sur ce qu’il existe déjà et on oriente, car nous n’avons pas pour mission de répondre directement aux besoins.
En juin 2021 l’association organise un théâtre-forum animé par la troupe « Si les sardines avaient des ailes ». Cet atelier a permis de faire ressortir les atouts et fragilités du territoire avec plus de 80 acteurs présents à l’événement.
Comment est-ce que vos activités font que des personnes s’engagent ?
Sylvie : Nous sommes au cœur de la question de la rencontre, du faire ensemble et du vivre ensemble : on dynamise le territoire avec ses forces vives, nous n’inventons rien en partant de ce qui existe déjà et en étant facilitatrices et facilitateurs de démarches. Comme par exemple dans la logistique d’un projet, premièrement on fournit un lieu où les gens se rencontrent et peuvent construire ensemble des projets et on aide également à amener ce qui est nécessaire à sa réalisation. Tout cela n’existe que s’il y a une relation de confiance, et c’est notre posture vis-à-vis de l’accueil qui permet cela, en accueillant tout le monde de façon inconditionnelle et en partant des besoins, on peut être sûr que chacun-e trouve sa place, quelque soient les différences. Nous avons le projet d’avoir une « maison vers tous » et de trouver des fonds pour acheter une « tiny house »1 et développer notre activité sur d’autres communes alentour afin d’accueillir dans un espace mobile et neutre, ouvert à tou-tes.
Cet espace où l’activité de l’association se passe est très important : il y a beaucoup de circulation autour, c’est un lieu de passage pour des personnes qui se baladent autour de l’étang, avec des familles qui emmènent leurs enfants jouer au City Park, plein de gens viennent se balader ici même des personnes qui habitent au-delà de Callac. Et le local que l’on utilise a une histoire : ça a été une classe dans laquelle des gens ont été scolarisés, le local des chasseurs, un bar lorsqu’il y avait encore la foire aux veaux. Donc c’est un lieu avec une histoire multiple et ça reste un lieu neutre.
Nous avons construit le programme des activités de l’été dernier avec tout le monde, afin d’avoir des propositions qui correspondent à un maximum de monde. Une fois que les besoins ont été exprimés on a rendu tout cela possible avec les habitant-es. Par exemple il y a avait l’envie de faire une sortie dans un parc de loisirs en Bretagne, c’est assez conséquent en terme de budget du coup certaines personnes ont proposé de faire des ventes de gâteaux et de crêtes. Nous avons acheté une caravane que les gens ont repeint et aménagé, elle a été ouverte tous les mercredis de l’été pour vendre de la nourriture. Cette caravane a du coup servi à d’autres événements où nous avons été invités sur le bassin de vie comme pour le marché à Carnoët, il y avait des spectacles et animations proposés par l’association Nature de Belle-Île-en-Terre ou des animations à Bullat et les habitant-es ont proposé la caravane pour faire le goûter.
Réception de la caravane en juin 2022 qui sera ensuite repeinte et aménagée par les habitant-es avant d’être utilisée sur diverses activités au cours de l’été
Comment est-ce que vous permettez à tout le monde de participer à la coordination ?
Sylvie : Nous avons différentes commissions et un Conseil d’Administration (CA) composé de 15 personnes de 16 ans à 77 ans de tout le territoire, ce CA est donc assez représentatif de la mixité de public du territoire. Certaines Commissions sont plus permanentes que d’autres comme la Commission famille ou la commission gouvernance. Mais la plupart des Commissions ne sont pas fixes, elles se créent en fonction des besoins puis portées par le CA et les habitant-es : nous avons récemment créer une Commission travaux, le temps de la rénovation de notre local. Nous faisons une invitation des habitant-es à y participer et une fois que des projets / envies / besoins sont annoncés on réfléchit ensemble à comment est-ce que c’est possible ? On voit que lorsqu’on laisse la place aux gens ils ont plein de compétences et d’envies… Ça structure et en même temps ça reste ouvert entre celles et ceux qui proposent, portent et profitent. Les Commissions servent à structurer l’action et les 3 salariées sont animatrices et animent ces temps-là.
CA de l’Association Décembre 2022
Comment est-ce que vous faites tâches d’huile ? Comment est-ce que vous vous agrandissez, vous touchez plus de monde… ?
Sylvie : Le fait qu’on soit ouvert-es à tou-tes avec de l’accueil inconditionnel est pour moi le facteur de réussite. Ce n’est pas un espace d’entre soi et identifié comme réservé à tel type de public. C’est un espace de bienveillance, plein de personnes différentes se retrouvent sur un objectif commun et donc ça va de soit qu’il faut faire des compromis pour s’entendre. Dans les espaces privés ces personnes peuvent avoir des positions différentes mais elles se rencontrent dans un espace de dialogue bienveillant où chacun-e peut s’exprimer et éventuellement remettre en question son avis, c’est inhérent au fonctionnement de ce groupe. Nous permettons ça avec cette posture d’accueil inconditionnel. Ça fabrique le respect et l’écoute de l’autre et de la différence. Nous avons beaucoup de retours et d’expressions sur le fait qu’à D2 on se sent, on est écouté et entendu, ce fonctionnement possible le fait que chacun-e puisse s’exprimer et qu’on considère sa parole, d’où il viennent, d’où qu’il soit.
Peux-tu nous illustrer cela en exemple de projets que vous avez portés les plus inspirants ?
Sylvie : Tout d’abord il y a le nombre de personnes et la mixité du public qui se retrouvent le samedi matin. Tous les samedis matins de 10h30 à 12h30 le local est ouvert et comme pour le reste plein de personnes différentes s’y retrouvent. Mais ce qu’il s’y passe ça dépend de qui est là. Par exemple au moment de l’été on a passé 4 séances à peindre la caravane mais il y a aussi des gens qui passent prendre un café et d’autres qui construisent le mobilier palettes. Il va y avoir des chantiers collectifs et participatifs pour les travaux. Les samedis matins vont sans doutent être mobilisés pour la préparation du carnaval début 2023.
Ça nous ait arrivé de proposer un barbecue et qu’en fait on a une cinquantaine de personnes sans s’y attendre et du coup on se rend compte que le fait qu’on ait prévu pour 30 ou 100 ne change rien car les habitant-es s’organisent (s’il manque des tables, dix minutes après des tables débarquent). Quand on a voulu monter le mobilier en palette, nous n’avions pas forcément le matériel et tout a été ramené par les habitant-es (le matériel, les outils…) et ce sont eux qui ont décidé des plans. Nous avons juste ouvert la porte du local et offert le café. Ce n’était pas une proposition sortie de nulle part donc ils se sont auto-organisés pour le faire et s’il y a des besoins on achète pour compléter si c’est nécessaire. Par exemple je suis allée chercher les premières palettes puis tout le monde s’est mis à en récupérer au final il y en avait presque trop. On est plutôt débordées par l’énergie des habitants que par le manque de personnes, on a passé notre été à courir derrière eux pour les suivre dans la course joyeuse des activités tout l’été dernier.
La prochaine grande activité prévue c’est le Carnaval intercommunal qui est une proposition des habitant-es. Nous sommes dans la préparation de cet événement qui concerne tout le bassin de vie et embarque dans son élan plein de structures, c’est prévu le dimanche 2 avril.
A ce jour, l’ensemble des communes participe à ce projet, certaines ce sont regroupées pour mutualiser leurs énergies. Des groupes se sont constitués et se retrouve le mercredi ou le samedi dans souvent dans un hangar prêté par un habitant, un ancien garage… C’est une dynamique fantastique, parents, enfants, grands-parents, personnes isolées s’active pour construire ensemble un char, des costumes.
« Dimanche 2 avril 2023, une pesée du carnaval sera faite sur la balance de Kan an Dour, avec un concours pour deviner son poids, sur le modèle de pesée de la bourriche.
Un concours décalé des chars offrira l’opportunité aux vainqueurs de remporter le prix du carnaval, un totem en bois ou en métal qui sera remis en jeu chaque année. Pinata géante, jongleurs, flashmob, reportage photo, scène ouverte, restauration… Les idées ne manquent pas pour faire de cette journée du 2 avril un grand moment festif »
1Littéralement « minuscule maison » ou « micro-maison » : petite maison en bois sur remorque, donc déplaçable.
Elles sont conçues de manière à être autonome et permettre un mode de vie écologique tout en étant très fonctionnelle avec toutes les commodités de base.