A Vélo Au Boulot, ou comment passer de l’expérimentation à l’usage quotidien du vélo dans l’entreprise?
Des éléments de réponses chez Essences Bois, entreprise morlaisienne de menuiserie en éco-rénovation depuis 2006, rencontre avec son dirigeant, Tristan Brisset.
– Comment et pourquoi avez-vous créé Essences Bois? Quelle a été votre démarche pour sa création?
J’ai décidé de créer Essences Bois en 2006, après 10 ans dans le métier, car mes convictions et mes valeurs environnementales personnelles se trouvaient confrontées à de plus en plus de dissonance cognitive.
En créant ma propre structure, je pouvais décider des matériaux et des produits à utiliser qui correspondaient à mes critères écologiques.Et je souhaitais également instaurer d’autres formes de rapports humains dans le mode de fonctionnement d’une entreprise, jusqu’ici bien trop verticaux à mon goût.
Aujourd’hui, nous sommes, au total 5 personnes à composer l’effectif. Des parcours variés, des reconversions… et à chaque fois de belles rencontres humaines.
– Qu’est-ce qui vous a amené à envisager le vélo dans votre activité professionnelle ?
Je dirai que c’était sans doute depuis un moment en gestation, en attente d’un facteur déclencheur. Depuis 2015 et la découverte de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, les co-auteurs de « Comment tout peut s’effondrer ? » et la claque reçue à cette lecture, qui m’a dirigé vers d’autres lectures, des écoutes de podcasts, des conférences, des vidéos. Cela m’a permis d’acquérir une vision plus holistique de notre rapport à notre environnement et surtout de notre dépendance aux énergies fossiles. Ces dernières, à plus de 80 % au niveau mondial, nous permettent tout aujourd’hui. Dont une part importante pour le transport. La mondialisation est principalement, un flux permanent de matières, de produits, de denrées…fortement émetteur de GES (Gaz à Effet de Serre)
Nous allons devoir faire face au dérèglement climatique causé par notre activité humaine et, entre autre devoir, revoir nos moyens de déplacements. Il y a bien sur plusieurs niveaux d’actions, individuelles, collectives, normatives, législatives, institutionnelles et également dans le monde de l’entreprise. Alors, à notre niveau, que pouvons-nous dès à présent mettre en place et qui puisse aussi inciter d’autres à prendre notre roue, pour rester dans le thème du vélo ?
La rencontre d’un artisan du Sud-Finistère, qui fabrique des vélos utilitaires sur mesure à assistance électrique, m’a fait découvrir les triporteurs et l’univers utilitaire du vélo. Je consulte les petites annonces sur Internet, et je trouve un triporteur d’occasion qui avait été fabriqué 10 ans auparavant par ce même artisan. Histoire de rencontre, de nouveau.Pas simple à prendre en main, le moteur est fatigué et sans doute pas adapté à notre ville escarpée qu’est Morlaix. Qu’importe, il faut s’engager dans cette voie !
Outre l’interpellation que cela suscite, cela permet de créer ou de recréer du lien social. Il est possible de se parler à vélo, d’échanger sur une portion de trajet. De se dire quelques mots aux feux tricolores avec les autres usagers piétons.
– Comment avez-vous amené vos salariés dans cette aventure ?
A la rentrée, j’en parle avec mes collègues. J’envisage les chantiers du centre ville avec cet outil. Puis, très rapidement, au fil de nos échanges, j’envisage d’investir dans des VAE (Vélo à Assistance Électrique) pour, dans un premier temps, effectuer les trajets domicile-travail à vélo.
Pour appuyer cet élan, il y a le fait que tout le monde habite dans un rayon de 2 kilomètres autour de l’atelier . Pol, l’apprenti, est le plus proche et il vient déjà à pied. Chez Fred, je ressens de l’appréhension, il a une petite fille en bas âge et se projette dans la logistique pour l’accompagner chez la nourrice . Quant à Gonzague, le plus enthousiaste des trois, il y pensait depuis un moment, sans avoir le budget pour franchir le cap.Les VAE arrivent juste avant les congés de Noël, et en cette période propice, une remorque pour le transport d’enfants arrivera aussi chez Gonzague ce qui déclenchera, début 2019 , la joie de ses enfants de pouvoir aller à l’école en remorque derrière leur papa.
L’adhésion est partagée par tous, mais à des degrés divers et il subsiste des interrogations. Cependant, en laissant le temps aux personnes de s’approprier ces changements de pratiques, elles y viennent et de manière durable.
Sur la photo : Comme l’entreprise morlaisienne est en activité partielle du fait du confinement pour l’ensemble des salariés, Essence Bois met ses services aux besoins des autres artisans commerçants… fabrication d’une deuxième caisse en contre-plaqué pour le Bergamont Cargo de MLC afin qu’il puisse assurer ses livraisons de matériels auprès de ses clients…Un peu de R&D pour pouvoir superposer les deux caisses.
– Au bout de deux ans, quel bilan dressez-vous ? Comment réagissent vos clients ?
Nous avons expérimenté toute l’année 2019, remplacé certains VAE par d’autres plus adaptés, investi dans un VAE supplémentaire, une remorque à vélo pour pouvoir transporter des matériaux et/ou du matériel. Puis opté pour l’acquisition de vélos cargo car ce modèle nous semble être le plus adapté à notre activité.
Nous avons pu valider nos déplacements jusqu’à 15 Kms autour de l’atelier, quelque soit la topographie et même jusqu’à 20 Kms maximum sur terrain plat (oui, c’est très très rare).
J’ai participé, à Angers en janvier 2019, au regroupement et à la création d’une association nationale regroupant les entreprises qui se déplacent à vélo, Les Boîtes à vélos France. Parmis les 180 représentant-e-s de grandes villes, Morlaix faisait office d’exception tant par sa taille que sa topographie !
De nouvelles et belles rencontres de personnes impliquées depuis 2012 comme les pionniers nantais,une pionnière plombière même, se sont déroulées. Il y avait des fabricants de matériels dédiés, des menuisiers à vélo… Une confirmationpour moi du choix de s’être orienté vers ce moyen de transport…du futur.
En 2020, juste avant le début de la crise sanitaire, j’ai pu assister au congrès national de la FUB (Fédération des Usagers de la Bicyclette) à Bordeaux et à la remise des trophées du Baromètre des villes cyclables. Encore de belles rencontres, enrichissantes, dynamisantes, inspirantes !
Quant à nos client-es, ils et elles sont surpris-es, curieux-ses, admiratif-ves et souvent fier-es de notre cohérence globale dans la pratique de notre activité professionnelle.
Aujourd’hui, après plus de deux années d’expérimentation, deux personnes sont venues rejoindre l’équipe et elles sont venues aussi avec le vélo, bien qu’habitant à plus de 10 Kms de l’entreprise.
C’est une satisfaction que de montrer par «la preuve par l’exemple», que cela est, non seulement possible, mais désirable.
L’utilisation des vélos n’est pas du 100%, mais nous en sommes à plus de 75%, ce qui pourrait nous permettre de rejoindre le collectif national associatif des «Boîtes à Vélos» qui regroupe les entreprises dont le moyen de transport est à minima de 75% à vélo. Des associations locales des Boîtes à vélo existent, principalement dans les grandes agglomérations mais, à Morlaix, nous prouvons que c’est faisable à plus petite échelle !
Sur la photo : Marie Jaouen et Tristan Brisset à Kérozar, devant le siège de l’Adess et d’Eco-Bretons. Elle et il ont rejoint le CA de notre webmédia associatif.
– En ce moment, se déroule le Défi A Vélo Au Boulot, comment cela se passe chez Essences Bois ?
Lorsque le Défi A Vélo Au Boulot s’est présenté sur Morlaix, tout le monde s’est accordé à y participer, sans pression mais l‘émulation est présente et permet à chacun d’y trouver une motivation supplémentaire pour apporter des points à l’équipe. Car si nous pédalons seuls sur nos vélos, il s’agit bel et bien d’un défi collectif avec pour but premier, d’inciter les personnes hésitantes à franchir le cap de ce mode de déplacement. Et autant pour celles qui le pratiquent déjà depuis un certain temps, cela ne change pas leur quotidien, autant pour les autres, c’est une occasion de se sentir épaulées, entraînées. D’ailleurs, Fred s’y implique grandement en assurant une très forte régularité dans ses déplacements à vélo depuis le début du Défi.
Et sur la durée de ce défi, 5 semaines,c’est l’occasion de prendre de nouvelles « bonnes » habitudes de déplacements. Et si rechute il y avait, tout ce qui aura été acquis ne sera pas perdu. Le nouveau départ n’en sera que plus facile.
Tout-e seul-e, on va plus vite, ensemble on va plus loin !